Magazine Le Mensuel

Nº 2850 du vendredi 22 juin 2012

à la Une

Salman Ben Abdel-Aziz. Moins conservateur que Nayef

La mort de l’héritier du trône saoudien, le prince Nayef Ben Abdel-Aziz, huit mois seulement après avoir succédé à son frère Sultan, n’a pas surpris, vu la mauvaise mine de Nayef durant ses apparitions télévisées. Même si le flambeau a été vite passé au prince Salman, ces changements précipités risquent d’avoir des répercussions sur l’avenir de la monarchie.

Quelques semaines après avoir été choisi, en octobre 2011, par le conseil d’allégeance (la Bayaa) à la succession au trône, Nayef paraissait faible et fatigué. Agé de 79 ans, son état de santé inquiétait son entourage et ses proches. Depuis près de trois décennies, le ministre de l’Intérieur souffrait d’un cancer du colon. Il avait été traité à New York, sans grand succès. Au fil des semaines, son état de santé s’étant détérioré, il avait dû quitter le royaume, fin mai, pour Genève, afin d’y recevoir les soins nécessaires. Mais il était trop tard. Nayef laisse une famille nombreuse de trente-deux enfants et un grand vide au plus haut échelon de la monarchie saoudienne. Le demi-frère du roi Abdallah jouait un rôle primordial depuis les années 70 au ministère de l’Intérieur. Longtemps qualifié de conservateur, il n’avait jamais caché son hostilité envers la révolution iranienne et le régime qui en a découlé. C’était l’un des princes saoudiens les plus enthousiastes à l’idée de l’intervention militaire saoudienne à Bahreïn, pour empêcher la révolte populaire de renverser la monarchie des Khalifa. Sur le plan arabe, il aurait suggéré que son pays héberge le dictateur tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et sa femme Leila, et n’a jamais caché son mépris pour le Printemps arabe. Pour lui, la place de la femme se limitait au foyer et sa vision de la société saoudienne n’était pas compatible avec celle de son frère, le roi Abdallah, qui tente, depuis plus d’une décennie, d’introduire des réformes dans une société très conservatrice. Sur le plan interne, Nayef réprimait sévèrement les opposants à la monarchie, répétant devant ses proches que «chaque citoyen doit être un policier dans la rue et même chez lui». Le ministre de l’Intérieur était aussi considéré comme levéritable protecteur des Ulémas et des cheikhs Wahhabites.

Personnage controversé
Pour toutes ces raisons, la possibilité de voir Nayef un jour devenir monarque faisait grincer les dents des responsables américains, la succession en Arabie n’étant pas uniquement une affaire familiale ou régionale. Cette question intéresse plusieurs acteurs internationaux, notamment les Etats-Unis, vu l’importance géostratégique du royaume. On ne peut pas oublier que l’Arabie saoudite est le deuxième exportateur de pétrole au monde et qu’il abrite les plus grandes réserves de pétrole sur la planète. Mais cela ne veut pas dire que l’ancien héritier au trône n’était pas apprécié par certains milieux occidentaux, vu son implication dans la guerre sans relâche contre les membres d’al-Qaïda, qu’il a forcés à fuir le royaume et à se réfugier au Yémen.
Le royaume de Abdel-Aziz Al Saoud n’est pas habitué aux surprises, voilà pourquoi le ministre actuel de la Défense, le prince Salman, a été choisi comme héritier du trône et son frère Ahmad au poste de ministre de l’Intérieur. Selon Robert Lacet, auteur de l’ouvrage A l’intérieur du Royaume, Salman est le seul choix logique. «Les gens peuvent même dire que Salman fut un roi en attente pendant plus de vingt ans. Il a le charisme nécessaire et paraît être prêt à devenir le nouveau monarque».
A 76 ans, il est considéré le plus proche de la vision réformatrice du roi Abdallah. Il maintient de bonnes relations avec un grand nombre de leaders arabes, et il est bien perçu en Occident. Cerise sur le gâteau, il a toujours entretenu des rapports étroits avec les journalises à travers le monde arabe, lui qui détient une part importante dans lejournal al-Charq el-awsat, chose rare en Arabie. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne prend pas en compte les équilibres qui doivent être maintenus avec les tribus du pays et les différents centres de pouvoir. Gouverneur de Riyad pendant plus de cinquante ans, il a réussi à moderniser sa région. Une de ses dernières décisions en 2011 fut de chasser tous les mendiants qui, selon lui, ternissaient l’image de la capitale. Son nom ne suscite nulle discorde au sein de la famille royale. Il a toujours été un médiateur et il a réussi à résoudre en toute discrétion et à travers les années de nombreux litiges entre les fils de Abdel-Aziz, usant de sa diplomatie bien connue. Sa plus importante qualité reste sans aucun doute son honnêteté. Durant ses cinquante ans de gouvernance, il n’a jamais été impliqué de près ou de loin dans une quelconque affaire douteuse. Sur le plan personnel, il a perdu ces dernières années deux de ses fils, Fahd et Ahmad qui ont succombé à des crises cardiaques et il vient de perdre en 2011 sa première femme, Sultana Bint Turki Al Sudairi. Le prince ayant lui-même été victime d’une attaque cardiaque en 2011 a subi aux Etats-Unis en août dernier une opération de la colonne vertébrale.

Un choix logique
Si le choix de Salman est logique et devrait rassurer les principaux acteurs, il reste que son âge avancé laisse craindre la possibilité de voir le royaume faire bientôt face à un nouveau problème après la disparition des quarante fils de Abdel-Aziz Al Saoud. Dans ce cas, quels seront les éléments que les membres du conseil de l’allégeance devront prendre en compte pour élire le monarque, et lequel de ses innombrables petits-fils sera le plus apte à occuper cette fonction? Le fait que, contrairement aux monarchies d’Europe, le trône ne soit pas automatiquement transmis de père en fils, pourrait créer une certaine confusion car, jusqu’au dernier moment, le choix du prince héritier est soumis à d’énormes tractations. Selon Emad Mostaque, analyste économique basé à Londres, «le fait que la deuxième génération des Saoud n’ait pas encore présenté un héritier est une bonne chose. Aucun neveu de Abdel-Aziz n’a encore réussi à prendre les devants de la scène. C’est un élément positif pour les marchés financiers en général et pétroliers en particulier. En effet, le scénario possible pourrait créer des troubles à l’intérieur de la famille royale, ce qui aurait des effets néfastes sur les marchés».

 

Walid Raad

 

Le Conseil d’allégeance
Le successeur de Nayef aurait dû être nommé par le Conseil d’allégeance, formé de trente-cinq princes et présidé par le prince Mechaal Ben Abdel-Aziz, doyen de la famille. Ce conseil a reçu un coup dur après la démission de trois frères Talal, Meteeb et Abdel-Rahman en 2011, opposés à la nomination de Nayef comme héritier au trône. A la surprise générale, 24 heures seulement après l’enterrement de Nayef, le roi a nommé lui-même son successeur, se contentant d’informer la famille et le Conseil d’allégeance de son choix. Pourtant, Abdallah avait lui-même formé ce conseil pour éviter toute dissension au sein de la famille, mais l’exercice s’est avéré beaucoup plus compliqué.
 

De fils… en fils
Le royaume saoudien est dirigé depuis 1953 par les quarante fils du roi Abdel-Aziz Al Saoud. A la suite du décès du fondateur, son fils Saoud lui succéda jusqu’en 1964, année durant laquelle ce denier est écarté par son frère Fayçal. Contrairement à ses prédécesseurs, il prend ses distances avec Washington et soutient l’Egypte de Nasser et de Sadate financièrement dans sa lutte contre Israël. Il est assassiné en 1975 dans des circonstances qui n’ont toujours pas été élucidées. Son frère Khaled lui succède. Ce dernier s’intéressait peu aux affaires publiques, et le vrai pouvoir était entre les mains de l’héritier du trône, le prince Fahd. La mort du roi en 1983 marqua le début du règne officiel de Fahd qui s’est éteint en 2005 et a été remplacé par Abdallah, le premier roi non membre du clan sudairite. Vingt fils de Abdel-Aziz sont toujours en vie, le plus jeune d’entre eux étant Meqren, âgé de 66 ans.

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