Magazine Le Mensuel

Nº 3089 du vendredi 4 mai 2018

Société

Enterre-moi mon amour. Nour, en route vers l’Europe

Enterre-moi mon amour (Bury me, my love) est une histoire d’amour, d’espoir et d’exil racontée au moyen d’une fiction interactive sur Smartphone. Elle invite le lecteur à s’infiltrer dans le quotidien d’une migrante syrienne en route pour l’Europe.

Homs ploie sous les bombes, semant la mort dans la ville. Lorsque sa sœur jumelle s’ajoute à la déjà longue liste des victimes, Nour, 27 ans, étudiante en médecine avant que la guerre n’éclate, n’en peut plus. Elle décide de fuir coûte que coûte vers l’Europe, pour y trouver, peut-être, une vie meilleure. Elle laisse derrière elle son mari, Majd, 29 ans, qui refuse d’abandonner sa mère et son grand-père dans un pays à feu et à sang. Le 4 mars 2016, Nour s’embarque donc dans un camion, direction l’Europe. Au moment des adieux, Majd lui chuchote à l’oreille, dans un souffle, «Enterre-moi, mon amour», l’implorant ainsi de prendre soin d’elle. La jeune femme s’en va, seulement reliée à sa terre natale et à son mari par une application de messagerie installée sur leurs Smartphones. Elle lui fera partager son quotidien de migrante, ses doutes, ses peurs, ses angoisses, minute par minute. Lui l’encourage et l’aide, en la conseillant au mieux de ses possibilités. Nour réussira-t-elle à franchir tous les obstacles qui la séparent d’un eldorado fantasmé?

En temps réel
A travers cette fiction interactive disponible sur Smartphone depuis novembre 2017, les concepteurs du jeu, The Pixel Hunt et Figs (coproduction Arte France) tentent de reproduire le plus fidèlement possible le quotidien d’une réfugiée. «Troublante de réalisme», cette œuvre hybride propose à tout un chacun d’incarner Majd. Comme lui, nous recevons des messages et des notifications de Nour sur notre téléphone. La jeune femme, nous tiendra informé de son périple périlleux. Comme sur une application de messagerie classique, Nour enverra des SMS, selfies, photos, nous embarquera avec elle pour trois heures de bateau, nous fera part de ses difficultés face à des passeurs plus ou moins bien intentionnés, de ses rencontres, de ses doutes. Autant dire que son aventure sera difficile, semée d’embûches. Ce sera donc à nous, le «joueur» de l’assister sur sa route, en la conseillant sur les choix à faire, en optant pour l’une ou l’autre des propositions de réponses affichées à l’écran. Il pourra s’agir de l’aider à trouver un hébergement pour la nuit, de savoir à qui se fier, autant de choix que nous devrons faire en se fiant à notre instinct. Mais Nour étant une jeune femme au caractère bien trempé, elle ne suivra pas toujours les conseils qui lui sont prodigués. Il arrivera même que Nour nous laisse sans nouvelles, pendant 48 h, sans que l’on sache si elle est toujours vivante. Parviendra-t-elle à atteindre son but?
Pour concevoir ce jeu qui entre dans la catégorie des «serious games», Florent Maurin et Pierre Corbinais, les auteurs de Enterre-moi mon amour, se sont inspiré de faits réels. Et plus particulièrement d’un article, paru sur le site du Monde.fr, dans lequel la journaliste Lcie Soullier avait reconstitué le périple de Dana S., une réfugiée syrienne qui vit aujourd’hui en Allemagne, à travers son fil Whatsapp. Les deux femmes ont d’ailleurs tenu un rôle crucial dans la conception du jeu, en conseillant les auteurs lors de l’écriture, afin de le rendre le plus crédible possible. «Nous nous sommes appuyés sur diverses sources et sur l’expérience de Dana qui a relu et validé l’intégralité des 110   000 mots que nous avons écrits», précise ainsi Florent Maurin.
Outre les dialogues très réalistes, les concepteurs ont insisté sur la communication en temps réel, entre Nour et Majd. Ainsi, les conversations se font en pseudo temps réel: si Nour doit accomplir une action censée lui prendre quelques heures — comme une traversée en bateau —, elle sera alors injoignable pendant ce laps de temps. Une fois l’action finie, une notification signale que la jeune femme est de nouveau en ligne.

Une aventure humaine
Pour les auteurs, il ne s’agissait évidemment pas que de concevoir un nouveau jeu vidéo. Mais plutôt de transcrire la complexité de la situation des migrants et la diversité de choix auxquels ils sont confrontés lors de leur périple. L’application propose ainsi pas moins de 19 fins possibles. Pour cela, ils ont imaginé un système narratif s’articulant autour de trois mécaniques de base. Selon les différents scénarii qu’ils ont intégré, le voyage de Nour pourra prendre quelques jours comme plusieurs mois. Lors de chaque parcours, un compteur indique les jours qui passent, comme autant de chapitres qui se tournent. La jeune femme pourra ainsi, à l’instar des migrants réels, se trouver face à une frontière verrouillée ou attendre un passeur qui ne viendra jamais. Le joueur pourra lui venir en aide en lui proposant d’autres itinéraires, en gérant les émotions de Nour, son moral, sa relation avec Majd, son budget, etc.
Disponible sur App store et Google Play, le jeu  a été plutôt bien accueilli par les amateurs de «serious game». Nombre d’entre eux saluent une «expérience émouvante» dont ils ne ressortent pas indemnes, un «jeu intelligent et inoubliable qui ne tombe pas dans la victimisation». Et, surtout, une aventure humaine, pour comprendre, d’un peu plus près, le calvaire des réfugiés sur les routes, en quête d’une vie meilleure.

Jenny Saleh

 

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