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Nº 2853 du vendredi 13 juillet 2012

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Patrice Paoli, ambassadeur de France «Nous sommes inquiets pour les chrétiens»

Les tensions au Liban, la crise syrienne, le Printemps arabe, la montée des intégrismes, la peur des chrétiens, aucun sujet n’est tabou pour l’ambassadeur de France. Quelques semaines après sa prise de fonction, Patrice Paoli accorde à Magazine sa première interview à un média libanais. Pour ce diplomate aux sensibilités toujours en alerte, la langue de bois n’est pas un outil de travail.

Avec l’élection du socialiste François Hollande à la présidence, risque-t-on d’assister à un changement de politique de la France au Liban?
La politique de la France est marquée par un engagement très fort en faveur de la stabilité, la souveraineté et l’indépendance du Liban, qui sera maintenu ou renforcé peut-être. Le président de la République a eu l’occasion de le redire à plusieurs reprises depuis sa prise de fonction. Il l’a assuré d’abord devant Ban Ki-Moon, en lui confirmant l’engagement de la France au sein de la Finul. Il y a eu ensuite un entretien téléphonique entre le président Hollande et le président Sleiman le 8 juin, avant la visite de ce dernier à Paris le 12 juillet. Ceci est l’expression de l’intérêt et de la solidarité de la France avec le Liban.

Quels sont les fondements de la politique de la France au Liban?
Une vieille amitié lie la France au Liban, à tel point qu’on a l’impression qu’on connaît déjà le Liban avant d’y arriver. C’est un engagement en faveur de l’indépendance, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de la stabilité. Ces principes n’ont jamais varié dans notre politique. Nous parlons avec toutes les parties libanaises. C’est une spécificité française. Nous sommes également présents sur tout le territoire libanais. Nous avons des Instituts français au Nord, au Sud, dans la Békaa et dans le Chouf. Nous soutenons ce qui participe à l’unité libanaise: l’armée, les FSI, la justice, les administrations. Nous avons un travail de coopération intense, de formation et d’échange, car c’est dans le renforcement de ces institutions que se trouve l’avenir du Liban. Notre participation à la Finul depuis sa création et renouvelée en 2006 après la résolution 1701 est aussi une forme de notre engagement. Nous avons une conception large du rôle de la Finul qui ne se résume pas uniquement à l’observation de la situation à la frontière, mais contribue aussi à apporter aide et coopération à l’Armée libanaise. La francophonie représente enfin une autre dimension de notre engagement au Liban. L’arrivée sous la coupole de l’Académie française d’Amine Maalouf est un exemple de ces identités non pas contrariées, mais favorisées dans la diversité. Ceci montre à quel point les frontières sont mouvantes entre Libanais et Français. Il symbolise ce rapprochement. Les 50000 élèves des écoles francophones participent de cette culture de l’excellence, dont le trilinguisme arabo-franco-anglais constitue un exemple vivant. C’est une richesse à laquelle nous souhaitons contribuer.

La France soutient-elle la politique de dissociation à l’égard de la crise syrienne adoptée par le gouvernement libanais?
La société libanaise est divisée sur la question syrienne et nous comprenons parfaitement la position des autorités libanaises. La France a clairement exprimé le vœu que le Liban reste à l’écart des tensions régionales, notamment de la crise syrienne. Nous n’avons cessé d’appeler toutes les parties à respecter l’intégrité et la souveraineté du Liban.

Est-il dans l’intérêt du Liban de s’engager davantage dans le combat mené par les puissances occidentales et certains pays arabes pour renverser le régime syrien?
Il n’y a pas de combat occidental contre un régime, mais un combat du peuple syrien qui veut retrouver sa souveraineté et qui se bat pour sa liberté. Nous soutenons la quête de liberté du peuple syrien et nous souhaitons qu’il fasse librement le choix de son avenir. C’est ce que nous défendons depuis le début de la crise en Syrie. Nous souhaitons également que les réfugiés puissent trouver la sécurité dans les pays voisins, notamment le Liban, dans le respect du droit international humanitaire.


Le concept de la dissociation est-il compatible avec l’appel du sénateur John McCain à l’établissement d’une zone sécurisée pour l’Armée syrienne libre au Liban-Nord?
Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est clairement exprimé en deux occasions, d’abord le 30 juin à Genève, et le 6 juillet à Paris. Il n’est pas question d’une zone sécurisée. Notre position est l’application du plan Annan dans toutes ses dispositions avec l’arrêt des violences contre la population syrienne pour mettre en œuvre un règlement politique. Notre objectif est la mise en place d’un gouvernement transitoire qui aurait pleins pouvoirs, afin de créer les conditions pour que le peuple syrien puisse s’exprimer. Nous sommes contre la militarisation du conflit. Nous agissons dans le cadre du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité. Le plan Annan connaît des difficultés, c’est pourquoi nous souhaitons que le Conseil de sécurité place les dispositions du plan Annan sous le chapitre VII de manière à ce qu’elles s’imposent aux parties.

 

Les développements au Liban-Nord avec l’apparition d’hommes armés et le relatif recul de l’autorité de l’Etat vous inquiètent-ils?
Les événements au Liban-Nord sont inquiétants. Les armes doivent être sous la seule responsabilité de l’Etat. Nous nous sommes félicités du rôle de l’armée et des FSI. Nous avons également salué l’engagement des forces politiques qui se sont retrouvées autour de la table du dialogue à Baabda et qui ont tenu un seul langage pour apaiser la situation. Nous pensons aussi que deux éléments sont importants pour ramener la stabilité: le développement socio-économique dans une région qui est restée marginalisée et l’application de la justice.

 

L’insécurité grandissante à cause des retombées de la crise syrienne remet-elle en cause la forme de l’engagement de la France au sein de la Finul?
L’engagement de la France dans la Finul a été affirmé par la voix du président François Hollande au cours de son premier entretien avec Ban Ki-Moon. Notre engagement n’est pas remis en cause, mais les modalités ont été revues avec nos partenaires libanais et de la Finul. Il existe aujourd’hui une coopération, et plus, une interaction avec l’Armée libanaise. Nous avons demandé aux autorités libanaises de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la Finul et la garantie de sa sécurité, mais notre engagement reste entier.

 

Etes-vous inquiet de la montée en puissance des mouvements salafistes au Liban, comme par exemple celui du cheikh Ahmad el-Assir?
La société libanaise est en proie à des tensions importantes et on assiste à une recrudescence du langage confessionnel qui est une forme d’expression des craintes des uns et des autres. Certains peuvent trouver refuge dans de telles idéologies, alors qu’ils recherchent des solutions à leurs problèmes et ont le sentiment d’une défaillance de l’Etat. Il faut un Etat plus présent sur le plan social, économique ainsi que sur le plan de la justice. Nous pensons que la citoyenneté reste la référence tout en respectant l’identité propre de chacun.

 

Le risque d’un conflit entre sunnites et chiites au Liban, et à plus grande échelle dans la région du Proche-Orient, vous paraît-il sérieux?
Nous refusons de considérer cette région en fonction de cette logique communautaire même si nous nous rendons compte que cette lecture existe. Nous rejetons cette opposition. Il faut que chacun trouve des garanties pour sa sécurité et son identité dans la citoyenneté et le cadre d’un Etat qui respecte les droits de chacun. A force de parler de cette opposition, nous allons finir par l’accréditer, et ce discours est dangereux. Nous avons un dialogue ouvert avec tout le monde dans le cadre de la diversité, mais au service de la citoyenneté. Notre politique vise à rassembler, non pas par la force, mais par les droits.

 

Comment évaluez-vous le Printemps arabe? A-t-il concrétisé les aspirations des peuples arabes, surtout que vous connaissez bien la région puisque vous y avez occupé des postes à Sanaa, à Amman, au Caire, au Koweït et à Abou Dhabi?
Le Printemps arabe, c’est d’abord la révolution tunisienne puis les événements d’Egypte qui ont conduit au départ de Hosni Moubarak. Ces événements ont ouvert des portes que nous pensions fermées, celles du choix par les peuples de leur avenir en fonction de valeurs universelles que nous partageons. Le Printemps arabe démontre que nous sommes réunis autour de la Méditerranée par l’adhésion à des valeurs communes, qui nous donnent l’occasion d’envisager notre avenir commun non pas par une stabilité imposée par des régimes dictatoriaux, mais par une adhésion aux mêmes valeurs. C’est un rêve, peut-être, mais c’est un objectif en tout cas. Nous sommes au début du processus, dans un grand laboratoire de la démocratie. Ce chantier ouvre des espoirs énormes. Nous encourageons ce processus et notre responsabilité est de l’accompagner avec confiance et vigilance. D’une certaine manière, le Printemps arabe a relégué la question palestinienne à l’arrière-plan. Or, on ne peut pas plaider pour le respect des aspirations des peuples arabes et oublier celles du peuple palestinien. Notre position est que nous ne réglerons rien durablement, si nous ne réussissons pas à régler le problème palestinien, qui est un déni de droit. Il faut qu’il y ait justice pour le peuple palestinien dans le respect de la sécurité d’Israël. Ce serait un grand pas pour la stabilité dans la région.

 

Pensez-vous que la présence millénaire des chrétiens en Orient est menacée?
Je me souviens des attentats abominables de Bagdad et d’Alexandrie en 2010. Nous entendons et nous comprenons les craintes qui s’expriment chez les communautés chrétiennes. Chacun a le droit d’exercer sa religion et d’être protégé dans l’exercice de celle-ci. Le Proche-Orient perdrait son âme et ne serait pas ce qu’il est sans la présence et la contribution des chrétiens qui font partie de son identité et de son histoire millénaire. Bien sûr nous sommes inquiets et préoccupés par les menaces qui pèsent sur les chrétiens: des gens sont assassinés en raison de la pratique de leur foi! C’est ce qui souligne l’urgence de trouver des solutions dans le cadre de la citoyenneté et du respect de la diversité. 

 

Craignez-vous une guerre contre l’Iran?
La position de la France est claire à ce sujet depuis le début de la crise du nucléaire iranien. Nous sommes à la recherche d’une solution diplomatique, par la négociation, ce qui explique les récentes discussions à Istanbul, à Bagdad et à Moscou qui ont pour objet d’assurer le respect par l’Iran des résolutions du Conseil de sécurité. Nous avons mis en œuvre des sanctions qui représentent des moyens pacifiques pour parvenir à cet objectif. Nous sommes attachés à la recherche d’une solution diplomatique par le dialogue pour appliquer les résolutions du Conseil de sécurité.

 

Quelle est votre première impression concernant le Liban?
Ma première impression est celle d’une extraordinaire vitalité, d’une créativité et d’une convivialité. Je l’ai constaté lors du décès de Ghassan Tueni, où les représentants de toutes les tendances se sont réunis pour rendre hommage à ce grand homme. On voit réapparaître tout ce que nous aimons du Liban dans ces grandes occasions comme dans la vie quotidienne. Et il y a un autre visage du Liban, tourmenté, inquiet. Le Liban vit dans cette double identité. Pour un ambassadeur de France, c’est un honneur particulier que de servir au Liban, pays qui demeure presque par instinct dans le cœur des Français.

Propos recueillis par Joëlle Seif

 

Mélomane et polyglotte
Le nouvel ambassadeur de France est un grand mélomane. Il vient de recevoir un bouzouk et commence tout juste à en jouer. Il est guitariste et a fait même partie d’un groupe en France. Au Liban, il lui arrive de jouer à titre privé. Durant notre entretien, il tient entre ses mains un passe-temps, une habitude qu’il a acquise au Yémen. Sans être un collectionneur, il en possède plus d’une trentaine. Il parle couramment l’arabe, ainsi que l’anglais, l’allemand et l’espagnol.

 

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