Magazine Le Mensuel

Nº 2923 du vendredi 15 novembre 2013

Editorial

Le paradoxe libanais

Notre quotidien, celui que nous réservent les responsables à travers les médias, toutes tendances confondues, a de quoi décourager les plus optimistes. «Tripoli sécurisée… Tripoli flambe». Les forces de sécurité de l’Etat assurent le calme dans la capitale du Nord, dit le ministre de l’Intérieur, avant d’être contraint de se reprendre pour dénoncer le caractère spécifique de cette ville si difficile à contrôler et pour cause! Des divisions internes sont inextricables, dit-il. Ne le savait-il pas? Les miliciens reviennent donc en force sur les places publiques. Entre-temps, des questions cruciales défraient les chroniques: le nouveau gouvernement verra-t-il le jour à Pâques ou à la Trinité? Ou peut-être à la veille de la commémoration de l’Indépendance, cette indépendance dont les acteurs continuent à se retourner dans leurs tombes? Mais qui sait? N’est-ce pas un cadeau du Nouvel An réservé aux Libanais? Le Parlement se réunira-t-il… ou pas? Le président Michel Sleiman aura-t-il un successeur? Pas évident. Ce dernier, s’il y en a un, acceptera-t-il les conditions rédhibitoires qui lui sont imposées?
En attendant des réponses problématiques, le coût de la vie galope au gré des marchés et le pouvoir d’achat chute vertigineusement sans aucun frein. Tout cela n’est pas le fruit de l’imagination débordante des contribuables. C’est du réel et du vécu par tous. Face à ce triste tableau et, aux jours de plus en plus noirs que nous promettent nos édiles, des événements majeurs nous mettent du baume à l’âme. Ils nous font croire, envers et contre tout, à un avenir meilleur. Ainsi la saison estivale, si elle n’a pas été florissante en touristes, a été riche en festivals et concerts. Des vedettes de grand renom ont défié les risques tout au long de l’été redonnant aux Libanais le sentiment qu’ils ne sont pas mis au ban des peuples. C’était un bon début. On attendait le Salon du livre francophone avec fébrilité et crainte. Des auteurs, qui n’ont plus rien à prouver, dotés de divers prix prestigieux, ont répondu à l’appel. Certains d’entre eux, d’ailleurs, connaissaient bien le pays, ils y avaient rendu de très nombreuses visites et en parlaient avec beaucoup de bonheur et d’émotion. Dans cet agenda inespéré, s’est inscrit le Marathon pour le Liban, qui a connu un véritable succès par le nombre de participants et par l’organisation qui, d’année en année, se perfectionne. Dans un pays sans gouvernement et sans Parlement, sans cesse menacé d’actes terroristes, d’assassinats et d’enlèvements, le courage des participants, locaux et étrangers, à la course de solidarité a fait la fierté de tous. On ne peut pas faire, non plus, l’impasse sur la participation de handicapés qui, défiant eux aussi les obstacles et les difficultés, refusent de baisser les bras et brandissent le drapeau de l’optimisme.
Mais, une fois de plus, l’exemple n’est pas venu des hautes sphères. Alors que chacun tentait d’occulter les soucis qui traquent les Libanais dans leur vie de tous les jours, les magiciens de la politique sortent de leurs poches de nouvelles bombes… échanges d’accusations, corruption et, pire encore, menaces publiques de couper les mains et la tête de ceux qui refuseraient de plier l’échine devant la force des armes… illégales et s’aventureraient à remettre sur pied l’Etat tant ébranlé. Il reste heureusement quelques intrépides qui tiennent la dragée haute à leurs attaquants. Ils ne sont pas nombreux. L’euphorie n’aura duré que quelques semaines malgré la volonté des citoyens de croire à une vie meilleure sur leurs terres. Quel est le vrai visage du Liban? Dans lequel voulons-nous vivre? Est-ce celui des festivals, du marathon et de la culture, ou celui de la corruption, de l’agressivité et de la barbarie? Les étrangers se font les chantres d’un pays où ils disent qu’il ferait bon vivre, alors que tant de Libanais sont forcés de le quitter pour d’autres horizons plus cléments. Tel est le paradoxe du Pays du Cèdre que tant de chantres ont glorifié.

Mouna Béchara

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