Le 21 février au matin, l’atmosphère est des plus studieuses du côté du quartier Jisr el-Wati. Dans les locaux de l’association Ashkal Alwan, situés aux abords du Beirut Art Center, nombre de professionnels et personnalités du monde culturel se sont donné rendez-vous au chevet du patrimoine moderne arabe.
Pour la première fois au niveau régional, sous la houlette de la Fondation arabe pour l’image, de l’Association pour la musique arabe, du Centre arabe pour l’architecture et de la cinémathèque de Tanger, une journée marathon de conférences a été organisée dans le cadre de l’Observatoire du patrimoine moderne, le Moho.
Pour l’occasion, pas moins de dix-huit représentants d’institutions libanaises, égyptiennes, marocaines, irakiennes, italiennes, allemandes ou encore palestiniennes, se sont déplacés pour partager leurs compétences et expertises sur des sujets divers et variés, touchant à l’architecture, à l’image ou encore à la musique, dans un seul but: la préservation du patrimoine moderne dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena).
Car au rythme de l’évolution rapide des villes, le patrimoine moderne, celui du XXe siècle, a tendance à disparaître, relégué aux oubliettes, loin derrière les édifices des siècles passés, considérés «plus nobles» par certains. Pourtant, cet héritage culturel plus récent n’en est pas moins le témoignage d’une époque et d’un changement sociétal. Comme le remarque Caecilia Pieri, responsable de l’Observatoire urbain de l’Ifpo, «il faut se poser la question du rôle du patrimoine moderne dans l’identité». De son côté, Bernard Toulier, conservateur général du patrimoine au ministère français de la Culture, note que lorsqu’on parle de patrimoine, notamment au niveau de l’architecture, «on considère qu’il y a eu appropriation du bâtiment par la population, qu’il existe un lien social. Les édifices modernes racontent d’ailleurs toute l’histoire des techniques de construction, du béton au fer en passant par le verre», souligne-t-il. «Certes, nous ne pouvons pas tout protéger, mais nous émettons des labels, indiquant l’importance d’un héritage. Notre force, c’est de le dire à tout le monde: nous avons envie que nos enfants voient ces bâtiments, après, c’est une question de responsabilités qui incombe aux élus».
Alors qu’en France, les services du ministère de la Culture militent pour la préservation de son héritage moderne tel qu’il est (archives, site protégé ou architecture), les pays de la région Mena sont aux prémices de leur combat. «Le patrimoine moderne fait face à un conflit de théories quant à sa préservation, souligne Georges Arbid, directeur du Centre arabe pour l’architecture. Nous souhaitons aujourd’hui mener une action commune dans l’ensemble de la région pour essayer de préserver cet héritage, notamment en rassemblant toutes sortes d’archives. Nous devons coopérer ensemble avec la société civile et les chercheurs concernés, pour créer une plateforme nécessaire». «Plus que nécessaire, indispensable, reprend Caecilia Pieri. L’Observatoire moderne du patrimoine a toute son importante, il faut faire ce travail d’identification des acteurs présents. Nous sommes tous des maillons complémentaires».
Même urgence dans les propos de Zeina Arida, directrice de la Fondation arabe pour l’image. Depuis douze ans, son équipe a déjà collecté des dizaines de milliers de clichés et collabore régulièrement avec d’autres institutions. «Nous essayons de colmater les brèches dans la région, déclare-t-elle. Pour cela, nous avons besoin d’être impliqués pour comprendre la situation de la culture au Liban et dans la région». Un exemple à suivre, sûrement celui de la Cinémathèque de Tanger, qui au-delà de ses projections cinématographiques, produit un travail de récupération et de numérisation d’anciens films. Un autre exemple… peut-être celui de Sound of Iraqvisant à créer des archives sonores nationales iraquiennes, ou celui de Riwaq, dédié à la documentation et la préservation du patrimoine architectural en Palestine. Des initiatives qu’il serait bon de voir fleurir un peu partout dans la région de la Mena.
Quant à la préservation du patrimoine architectural, un sujet maintes fois abordé au Liban, Georges Arbid souhaite préciser qu’«il est primordial d’apporter des contre-projets et des propositions de reconversion aux cas de destruction du patrimoine, sinon le débat ne peut pas avancer».
Delphine Darmency