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Nº 2849 du vendredi 15 juin 2012

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Un succès pour Michel Sleiman. Un dialogue de sourds… apaisant

Un an et demi après la dernière séance, le dialogue national a repris lundi. Si, en les réunissant autour d’une même table, le président de la République a réussi à calmer l’escalade, majorité et opposition sont loin d’avoir aplani leurs différends. Mais face aux critiques du 14 mars, les pôles qui composent le gouvernement ont affirmé leur unité et imposé leur vision des choses. Ils se réuniront à nouveau le 25 juin prochain.

Au sortir de ces deux dernières semaines, les leaders de la majorité doivent se réjouir du travail accompli. Après avoir conclu un pacte qui a permis la relance de l’action gouvernementale, ils ont quitté, renforcés de la dernière séance de dialogue. Après des semaines de débordements sécuritaires, qui ont plongé le Liban dans le chaos, le chef de l’Etat a su donner à cette session le caractère dramatique qu’imposait la situation. Appuyé dans sa démarche par ses partenaires de l’Exécutif et par le roi d’Arabie saoudite (voir encadré), le président a temporairement réussi à circonscrire les répercussions de la crise syrienne sur le Liban. Avec un tandem Sleiman-Mikati sûr de son fait, un Walid Joumblatt plus apaisé et un Hezbollah décidé à faire front, la séance de dialogue n’a pas permis à l’opposition, amputée à Baabda de son leader naturel Saad Hariri et du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, de faire entendre sa voix. Les 17 points de la déclaration de Baabda, qui fait office de communiqué final, en sont la preuve éclatante.
Lundi matin, à Baabda. Le premier des conviés au dialogue arrivé au palais présidentiel est le leader du Parti socialiste progres-siste. Avec l’aggravation de la situation dans le pays et, sans doute, afin de revenir à son positionnement médian, mis à mal par ses dernières prises de paroles sur la Syrie, Walid Joumblatt a rapidement été emballé par la proposition de Michel Sleiman. Le dernier des onze invités, le leader du Courant patriotique libre, Michel Aoun, est arrivé sur place à 11h. C’est derrière lui que la lourde porte en bois massif s’est refermée. La réunion a débuté par une minute de silence à la mémoire de Ghassan Tuéni, qui était membre du comité du dialogue. C’est le président de la République qui a ouvert la session. Il s’est livré, pendant plus d’une demi-heure, à une analyse extrêmement détaillée de la situation.
Trois lectures pour une conclusion. La réapparition du spectre de la guerre froide sur les dossiers internationaux comme le nucléaire iranien ou le dossier syrien aujourd’hui; la dégradation des relations irano-saoudiennes et le Printemps arabe; le renforcement politique du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et l’impact négatif de la crise syrienne sur le Liban «au point où elle risque d’avoir des conséquences sur l’entente nationale» conduisent à un seul et même constat: «Nous nous rapprochons du seuil dangereux et des risques de dérapage. La situation est effrayante, la communauté internationale s’inquiète, les pays arabes aussi. Beaucoup de Libanais résidants et émigrés ont peur. L’économie se contracte, les institutions sont bafouées, notamment les institutions sécuritaires et spécialement l’armée et la magistrature; le discours politique s’enflamme, les accusations réciproques sont lancées et n’ont pas épargné des instances religieuses et politiques, sans oublier qu’elles ont divisé les foyers».
A la lumière de cette situation alarmante, le chef de l’Etat s’est fixé trois objectifs: «Empêcher la crise syrienne de se répercuter sur le Liban, empêcher l’effondrement de la confiance dans les institutions, et établir un climat propice à la visite que doit effectuer le pape au Liban en septembre».
Les interventions suivantes des pôles de la majorité se sont concentrées sur la situation en Syrie et les correctifs fondamentaux à apporter pour remettre l’Etat et la société en ordre de marche.
Le Premier ministre, Najib Mikati, a pris la suite en estimant que «c’est dans les accords de Taëf que nous trouvons les meilleures fondations pour construire un Etat fort». Plus loin, il explique qu’il est «de notre devoir de prévenir les répercussions de la crise en Syrie».
Troisième à prendre la parole, et après s’être livré à une longue analyse historique, Walid Joumblatt s’est arrêté sur deux points qui ont fondé son action politique récente. Sur sa présence au gouvernement, le leader du PSP estime avoir contribué à «endiguer les répercussions négatives de l’acte d’accusation». Appelant à la stabilité, Joumblatt s’est ensuite livré à une nouvelle analyse de la situation de la Syrie. Une analyse qui a encore évolué. «Aucune partie libanaise, quelle que soit sa force sur le terrain libanais, ne peut influencer le cours des événements en Syrie». Celui qui, il y a encore dix jours, soutenait ardemment l’opposition syrienne et la chute de Bachar
el-Assad a visiblement changé de pied.
Du côté de la majorité, le député Talal Arslan s’est montré clair. Non à la mise en place de corridors entre la Syrie et le Liban, oui à l’initiative du patriarche Béchara Raï portant sur une nouvelle charte pour le Liban, initiative qu’il couple volontiers avec la proposition du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, visant à créer une Assemblée constituante dont le travail serait de faire des propositions, «avant toute discussion sur la stratégie de défense».
Le chef des Marada, Sleiman Frangié, a dit soutenir la politique de neutralité et de dissociation de la crise en Syrie, dénonçant «la fragilité et la faiblesse des institutions» ainsi que «le rôle des médias qui attisent les flammes de la discorde».
Cet unanimisme sera très vite brouillé par les représentants de l’opposition, notamment l’ancien Premier ministre, Fouad Siniora.
Le député de Saïda a débuté son intervention en critiquant vertement l’action du gouvernement et la gestion des dossiers intérieurs, avant d’envoyer une violente pique au Hezbollah qui accuse le 14 mars de convergence d’intérêts avec Israël et de trahison».
Réponse du tac au tac du chef du bloc parlementaire du Parti de Dieu, Mohammad Raad, expliquant que «ces déclarations visaient à mettre un terme aux attaques contre les armes de la Résistance». L’échange s’est quelque peu envenimé. «Les germes de 1975 sont à nouveau présents», accusant le Courant du futur de chercher à créer une zone tampon au Liban-Nord au profit de l’opposition syrienne et d’en chasser l’Armée libanaise. «Faux», répondra Fouad Siniora. «Comment voulez-vous que nous puissions dialoguer et que ce dialogue ait des chances de réussir si, quelques heures avant la réunion, d’aucuns tiennent ce genre de propos?»
Le débat s’est ensuite concentré sur le soutien de l’action de l’Armée libanaise. Aux doutes émis par Raad, Siniora dit «la soutenir, en dépit de ce qui se passe dans le Nord et de l’assassinat du cheikh Ahmad Abdel-Wahed».
Un soutien réaffirmé par le chef du Parti syrien national social, le député Assaad Hardan, et le leader du CPL, Michel Aoun, étonnamment peu loquace, qui estime que «l’Armée est la seule garantie de la stabilité».
Le mot de la fin était pour l’ancien président Amine Gemayel, dont le calme olympien a réussi à apaiser tout le monde. «Avant de définir la stratégie nationale de défense, nous devons définir le rôle que le Liban doit se donner. Nous devons neutraliser tous les effets négatifs qu’engendre la crise syrienne sur notre territoire». Il poursuit: «Nous sommes tous réunis sous l’égide du président de la République, mais il y a une autre partie qui doit être conviée au dialogue, c’est le peuple. Nous devons entendre ses demandes».
Une prise de parole dans le ton de cette rencontre, électrisée par des échanges entre le Hezbollah et le Courant du futur, mais l’essentiel était ailleurs. Il fallait donner à l’opinion locale, régionale et internationale une autre image que celle de ces dernières semaines, même si tout oppose encore les protagonistes.

 

Julien Abi Ramia

Le manifeste de Baabda, extraits
Les grands absents de cette déclaration sont sans conteste les revendications de l’opposition. Rien sur la stratégie de défense, encore moins sur les armes hors du contrôle de l’Etat. Sur ce point, l’article 3 explique que «le recours aux armes conduit à une défaite certaine». Mieux, c’est même la position de l’aile dure de la majorité qui est soulignée dans l’article 13 qui stipule que les parties s’engagent «à ne pas permettre l’établissement d’une zone tampon au Liban ni l’utilisation du territoire libanais comme lieu de regroupement, de passage ou comme base pour le trafic d’armes et de combattants, sans que cela n’affecte le droit à la solidarité humanitaire et à l’expression politique et médiatique garantie par la Constitution et la loi». Cette déclaration, qui comporte des points de soutien à l’Etat et à ses institutions, sera remise à la Ligue arabe et aux Nations unies».

Révélations embarrassantes
Lundi, la chaîne de télévision LBC a diffusé le procès-verbal de la réunion qui a eu lieu le 1er juin entre le président Michel Sleiman et le roi Abdallah d’Arabie saoudite, ainsi que la réunion qui a suivi en présence notamment de l’ancien chef de gouvernement, Saad Hariri, de l’émir Saoud el-Fayçal et du ministre Ghazi Aridi.
Ainsi, le chef de l’Etat libanais aurait demandé au roi d’Arabie saoudite de faire pression sur les forces du 14 mars, afin de les inciter à prendre part à la table du dialogue. Mais lorsque Hariri a réitéré son refus de se mettre à la table du dialogue, «alors que le Hezbollah brandit quand il le désire la menace des armes», le prince Fayçal est intervenu en affirmant: «Il ne peut y avoir de dialogue tant que le Hezbollah reste attaché à ses armes. Le problème au Liban est le Hezbollah. Le Liban s’est débarrassé des Syriens. Il faut qu’il en finisse également avec le Hezbollah».
Plus grave, la LBC accuse Michel Sleiman d’avoir demandé au chef de la diplomatie saoudienne d’intervenir auprès d’Israël pour délimiter la frontière entre les deux pays.

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