Magazine Le Mensuel

Nº 2848 du vendredi 8 juin 2012

Moyen-Orient

Crise syrienne. Poutine et Assad inflexibles

Après le massacre de Houla, les Occidentaux ont donné de la voix, évoquant pour certains une possible intervention militaire en Syrie, sous mandat de l’Onu. Pour l’Occident, le plan Annan est plus que jamais mort-né. Une perspective qui n’a pas fait plier Vladimir Poutine, demeuré inflexible lors de sa tournée européenne.

 

Pour sa première apparition publique depuis six mois, Bachar el-Assad a choisi de s’exprimer devant le nouveau Parlement issu des élections du 7 mai. Longuement applaudi par les nouveaux députés, il s’est montré plus que jamais inflexible. Dans son discours de dimanche, il a dénoncé, une nouvelle fois, «un complot terroriste tramé à l’étranger» et estimé que la Syrie affronte «un plan de destruction»imaginé depuis l’étranger. L’opposition et les rebelles sur le terrain en ont aussi pris pour leur grade, Assad déclarant que les terroristes «ne sont pas intéressés par le dialogue ou les réformes. Ils sont chargés d’une mission et ne s’arrêteront que s’ils l’accomplissent ou si nous arrivons à les arrêter». Bref, une nouvelle fois, le président syrien a réitéré sa volonté de venir à bout de la résistance armée, répétant qu’il «n’y aura pas de compromis dans la lutte contre le terrorisme». Le massacre de Houla qui a, rappelons-le, fait 108 morts dont 49 enfants le 25 mai dernier, a été selon Assad perpétré par des «monstres». Le président syrien a, au passage, démenti une quelconque implication de l’armée syrienne.
Bachar el-Assad peut, pour l’heure, se permettre de rester inflexible, malgré l’intensité croissante des combats sur le terrain. Car son allié de toujours, la Russie, continue de le soutenir, plus que jamais même, au grand dam des Occidentaux. Vladimir Poutine, en tournée en Europe, ne s’est en effet pas laissé atermoyer par les chancelleries occidentales, au premier rang desquelles se trouve la France. Pour leur première rencontre, François Hollande et Vladimir Poutine ont chacun campé sur ses positions. Face au nouveau président français qui affirmait, lors d’un point presse à l’Elysée, qu’il n’y avait pas de solution en Syrie «sans départ de Bachar el-Assad», car le régime «s’est conduit de manière inacceptable, intolérable» et a «commis des actes qui le disqualifient», Poutine s’est montré agacé, mais toujours aussi déterminé dans son soutien sans faille au régime Assad. Le président russe a même noté, ironique, que par le passé, Bachar el-Assad s’était plus souvent rendu à Paris qu’à Moscou…
Ferme et déterminé, Poutine a réaffirmé que la solution à la crise syrienne ne pouvait être que politique et que rien ne pourrait être obtenu par la force. «Les sanctions sont loin d’être toujours efficaces», a-t-il plaidé, affichant également sa volonté de «réconcilier toutes les parties du conflit». «Ce que nous devons faire, c’est empêcher que la situation évolue selon le pire des scénarios, et lutter contre la possibilité d’une guerre civile». A Hillary Clinton, la cheffe de la diplomatie américaine, qui accuse Moscou de livrer des armes à Damas, Poutine a répliqué en mettant en cause les aides financières et les armes fournies par l’étranger aux rebelles qui ont aussi leur part de responsabilité. «Combien de civils ont péri aux mains des autres, des rebelles, est-ce que vous avez compté ces pertes, il s’agit des centaines de personnes», a lancé le président russe, lors du point presse de l’Elysée.
Pour Moscou donc, mais aussi pour Berlin, la solution à la crise syrienne, ne peut donc être que «politique», via l’application du plan de paix de Kofi Annan. Contre vents et marées, et surtout contre les Occidentaux et les pays du Golfe qui estiment le plan Annan mort-né, Vladimir Poutine insiste, lui, pour que la «mission soit couronnée de succès». «Je considère contre-productif de déclarer à l’avance que sa mission est vouée à l’échec», ajoute-t-il. Le départ d’Assad du pouvoir ne résoudrait rien, selon lui. «Si on écartait du pouvoir un président en exercice, est-ce que vous croyez qu’il y aurait un bonheur total dans ce pays demain», a-t-il lancé, avant de répondre par la négative et d’évoquer les chutes de Saddam Hussein et de Kadhafi. Annan, de son côté, désespère, mais continue d’y croire.
Présent à la réunion de la Ligue arabe à Doha, samedi, il a reconnu que «la violence a atteint un niveau inacceptable» et que «le spectre d’une guerre totale, ayant une dimension confessionnelle inquiétante, augmente de jour en jour». L’ancien secrétaire général des Nations unies a estimé, devant ceux qui l’ont mandaté, que «l’heure approche d’un réexamen en profondeur (…). La communauté internationale doit décider de ce qu’elle veut faire désormais de mes consultations avec de nombreux protagonistes, il ressort clairement qu’on ne peut pas continuer comme ça».
La Ligue arabe a, au terme de sa réunion, demandé à l’Onu de fixer un calendrier pour l’application du plan Annan et de recourir au chapitre VII pour imposer une rupture des relations diplomatiques avec la Syrie, en effectuant «une suspension partielle ou totale des relations économiques, des liaisons ferroviaires, maritimes et aériennes».
Lors de sa rencontre avec Bachar el-Assad, le 29 mai dernier, Kofi Annan avait exhorté son hôte à prendre des «mesures courageuses» pour «appliquer» pleinement son plan de sortie de crise. Il a également souligné qu’il fallait aussi «que les autres parties fassent leur part du travail». Une allusion sans doute à l’opposition armée et au Conseil national syrien (CNS) qui n’appliquent pas les dispositions de la feuille de route, à savoir déposer les armes et entamer un dialogue. Du côté de l’Armée syrienne libre (ASL), les responsables ont annoncé la reprise de ce qu’ils qualifient d’«opérations défensives». Depuis sa base turque, l’ASL a décidé de boycotter le plan de paix formulé par l’émissaire spécial de l’ONU et de la Ligue arabe, selon une déclaration.  «Nous avons décidé de suspendre nos engagements (dans le cadre du plan Annan) et de défendre notre peuple dès aujourd’hui», a annoncé le porte-parole de l’ASL Sami el-Kurdi. L’impasse sur le terrain semble donc totale.
Comment donc une résolution à la crise syrienne pourrait être espérée si dans l’autre camp, le dialogue semble impossible? Bachar el-Assad, quels que soient les reproches qu’on peut lui faire, a tout de même cédé sur plusieurs points, dont l’arrivée des observateurs sur le terrain.
Kofi Annan, lui, devait défendre sa feuille de route ce jeudi, devant le Conseil de sécurité des Nations unies. L’occasion pour lui de demander un soutien plus ferme à son plan. Toutefois, l’issue de la réunion laisse peu de doutes. D’autant que les Américains estiment d’ores et déjà que le plan Annan est voué à l’échec. «Il est clair pour tous que les efforts internationaux sont probablement voués à l’échec», estime ainsi Andrew Tabler, expert auprès du Washington Institute for Near Policy. Même si les Etats-Unis ne sont pas prêts à s’engager dans une intervention militaire, élection présidentielle oblige, mais aussi compte tenu des risques géopolitiques. Selon le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, lundi soir, l’Administration américaine est persuadée que la Russie pourrait jouer un rôle important dans le processus du transfert pacifique du pouvoir du président syrien à l’opposition. «La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a clairement parlé du problème (des divergences) avec la Russie et de la nécessité pour ce pays de jouer un rôle constructif dans ce processus. Je peux répéter que, récemment, nous avons eu des divergences avec la Russie (sur la Syrie), mais actuellement, nous menons des consultations directes avec les Russes sur leur participation au processus devant aboutir aux changements politiques en Syrie», a indiqué Carney.
Pour l’heure, Moscou consolide ses liens avec Pékin, son allié contre l’Occident. Vladimir Poutine a effectué une visite de trois jours en Chine, au cours desquels la Syrie aura occupé l’essentiel des discussions. Les deux puissances se sont accordées sur leurs positions et leur soutien à Assad, d’autant que la Syrie sera sans doute au cœur des pourparlers du prochain G20 au Mexique, les 18 et 19 juin prochain.  Le porte-parole de la diplomatie chinoise, Liu Weimin, a répété la position du régime sur le dossier syrien, en accord avec la Russie, réitérant le souhait de voir s’ouvrir un dialogue politique le plus tôt possible.
Kofi Annan a, quant à lui, annoncé la couleur à la réunion de la Ligue arabe à Doha. Le mandat des observateurs de l’Onu expirant le 20 juillet prochain, il souhaite des décisions rapides. Sinon, a-t-il lancé, «le peuple syrien et la région entière — votre région — en paieront le prix».

Jenny Saleh

 

Qui succède à Ghalioun?
Après le départ, avec pertes et fracas, du président du Conseil national syrien (CNS) Burhan Ghalioun qui a posé sa démission,demeure la question épineuse de sa succession. Le futur président du CNS devrait être choisi au cours d’une réunion de son secrétariat général en Turquie, les 9 et 10 juin prochains. Selon Georges Malbrunot, journaliste au Figaro, un chrétien de Syrie en exil, Georges Sabra, pourrait lui succéder à la tête du CNS. A la condition sine qua none que les Frères musulmans syriens, lui donnent leur bénédiction. Mais l’affaire est loin d’être faite, les Ikhwan ne désirant pas avoir un non-sunnite à la tête du CNS. Sabra n’avait pas réussi lors du dernier vote du CNS à obtenir suffisamment de voix contre Ghalioun (11 contre 21). Toutefois, les Frères musulmans pourraient opter pour Sabra, histoire de rassurer les minorités chrétiennes de Syrie. Selon l’AFP, un autre candidat, plus consensuel, pourrait satisfaire tout le monde. Abdel-Basset Sayda, un Kurde, déjà membre du bureau exécutif du CNS, selon deux responsables du CNS. Sayda, originaire d’Amouda dans la province de Hassaka, mais exilé depuis longtemps en Suède, a rejoint le CNS comme «militant indépendant» et est président du bureau des droits de l’homme au sein du conseil. En parallèle, un groupe d’opposants syriens a annoncé lundi, depuis Istanbul, la création du Front des révolutionnaires syriens (FRS), qui revendique 12000 combattants sur le terrain. Selon Khaled el-Okla, membre du bureau politique du FRS, cette nouvelle organisation travaillerait en coopération avec l’Armée syrienne libre, et aurait obtenu le soutien du CNS.

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