Magazine Le Mensuel

Nº 3083 du vendredi 3 novembre 2017

Salon du livre

François Roux, chef du Bureau de Défense du TSL. «Le procès aurait dû être plus rapide»

En marge du Salon du livre, Magazine a rencontré Me François Roux. Eminent avocat et Chef du bureau de la défense pour le Tribunal Spécial pour le Liban. Il est l’auteur de Justice Internationale, la parole est à la défense.

La justice pénale internationale est l’objet de très sérieuses critiques, quel regard portez-vous sur ces critiques et de quelle manière contribuent-elles à son évolution (de la justice internationale)?
Je répondrai volontiers par le dicton «Qui aime bien châtie bien». Si la justice pénale internationale est critiquée c’est certes parce qu’elle mérite ces critiques, mais aussi parce que l’on a besoin d’elle. Ces critiques sont à la fois la marque de l’espérance qu’elle porte en elle, et en même temps des déceptions qu’elle ne devrait pas susciter. Cette justice pénale internationale n’a que 25 ans. Malgré tous ses défauts de jeunesse, elle représente un idéal qu’il faut encourager, qu’il faut améliorer sans cesse, particulièrement en ce qui concerne la procédure et le droit utilisés. C’est la responsabilité de tous ceux qui en ont été les pionniers. J’en fais partie et je travaille tous les jours, avec beaucoup d’autres, à proposer des solutions pour tenter de corriger ses manques, notamment au regard du respect de la diversité des cultures qui doit être conçue comme un enrichissement et non comme un handicap. Nous avons ainsi tenu une conférence à Madrid le 29 septembre sur le thème, Construire dès aujourd’hui la justice pénale internationale du XXIIème siècle. Nous y avons fait plusieurs propositions, appelées «Les 10 propositions de Solpérières» pour améliorer les procédures et les rendre plus efficaces, moins coûteuses et plus compréhensibles. C’est un long chemin, parfois aride, mais comme disait Jaurès, «les seuls combats perdus sont ceux que l’on n’a pas menés». Je vous renvoie à la tribune que j’ai publiée sur ce sujet dans Le Monde du 28 août dernier, intitulée «Il faut changer la philosophie de la justice pénale internationale».
 
Pour ce qui est des moyens, le nombre d’effectifs du TSL a-t-il évolué ? Est-il suffisant pour réaliser votre mission?
Comme vous le savez, malgré le progrès important que représente la mise en place d’un bureau de la défense comme organe indépendant au même titre que le bureau du procureur, il est notable que le budget de la défense reste moins de la moitié de celui du procureur. Ce n’est pas satisfaisant et il est temps de rééquilibrer ces deux budgets en donnant un peu moins d’un côté et un peu plus de l’autre pour respecter le principe de l’égalité des armes. Comme l’on doit rééquilibrer les fonctions de ces deux chefs d’organe.
 
Comment fonctionne l’antenne du TSL à Beyrouth? A-t-elle permis d’améliorer les liens avec ceux qui travaillent sur place ou avec le gouvernement?
Le bureau de la défense dispose, sous ma responsabilité, d’un officier de liaison en charge de toutes les questions relatives à la défense et notamment de la coopération avec les autorités libanaises. Cette coopération a fait d’importants progrès. Mais sur ce point aussi nous ne sommes pas à l’équilibre avec le bureau du procureur qui dispose de moyens humains beaucoup plus conséquents.
 
Il y a une dimension très particulière de ce tribunal qui a été mise en œuvre: la possibilité de tenir un procès par défaut, sans les accusés. Cela discrédite-t-il la procédure?
Je suis favorable à la procédure par défaut. C’est un progrès pour la justice pénale internationale. Comme la possibilité pour les victimes de participer au procès, c’est un apport très positif du droit romano-germanique.
Si le procès par défaut avait existé dans les premiers tribunaux (ex-Yougoslavie, Rwanda) ceux-ci auraient pu juger les accusés en fuite. Bien entendu, il vaut mieux pour la justice que les accusés soient présents, et qu’ils puissent faire valoir leurs droits et leur défense. Mais faute de cela, il est bon que la justice puisse remplir sa mission de juger, tout en laissant la possibilité aux accusés de demander un nouveau procès s’ils venaient à être arrêtés.
Le procès par défaut est plus difficile pour les avocats, qui n’ont pas de contacts avec les accusés et donc aucune information de leur part. Mais les avocats que j’ai nommés sont de grands professionnels et ils font un excellent travail. Selon la belle formule de Me Jean Boudot, un avocat français: «défendre, c’est ne rien accepter pour acquis qui n’ait été soumis au crible de la critique». C’est ce que les avocats au TSL font tous les jours.
 
La décision judiciaire du TSL mettra un point final à un long débat au Liban. De par votre expérience, cela contribuera-t-il à clore le débat ou au contraire à exacerber les divisions?
«La paix, c’est le fruit de la justice» disait Gandhi. Aux juristes, procureurs, juges et avocats de faire en sorte que justice soit rendue, aux autorités politiques et aux citoyens d’en retirer le fruit, pour la paix sociale. J’ajoute qu’en participant au processus de justice, les avocats, dont le rôle est trop souvent incompris, participent eux aussi à l’établissement de la paix. J’ai coutume de dire que les avocats sont à la justice ce que les casques bleus sont au maintien de la paix: indispensables.

 

On parle souvent de l’existence d’un chantage de la stabilité contre la justice.  Cela affecte-t-il le travail des tribunaux internationaux et celui de la défense?
Je réponds comme à la question précédente. J’ajoute que la justice tente d’établir la vérité mais qu’il s’agit d’une vérité judiciaire et non, absolue. L’important est que pendant le procès, tout ait pu être débattu de manière contradictoire. Ainsi, au-delà du jugement lui-même, qui fait autorité bien sûr lorsqu’il devient définitif (sous réserve d’un nouveau procès), chacun peut se forger sa propre opinion et c’est tout l’intérêt des débats publics. Par contre, il est évident que les procédures doivent être améliorées pour que les procès soient plus rapides. Les textes existent, il suffit de les mettre en application.
 
Quand peut-on s’attendre à un verdict? Après ce long délai, aura-t-il la même valeur?
Il n’est pas possible de se prononcer sur une date. La seule certitude est qu’il y aura un verdict, ce qui en soit est déjà un énorme progrès par rapport à nombres d’affaires semblables, au Liban et ailleurs, qui n’ont jamais été jugées. Mais une fois encore, je maintiens, qu’avec les règles de procédure dont disposait le tribunal, le procès aurait dû être plus rapide.

Mona Alami

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