Magazine Le Mensuel

Nº 2856 du vendredi 3 août 2012

En Couverture

Crise syrienne. Deux sons de cloche au Hezbollah

A sa fondation, au début des années 80, le Hezbollah avait entretenu des relations tumultueuses avec le régime de Damas. Ce n’est qu’avec l’accession de sayyed Hassan Nasrallah à la tête du parti, en 1992, que les rapports se sont stabilisés puis normalisés. Qu’en est-il aujourd’hui de la position des responsables du Hezbollah face à la crise syrienne? Soutiennent-ils unanimement, et sans retenue, le régime de Bachar el-Assad?

 

Le mouvement Amal-islamique, créé par Hussein Moussaoui, après une scission du mouvement Amal, en 1983, a donné le premier signal de l’existence de divergences et de tensions entre la Syrie et l'Iran, pourtant alliés contre l'Irak. L'actuel député du Hezbollah, proche de Téhéran, rompait ainsi avec le principal allié du régime syrien au Liban, Nabih Berry, dont la ligne de conduite et la vision ne correspondaient pas, aux yeux de l'Iran, à l’exportation des idéaux de la révolution islamique. Or, Damas et Téhéran se trouvaient dans une même tranchée face aux ambitions expansionnistes de Saddam Hussein, soutenu par les monarchies du Golfe. Pour le président syrien de l'époque, Hafez el-Assad, le Liban était sa chasse-gardée. Il n’appréciait guère l’infiltration iranienne dans le sillage de l’invasion israélienne du Liban, en 1982. L'apparition d'Amal-islamique a été suivie d'une décennie riche en malentendus et en conflits. L'incident le plus marquant reste, sans doute, l’affront infligé aux «observateurs» syriens dans les rues de Beyrouth, en 1986, par des membres du Hezbollah. Cette humiliation a été vengée, en 1987, lorsque les troupes syriennes sont revenues dans la partie ouest de la capitale, par le massacre de la caserne de Fathallah (Basta), où treize membres du Hezbollah ont été exécutés face au mur et les yeux bandés. Ce n’était pas seulement une vengeance mais un signal fort lancé par les Syriens soucieux de montrer qu‘ils étaient à nouveau les maîtres du jeu.
Quelques mois plus tard, le président Hafez el-Assad promettait aux Occidentaux, après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, et l’exil forcé du général Michel Aoun, qu’il n’y aura plus d’enlèvements d’otages étrangers au Liban. Mais le Hezbollah, conduit à l'époque par Sobhi Toufayli, ne voyait pas les choses du même œil. Quand un journaliste occidental est kidnappé en 1991 et emmené dans la banlieue sud de Beyrouth, la réaction de Damas est dure: «Vous avez 24 heures pour libérer l’otage, sinon nous entrerons le libérer nous-mêmes». Avant le chant du coq, le dernier otage occidental retrouvait la liberté. Cet affront a provoqué de graves fissures au cœur du Hezbollah. Ce serait l’une des principales raisons de l'éviction de Toufayli de son poste et de l’élection d’un nouveau secrétaire général, Abbas Moussaoui, plus conciliant avec Damas.

Nasrallah réorganise les priorités
Après l'assassinat de Moussaoui, par un hélicoptère israélien à Taffahta, au Liban-Sud, en février 1992, c’est Hassan Nasrallah qui prend le flambeau. Le nouveau secrétaire général est décidé à mettre fin à toutes les tensions avec le régime syrien, au nom de la priorité du combat contre Israël. Il écarte les dirigeants, toujours hostiles à cette réconciliation, en prélude à une alliance qu'il souhaite solide et durable.
Vingt ans se sont écoulés, et une nouvelle génération prend les rênes du parti, parmi lesquels, sayyed Hachem Safieddine, Nabil Kaouk, Hussein Khalil. Alors que tout laissait croire que les démons du passé étaient morts et enterrés, l’assassinat du très influent et charismatique chef militaire Imad Moghniyé, alias Hajj Radwan, à Damas en février 2008, a fait ressurgir des interrogations sur cette alliance que l’on croyait indéfectible. Les circonstances très mystérieuses de cet attentat, -le beau-frère de Bachar el-Assad, le général Assef Chawkat était l’officier de liaison avec Hajj Radwan- ont poussé certains hauts responsables du Hezbollah à se poser des questions sur de possibles implications ou complicités au sein du régime syrien.
L'éclatement de la révolte populaire de mars 2011 et la militarisation du mouvement de contestation qui en a découlé, ont fait remonter à la surface les appréhensions et la méfiance de certains responsables du Hezbollah à l'égard du régime syrien. L’enlèvement de onze pèlerins libanais chiites, proches du Hezbollah, dans la région d’Alep, le 23 mai dernier, a poussé certains cercles dirigeants du parti à se demander s’il ne serait pas plus utile de prendre les distances avec un régime qui ne pourrait pas, sur le long terme, faire face à toutes ces pressions internes et externes. Une source proche du Hezbollah a indiqué à Magazine que «suite au cafouillage qui a entouré la libération avortée des pèlerins et les remerciements adressés par Hassan Nasrallah au gouvernement syrien, les rebelles ont décidé de se venger en suspendant les négociations de leur libération et ont réclamé des excuses au secrétaire général. Ce développement a surpris le commandement du parti, le forçant à prendre plus de recul et à ordonner à tous ses responsables de cesser les déclarations publiques, surtout au sujet des développements en Syrie, poursuit la même source. Ceci ne veut pas dire que le Hezbollah a décidé de changer de camp ou d’abandonner le régime de Bachar el-Assad, mais simplement que la situation nécessite l’adoption d’une nouvelle stratégie. Des questions ont été soulevées par certains responsables du Hezbollah «sur l’utilité du maintien de cette alliance alors que tout laisse prévoir l’effondrement du régime».
Il est logique, qu’au moment où le régime syrien semble toucher le fond, la branche iranienne du Hezbollah reprenne le dessus. Mais qui sont au juste ces responsables du parti hostiles au régime du Baas, et quel est leur poids réel? Une source proche du parti qui a requis l’anonymat précise que le clan en question était très influent. «A la tête des responsables du Hezbollah, qui n’ont jamais été appréciés par Damas et qui, à leur tour, le lui rendaient bien, trône cheikh Naïm Kassem, le numéro deux du parti, indique la source. Il n’est, cependant pas seul. A ses côtés se trouvent cheikh Mohammad Yazbek, responsable de la région de la Békaa, l’un des représentants de l'imam Ali Khamenei au Liban et cheikh Ibrahim Amine el-Sayyed, chef du bureau politique. Ce dernier, avait remplacé à ce poste Hussein Khalil, jugé trop proche de Damas dont la mise à l’écart n’avait pas plu à sayyed Nasrallah, qui l’a nommé son conseiller politique personnel. Ce clan ne peut pas être considéré comme anti-syrien, mais plutôt pro-iranien. En d’autres termes, le cheikh Kassem considère que l’alliance avec la Syrie doit être fondée sur des intérêts et que les relations bâties avec Téhéran doivent toujours être placées à un tout autre niveau».

Les critiques s'intensifient
Toujours selon la même source, les critiques de ces responsables contre le régime syrien se sont multipliées et sont devenues plus pressantes après les événements de Damas. «Mais vous ne les entendrez jamais crier cette opinion haut et fort, déclare la source précitée. Ils préfèrent exprimer leurs désaccords pendant les réunions internes. Certes, leur poids est important, mais le dernier mot revient à sayyed Nasrallah, qui prône une position irréprochable sur la question syrienne».

Le journaliste Ali el-Amine, spécialiste du Hezbollah, explique à Magazineque le parti est certes idéologiquement opposé au régime syrien, mais que cela ne les a pas empêchés d’unir leurs forces ces dix dernières années. «Le Hezbollah, dit-il, n’est pas dirigé par son appareil politique, mais par sa machine militaire et sécuritaire, chapeautée par sayyed Hassan. Les noms des dirigeants militaires ne sont pas connus, à part celui de Moustafa Badreddine, recherché par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) pour son implication présumée dans l'assassinat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Quoi qu’il en soit, l’Ayatollah Khamenei a reçu récemment une délégation du parti qui voulait connaître sa position par rapport à l’avenir des relations avec la Syrie après l’éclatement de la révolte. Sa réponse fut sans équivoque: au lieu de vous lamenter sur cette question, vous devez travailler de toutes vos forces pour empêcher la chute du régime de Bachar el-Assad».
Soucieux de se protéger de toute infiltration israélienne, les officiels du parti ne souhaitent guère débattre de cette question. Leurs craintes s’avèrent justifiées, puisqu’à fin juillet, une nouvelle cellule à l’intérieur du parti opérant au profit du Mossad avait été démantelée. Les derniers événements en Syrie ont ranimé le feu des anti-Syriens qui ont haussé le ton et se sont fait entendre de nouveau après des années de silence, sans pour autant oser braver les directives de l’Ayatollah Khamenei et du secrétaire général du parti qui restent les seuls maîtres du jeu. D’ailleurs, après l’assassinat du ministre syrien de la Défense et du beau-frère du président Assad, le 18 juillet, sayyed Hassan Nasrallah n'a pas hésité à saluer publiquement ses «compagnons d’armes». Une déclaration qui montre que le secrétaire général a tranché le débat et que l’alliance avec le régime syrien tiendra tant que le président Assad restera au palais des Mouhajirines.

Walid Raad

 

Trois questions à Robert Rabil
Directeur du centre d’études supérieures en sciences politiques au Florida Atlantic Universityet expert de la Syrie et du Hezbollah, Robert Rabil est l'auteur de plusieurs livres dont La Syrie, les Etats-Unis et la guerre contre le terrorismeLa religion, l’identité nationale et confessionnelle au Libanet Le défi des islamistes. Magazine l'a interrogé.

Le Hezbollah est-il plus proche de l’Iran ou de la Syrie?
Le Hezbollah est, avant tout, un allié stratégique de l’Iran. N’oublions pas que sayyed Hassan Nasrallah a été récemment nommé un des représentants de l’imam Ali Khamenei au Liban et que les liens avec l’Iran sont d'ordre idéologique et religieux. De plus, le parti est financé et armé directement par Téhéran, qui a répété à plusieurs reprises que les Gardiens de la révolution iranienne étaient représentés au Sud-Liban par les combattants du Hezbollah. Avec la Syrie, l’alliance est basée sur des intérêts communs et sur une opposition au projet américain et israélien dans la région. Donc, on ne peut pas comparer la nature des deux relations qui sont complètement différentes.

A sa fondation, le Hezbollah comprenait une branche farouchement anti-syrienne. Existe-t-elle toujours?
La période de Sobhi Toufayli est révolue. Il est cependant évident que la relation entre les deux parties a connu plusieurs bouleversements. En général, on peut dire que la période de Bachar el-Assad est différente de celle de son père Hafez, qui préférait garder ses distances avec le parti chiite, ce qui n’est pas le cas de son fils.

Qu’est-ce qui peut lier un parti religieux comme le Hezbollah à un régime laïque comme celui du Baas?
Le parti de Dieu est très pragmatique et s’adapte avec habileté aux réalités politiques. Ce qui lie les deux camps, ce sont les intérêts communs. Mais je suis sûr que les dirigeants du Hezbollah ont, d’ores et déjà, imaginé un plan B au cas où le régime de Damas s'effondrait. Ils sont en train d’analyser comment la chute du régime syrien pourrait les affecter afin de prendre les mesures nécessaires.

 

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