Magazine Le Mensuel

Nº 2872 du vendredi 23 novembre 2012

general

Gouvernement. Joumblatt casse la routine

Alors que les appels de l’opposition à la chute du gouvernement semblent se heurter à la volonté des puissances occidentales qui souhaitent maintenir le front libanais à l’écart des manœuvres régionales, les initiatives médiatrices de Walid Joumblatt, inspirées par le président Sleiman et désormais soutenues par Amine Gemayel, se précisent.

Le 14 mars n’obtiendra pas la chute du gouvernement Mikati dans la rue. Catalysée par le ressentiment de la communauté sunnite vis-à-vis du Hezbollah, l’exploitation de l’assassinat de Wissam el-Hassan et les manifestations violentes à Tripoli et à Saïda, la communauté internationale s’inquiète. En affichant son soutien à la politique de distanciation menée par le président Sleiman et le Premier ministre, elle envoie un message très clair à l’opposition. Pas question pour elle de voir se matérialiser au Liban une confrontation de ce type. Sans l’approbation des grandes puissances, le 14 mars s’est vu contraint d’infléchir sa stratégie. Elle était, à ses débuts, populiste et communautaire. Elle est, depuis plusieurs semaines, politique et institutionnelle. Plus question de se mettre à la table de ses adversaires. L’opposition boycotte le Parlement et refuse l’agenda de la majorité. S’il semble désormais s’atteler à la préparation des élections législatives, c’est parce qu’une autre initiative pourrait précipiter son calendrier.

Changement par le dialogue
En fin observateur des tendances politiques et diplomatiques, Walid Joumblatt a, comme à son habitude, flairé le bon coup. La semaine dernière, le chef du PSP appelait la classe politique à «réfléchir à une nouvelle formule gouvernementale capable de protéger le pays et de rassurer toutes les parties» afin d’accompagner «la phase d’attente de la chute inévitable du régime de Bachar el-Assad». Une initiative à évaluer en deux temps. Contrairement aux craintes d’une bonne partie de la population, le leader druze estime que la chute du régime syrien «aura pour effet de réduire l’ampleur des désaccords qui divisent les Libanais». Depuis, les entrevues à Baabda entre le chef de l’Etat et les ministres PSP Ghazi Aridi, Waël Abou Faour et Alaëddine Terro se sont multipliées. On connaît, depuis 2008, les motivations du parti. Il s’agit d’assurer la stabilité du pays, quelles qu’en soient les conséquences politiques. Hier, les retombées de l’acte d’accusation du TSL l’avait conduit à faire tomber le gouvernement de Saad Hariri. Aujourd’hui, les tensions qui traversent le pays l’obligent à proposer une alternative.
A cette initiative s’est joint Amine Gemayel. Après avoir redéfini ses rapports avec le commandement du 14 mars, le président des Kataëb a multiplié cette semaine les contacts avec bon nombre de dirigeants. Son objectif: sonder discrètement les partis pour la formation d’un nouveau gouvernement. Comme Walid Joumblatt, il confiera le résultat de ses discussions au président Sleiman qui décidera des suites à donner. Pour les Phalangistes, le locataire de Baabda détient la clé. En clair, si les résultats s’avéraient positifs, le chef de l’Etat appellerait à une table de dialogue. Dans le cas contraire, il abandonnerait l’idée. Les démarches du moment tendent à montrer qu’à Baabda, on estime que toutes les solutions sont envisageables. S’il est exclu que le gouvernement Mikati tombe par la force, une participation en son sein de l’opposition reste dans les tuyaux. Mais du côté du Hezbollah et de ses alliés, on ne l’entend pas de cette oreille.
 Dans la semaine, plusieurs sources ont confié que la direction du parti de Dieu avait envoyé à Joumblatt un message plutôt ferme dans lequel elle indique que seul le comportement de l’opposition menace la stabilité du pays. Aussi l’ancien ministre Wiam Wahhab aurait même demandé au leader druze d’édulcorer ses attaques contre Bachar.
 
Le 8 mars garde la main
Pour l’ex-opposition, un changement de gouvernement est exclu. Elle estime que les tentatives de mobilisation populaire du 14 mars ont échoué et, surtout, que la communauté internationale a validé la politique étrangère qu’elle a adoptée. Lorsque le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a expliqué dans son dernier discours que «la Résistance fait preuve de grandeur d’âme en acceptant de dialoguer avec ce genre de personnes qui boycottent le dialogue», il ne dit pas autre chose.  
En réalité, l’équilibre actuel des forces a tué dans l’œuf un changement de gouvernement. Dans quelles conditions pourrait-il tomber? Tant que l’ex-opposition refusera cette éventualité, le gouvernement restera en place. Et tant que le 14 mars refusera de s’asseoir à la table de dialogue, les médiations, qui tournent aussi bien autour d’un gouvernement d’union que d’un gouvernement neutre, resteront lettre morte. De surcroît, parce qu’il estime que le vide politique serait un trop gros risque à prendre, Walid Joumblatt ne démissionnera pas.
A Paris, Najib Mikati a indiqué que trois conditions devaient être réunies pour une ébauche de solution, le retour à la table du dialogue, un accord national sur la composition de l’équipe gouvernementale et sur la loi électorale.
C’est, plus certainement à l’horizon 2013, qu’une évolution de la situation politique du pays devrait intervenir. Les manœuvres ont déjà commencé. En début de semaine, l’ancien ministre Elias Skaff s’est rendu à Riyad, à l’invitation des dirigeants saoudiens, où il a rencontré le ministre des Affaires étrangères, l’émir Saoud el-Fayçal. La visite, a-t-il précisé «n’a aucune dimension électorale ou politique interne». Pourtant, l’émir a mis en avant «les relations historiques et privilégiées entre son pays et les Skaff». L’Arabie saoudite a-t-elle décidé de mettre tout son poids dans la bataille électorale? L’ambassadeur saoudien au Liban, Ali Awad Assiri, a multiplié ces derniers jours les visites auprès de plusieurs dirigeants politiques, notamment Sami Gemayel et Michel Murr. Ce regain d’activité montre deux choses. En préparant les élections, l’opposition et le parrain saoudien entérinent, par voie de conséquence, le fait que le gouvernement serait quasiment impossible à faire tomber. Et cela signifie surtout qu’il est de plus en plus probable que les législatives aient lieu à la date convenue.
La volonté gouvernementale et internationale de préserver le Liban des affres de la crise syrienne conduit les leaders politiques du pays à se projeter vers les échéances électorales de l’année prochaine. Il y a quelques semaines encore, il était périlleux de voir aussi loin. Bien que la tension soit encore très forte, le statu quo qui règne dans le pays donne un peu d’air. L’un des avantages de l’équilibre de la terreur, sans doute.

 

Julien Abi-Ramia
 

Mikati à Paris
Lundi matin, le Premier ministre s’est rendu à Paris pour une visite de trois jours qui suit celle du président français François Hollande au Liban. Au cours de cette visite, Najib Mikati a demandé à Paris «son soutien à la politique de distanciation du Liban par rapport au conflit syrien» qu’elle lui a accordé sans ambages, craignant une «contamination» de la crise syrienne.
 Il aura d’abord rencontré son homologue, Jean-Marc Ayrault, à Matignon pour la signature d’une convention culturelle portant sur la contribution de la France à l’aménagement de la Bibliothèque nationale de Sanayeh  et d’un «protocole d’accord» signé entre Marie-Christine Saragosse, présidente de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), et le ministre libanais de l’Information, Walid Daouk.
 Mikati a ensuite rencontré le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, avec lequel il a été notamment question de la loi électorale.
Mardi, le chef du gouvernement s’est entretenu avec le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. Il a notamment été question, en plus du dossier libanais, des dossiers de Gaza et de l’Iran. Mercredi, il a clôturé sa visite par une entrevue avec le président Hollande à l’Elysée.

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