Magazine Le Mensuel

Nº 2913 du vendredi 6 septembre 2013

à la Une

Victime collatérale de la crise syrienne. Le tourisme agonise

Pour la troisième année consécutive, le conflit syrien pèse de tout son poids sur le secteur touristique libanais. Une saison estivale particulièrement morose pour la plupart des établissements et des secteurs qui ont été touchés de plein fouet, mis à part certains futés qui se sont recentrés sur d’autres filières demeurées quelque peu rentables.

L’année 2013 semble encore plus catastrophique que les précédentes pour l’industrie touristique. La guerre civile en Syrie se répercute fortement au Liban avec les bombardements sporadiques des régions frontalières, les kidnappings en série ou les voitures piégées qui découragent les voyageurs les plus endurcis.
Sur le front de mer qui relie Beyrouth d’est en ouest, seules quelques voitures circulent en ce vendredi après-midi, certains conducteurs évitant soigneusement les mosquées, depuis le double attentat ayant visé deux d’entre-elles et fait plus de 45 morts à Tripoli, le 23 août. Finis les restaurants bondés et les cafés débordant d’activités, terminées aussi les soirées festives dans les endroits huppés de la capitale et des autres régions phare du pays.
Pour le directeur de l’hôtel Mozart, Nimr Chelala, ce ralentissement marqué par l’absence de touristes arabes et européens est lourd de conséquences. «Par le passé, nous affichions un taux d’occupation de 90% tout au long de l’année, il est tombé aujourd’hui à 70% et nous sommes, toutes proportions gardées, bien moins affectés que d’autres par la crise», affirme Chelala.
C’est principalement pour des raisons liées à la sécurité de leurs ressortissants que les pays du Golfe interdisent les voyages à destination du Liban. Autre raison ayant aggravé la situation, la détérioration des relations entre les monarchies pétrolières et le Liban, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui appuie les rebelles syriens, rejetant l’implication militaire du Hezbollah aux côtés du régime du président Bachar el-Assad.
En fait, les touristes du Golfe fuient le Liban sur injonction de leurs gouvernements. Autrefois visiteurs assidus du Pays du Cèdre, les ressortissants des monarchies arabes ne représentent plus aujourd’hui que 11% du nombre global de touristes, selon l’économiste Ghazi Wazni. Le tourisme arabe a de manière générale régressé de 24,7%, celui lié aux Emiratis affichant une chute prodigieuse de 74%, l’Arabie saoudite 55% et le Koweït de près de 40%.

 

250 000 visiteurs en moins
Prisés pour leur pouvoir d’achat important, ces touristes ont été remplacés par les touristes européens qui viennent aujourd’hui en première position avec 33% des visites au Liban, alors que les touristes arabes se cantonnent désormais à la seconde place avec 32%, ce chiffre comprenant actuellement un grand nombre de touristes jordaniens, irakiens et syriens. Le nombre de touristes au Liban était estimé à 754 000 personnes durant les sept premiers mois de l’année, dont 10% d’Irakiens et 6% de Jordaniens.
Dans les hôtels de Beyrouth, c’est partout le même refrain: on regrette le départ des touristes des pays du Golfe dont les apparitions sont de plus en plus ponctuelles. Selon la presse, le Koweït aurait même réquisitionné un avion afin de rapatrier ses ressortissants, la semaine passée.
«Le secteur touristique connaît donc un ralentissement de son activité, estimée à hauteur de 14% lors de la première partie de l’année, principalement en raison de la baisse du nombre des touristes du Golfe. Cette année, le Liban risque de perdre plus de 250 000 visiteurs par rapport à 2012. Le nombre de touristes ne dépassera sans doute pas les 1150 000 personnes et les prévisions pourraient s’avérer plus mauvaises d’ici la fin de l’année. Le taux d’occupation des hôtels a, lui, baissé de 17%, en passant de 65% en 2012 à 55% en 2013», signale Wazni. Le secteur touristique se trouve également fragilisé du fait qu’un grand nombre d’institutions faisant face à des difficultés financières ont dû obtenir un échelonnement de leurs dettes auprès de la Banque centrale. Les établissements touristiques contribuent directement à 9% du PIB et indirectement à 26% de cet indice et emploient près de 120 000 personnes.
Une conséquence indirecte de la crise résiderait dans la transformation du tourisme pratiqué au Liban, assurent les experts. Au lieu des Arabes des Etats du Golfe en mal de shopping et de nuits déjantées, les Irakiens viennent, eux, se faire soigner au Liban, alors que les riches Syriens tentent d’échapper, le temps d’un week-end, à la guerre déchirant leur pays ou tout simplement pour présenter une demande de visa auprès des ambassades étrangères à Beyrouth, comme ce fut le cas ironiquement des Libanais résidant à Damas lors des années de guerre civile.
La demande d’une partie de ces nouveaux touristes serait diamétralement différente de ce que le Liban connaissait par le passé. Selon Nimr Chelala, la plupart des Syriens résidant à Beyrouth se rabattraient sur des résidences plus modestes comme les hôtels-appartements. «Pour les Syriens, passer un mois à l’hôtel revient trop cher, la location d’appartements présente donc une solution plus adéquate», ajoute le directeur de l’hôtel Mozart.

La restauration frappée
La baisse du nombre de touristes entraîne également une diminution des transactions commerciales dans une proportion de 30%, ainsi que de la fréquentation des restaurants, à hauteur de 40% dans le centre-ville de Beyrouth. «De nombreux établissements risquent de fermer notamment dans le Beirut central district en raison de la détérioration de la situation sécuritaire», affirme Wazni.
A Beyrouth et dans les autres régions libanaises, l’indice de confiance des citoyens a atteint son plus bas niveau, alors que le taux d’occupation des hôtels en dehors de la capitale a chuté à 25%. «2013 est une année extrêmement difficile et la période 2014 s’annonce encore plus mauvaise», prédit l’économiste.

Mona Alami
 

4e plus forte baisse au monde
Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le Liban a enregistré la quatrième plus forte chute au monde en termes d’arrivées de touristes en 2012, avec une diminution de 17,5% par 
rapport à 2011. A titre comparatif, les arrivées de touristes ont augmenté de 4% dans le monde, de 3,8% dans les pays industrialisés et de 4,3% dans les économies émergentes. La chute du nombre de touristes au Liban a été uniquement moins importante que celle enregistrée par le Zimbabwe (-26%), l’Arabie saoudite (-21,9%) et le Togo (-21,7%). En 2011, le Liban avait déjà connu une baisse de 23,7% du nombre d’arrivées, ce qui constituait alors le sixième déclin le plus important au monde


Cabinet et stabilité
Pour les experts, la formation d’un 
gouvernement est nécessaire à la stabilité dont profiterait en premier lieu le secteur touristique. Les directeurs d’hôtels font des vœux pieux pour que les touristes du Golfe affluent pour les fêtes de fin d’année. Dans ce contexte 
particulièrement défavorable, les politiques 
libanais n’ont pas su épargner au Liban les retombées de la crise syrienne. Ils n’ont pas, non plus, procédé aux réformes qui auraient pu 
préserver le secteur touristique en le rendant plus attractif pour certains nouveaux clients comme les Russes, estime Ghazi Wazni. La classe politique libanaise devrait donc éviter de prendre parti pour une faction syrienne ou une autre et mettre les questions économiques et financières au nombre de ses priorités.

 

Le tourisme irakien
Pour le directeur de l’hôtel Mozart, Nimr 
Chelala, c’est le recentrage de l’activité de son établissement sur l’Irak qui lui a permis de maintenir sa rentabilité. «Les touristes irakiens viennent pour une nuit et finissent souvent par rester plusieurs jours, la plupart sont en visite ou suivent des traitements médicaux dans les hôpitaux libanais», affirme le directeur. Selon Ghazi Wazni, le Liban présente l’avantage de la proximité aux yeux des Irakiens, mais est perçu comme une destination assez coûteuse. D’autres facteurs ayant contribué à la progression du tourisme irakien (qui a grimpé de près de 4% cette année) seraient l’augmentation du nombre de vols vers l’Irak et des investissements libanais dans ce pays qui connaît un taux de croissance de 8 à 10% et produit entre 2 et 2,5 millions de barils de pétrole par jour. Un des obstacles majeurs à la progression du tourisme irakien à destination du Liban résiderait dans les mesures restrictives imposées aux demandeurs de visa irakiens.

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