La culture n’a jamais été aussi présente sur la scène locale, c’est un fait indéniable; il suffit de jeter un coup d’œil sur le nombre d’activités culturelles que le pays nous propose, de jour comme de nuit. Festivals, musique, cinéma, théâtre, expositions… à Beyrouth ou en région, la culture est là, à portée de main. Notre agenda d’événements culturels est à tel point chargé, surchargé que l’envie pointe parfois, souvent, de rester chez soi, un livre à la main, ou même un bon film sur notre petit écran.
Mais l’appel à sortir est urgent, parce qu’il est vital nous presse-t-on de tous côtés, de prendre part à cette résistance culturelle, la seule voie qu’il nous reste encore, porteuse d’ouverture, de diversité, de tolérance, si l’on veut bien tendre le regard et l’oreille. L’invitation est ouverte, tout aussi bien au public, plus pressante de ce côté, qu’aux acteurs de la scène culturelle. Et Beyrouth s’anime, dans l’effervescence et la créativité effrénée, dans les projets et les concepts, les installations et les «mixed medias» qui conditionnent désormais toute création artistique contemporaine. Les régions du pays commencent aussi à être atteintes par le phénomène de mode qu’est devenue la démocratisation de l’art, l’art à portée de tous, que moult associations prétendent en être les championnes, au point de le porter à cor et à cri.
Chez un grand nombre d’acteurs culturels, on entend souvent formuler le souhait de rassembler tous ces élans créatifs, toutes ses initiatives privées, sous un même chapiteau, dans un même mouvement fédérateur, mais faisant, à chaque fois, face à l’égo des Libanais qu’il est impossible de rassembler. Cela est dû en grande partie, hélas, à une incompréhension étatique très proprement libanaise de la centralité sociale de la composante culturelle et artistique. Loin de voir dans ces quelques mots une atteinte à la vitalité créative de nos artistes, et des organisateurs d’initiatives culturelles, il s’agit de se demander ce que pourrait cacher cette frénésie. Axé sur la création en soi, sur l’objet créatif, on pourrait y lire un désintérêt des affaires de la cité, de la culture dans son aspect le plus large. Peut-être.
Mais là où le bât blesse, c’est que la profusion des activités, générée par la généralisation dangereuse et néfaste du phénomène d’appropriation de l’identité de l’artiste, ne laisse plus le temps à la réflexion, à la critique, à laisser ces œuvres tracer leur chemin dans notre esprit, pour vraiment s’en approprier, et percevoir ce qui est dit frontalement ou entre les lignes. Etant sollicités de toutes parts, les œuvres artistiques défilent devant nos yeux à une vitesse surprenante, prises elles aussi dans l’étau hallucinant de la consommation, du consumérisme, d’une offre plus grande que la demande. Nous voilà vite essoufflés, voire repus de la culture et des arts. Alors même que ces œuvres poussent à des questionnements, à des interrogations sur l’état du monde. A peine vues, les voilà remplacées par d’autres, sans qu’on n’ait eu le temps d’en garder une trace indélébile. La culture va au-delà de l’émerveillement de l’instant, elle est ancrage et enracinement. Le reste n’est que spectacle.
Nayla Rached
Journaliste culturelle