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Nº 2858 du vendredi 17 août 2012

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Magistral coup de filet ou souricière? Affaire Samaha: le récit d’une traque

Sur la base de preuves matérielles et d’éléments circonstanciels, les services de renseignements des FSI accusent l’ancien ministre Michel Samaha, en garde à vue depuis plus d’une semaine, et deux généraux syriens d’avoir fomenté des attentats ciblés dans le nord du Liban. Magistral coup de filet ou guet-apens politique? Voici le récit d’une traque improbable.

 

Jouar-Khenchara, à trente kilomètres au nord-est de Beyrouth. Il est sept heures du matin, ce 9 août, lorsque dans ce village cossu du haut-Metn situé entre Bteghrine et Dhour Choueir, quatre voitures de police et une unité des services de renseignements forcent la porte de la résidence secondaire de Michel Samaha. L’ancien ministre est encore au lit, en pyjama. Les policiers le ligotent après l’avoir autorisé à prendre ses médicaments et à s’habiller. Au même moment, trente agents perquisitionnent l’appartement beyrouthin de l’ex-député et ancien ministre, au sixième étage de l’immeuble Karam, sur la place Sassine à Achrafié. Trois de ses filles étaient dans l’appartement lorsque la police est intervenue. En plus de l’homme politique, son chauffeur originaire du même village, Farès Barakat, son garde du corps Ali Mallah ainsi que sa secrétaire personnelle Gladys Awada, sont interpellés. Dans de grands sacs de plastique noirs, les forces de l’ordre saisiront aux deux domiciles des dossiers, des téléphones portables, deux ordinateurs et des cassettes vidéo. Deux des voitures personnelles de l’ancien ministre, une Mercedes et une Audi, sont mises sous scellés. Les fouilles auront duré quatre heures. Après trois semaines de traque, la police et le ministère public expliquent avoir déjoué une vague imminente d’attentats terroristes.

La version des FSI
Le président Michel Sleiman, le Premier ministre Najib Mikati et les autorités concernées ont été mis dans la confidence quelques heures auparavant. Aux alentours de midi, les cinq suspects présumés sont transférés au siège des services de renseignements des FSI à Achrafié, dirigés par le colonel Wissam Hassan. Ils sont interrogés sous la houlette du procureur général par intérim, Samir Hammoud. En réalité, la justice a réuni assez de preuves matérielles et d’enregistrements audio et vidéo pour conduire ces arrestations. Pour bétonner le dossier, elle a besoin d’aveux circonstanciés du principal suspect, Michel Samaha. La secrétaire est interrogée sur l’agenda de l’ancien ministre, son garde du corps et son chauffeur sur leurs déplacements en sa compagnie. Mais c’est apparemment le ministre qui passera à table.
Voici, sur la base des éléments qui sont en sa possession, la version de l’accusation. Il y a trois semaines de cela, des services de renseignements étrangers ont informé leurs homologues libanais de la possibilité, dans le nord du pays, d’attaques de type terroriste fomentées pour déstabiliser la base-arrière libanaise de l’insurrection armée syrienne. Mises en état d’alerte, les forces de l’ordre discrètement déployées sur le terrain, auraient intercepté 24 charges explosives allant de deux à 20 kilos armées et prêtes à servir. Selon l’accusation, Michel Samaha, ce fidèle parmi les fidèles du président syrien Bachar el-Assad (Voir portrait page 24), aurait été sollicité par les plus hautes instances du régime pour piloter une contre-offensive d’envergure sur le territoire libanais. Après avoir transporté en plusieurs fois dans l’une de ses voitures personnelles des explosifs fournis par Damas de l’autre côté de la frontière, le principal suspect aurait rencontré, au début de la deuxième semaine du mois d’août, le général syrien Ali Mamlouk, le chef du bureau de la Sûreté nationale (voir encadré), qui a ordonné le lancement de l’opération. Etaient visées des figures de l’opposition syrienne, des députés du Courant du futur comme Khaled Daher ou Mouïn Merhebi, qui fournissent assistance aux insurgés et le patriarche maronite Béchara Raï, en visite au Akkar cette semaine-ci.
Dans la soirée, la secrétaire, le garde du corps et le chauffeur sont libérés. Aucune charge n’est retenue contre eux. Farès Barakat déposera à Jouar l’une des deux voitures de Michel Samaha qui,lui, restera derrière les barreaux. Dans la soirée de jeudi, au cours des premiers interrogatoires, l’ancien ministre ne pouvait pas nier car il existe des enregistrements audio et vidéo incontestables qui le montrent en train de décharger les explosifs dans un autre véhicule. Des traces d’explosifs auraient également été découvertes dans sa voiture.

La théorie du complot
Le conducteur de la deuxième voiture et celui qui a enregistré l’échange s’appelle Milad Kfoury, une sorte d’agent double grâce à qui l’affaire a éclaté (voir encadré). Cet homme de 49 ans est celui par qui le scandale est arrivé. Selon le scénario de l’accusation, cet homme serait l’intermédiaire sur lequel Michel Samaha comptait pour exécuter les basses œuvres. Face aux preuves accablantes, l’ancien ministre aurait fait des aveux partiels.
Repose sur cet expert en renseignements, aujourd’hui protégé par la police en tant que témoin-clé, toute la véracité des accusations qui pèsent sur l’ancien député et ancien ministre. Car, au fur et à mesure des informations publiées, les proches de Michel Samaha sont abasourdis. Plus reconnu pour ses talents de diplomate et de médiateur que pour ceux d’artificier en chef, plus politique que terroriste, l’ancien ministre est, aux yeux des sceptiques, la victime d’une machination politique. Bien qu’au sein du 8 mars, la consigne soit au silence radio et à l’attente d’un verdict, certains des alliés traditionnels de Damas, ont d’ores et déjà soulevé la possibilité d’un complot. Le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, a prévenu: «Certains juges se sont associés à des agences de sécurité suspectes. Nous ne resterons pas silencieux». Sa déclaration, la seule émanant du Hezbollah sur l’arrestation de Samaha, sera très vite retirée. Un signe indiscutable de l’embarras provoqué par cette affaire. Du côté du 8 mars, le précédent des quatre généraux, mis en cause dans l’assassinat de Rafic Hariri, incarcérés pendant quatre ans avant d’être libérés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux,  est encore présent dans les esprits.
D’autant qu’à la faveur du transfert, cette semaine, du dossier judiciaire au bureau du commissaire adjoint du gouvernement près le tribunal militaire, le juge Sami Sader et au premier juge d’instruction militaire Riad Abou Ghida, Michel Samaha peut désormais se faire assister par ses avocats Malek Sayyed, fils de Jamil Sayyed et Youssef Fenianos, avocat personnel de Sleiman Frangié. Pour les proches traditionnels de Damas, il s’agit d’une souricière, terme du jargon policier utilisé pour désigner un piège mis en place par le 14 mars pour isoler la Syrie et affaiblir ses alliés au Liban.
La procédure judiciaire suit son cours. Le juge Abou Ghida a donc émis un mandat d’arrêt contre Michel Samaha qui se trouve dans une prison de la Police militaire à Rayhania… Entrée en scène, la défense demande à la justice de «rapatrier Milad Kfoury pour les besoins de l’enquête et de la vérité», puis de «cesser les violations du secret de l’instruction qui ont pour conséquence de faire de la place publique la salle du procès».
En présence de ses avocats, Michel Samaha se rétractera sur certains éléments de sa déposition lors de l’interrogatoire préliminaire. Il affirme avoir été entraîné dans un guet-apens monté par la section des renseignements des FSI. Il reconnaîtra avoir transporté des explosifs mais affirme qu’ils devaient servir à «dissuader» les éléments de l’Armée syrienne libre (ASL) de poursuivre le trafic d’armes et d’hommes à travers la frontière libano-syrienne.
Les implications politiques de cette affaire sont très vite apparues dans le domaine politique. Le 8 mars, sur la défensive, est très affaibli. L’opposition, en revanche, a repris du poil de la bête, et tente d’établir un lien entre Michel Samaha et d’autres attentats commis dans le passé, ainsi que les tentatives d’assassinat de Samir Geagea et Boutros Harb. Certains plaident pour le transfert du «dossier Samaha» devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL). D’autres en profitent pour régler leurs comptes avec leurs ennemis. C’est ainsi que des informations circulent sur la présence du général Jamil Sayyed dans la voiture de l’ancien ministre le jour où il transportait les engins explosifs.
Le bazar des rumeurs est ouvert, mais en fin de compte, c’est la décision de la justice qui compte.

Julien Abi-Ramia

 

Qui est Milad Kfoury?
Originaire du village de Wata el-Mrouj, à quelques encablures du domicile de Michel Samaha, Milad Kfoury est un homme bien bâti, à l’allure militaire, au teint extrêmement hâlé. Toujours habillé en costume-cravate, c’est un citadin marié qui ne vient que très rarement dans son village natal.
Ses accointances avec l’univers du renseignement remontent à la guerre civile libanaise lorsqu’en tant que membre actif de ce que l’on a appelé l’aile syrienne des Kataëb, Kfoury a établi des contacts avec nombre d’homologues syriens, régionaux et étrangers et avec Elie Hobeika avec qui il fera chemin.
Avec son frère Assaf, il monte une société de sécurité privée avec qui le ministre Mohammad Safadi a travaillé jusqu’il y a quelques semaines. Par ailleurs, celui qui s’est inventé les noms de Zouhair Nahas et Amjad Srour serait également très proche de Wissam el-Hassan. Une proximité que les soutiens de Michel Samaha n’oublieront pas de pointer du doigt.

 

Ali Mamlouk, l’ombre sunnite d’Assad
Ce haut-gradé, formé dans l’armée de l’air syrienne est un sunnite originaire de Damas. Agé de 66 ans, cheveux et moustache gris, cet officier affable qui fume des cigarettes anglaises, marié à une femme originaire de Homs, a été depuis 2005 à la tête de la Sûreté de l’Etat, principal service de sécurité et le seul à être directement rattaché à la présidence.
En avril 2011, peu après le déclenchement du soulèvement contre le président Assad, les Etats-Unis et l’Union européenne avaient imposé des sanctions à son encontre, le tenant pour responsable d’abus dans le domaine des droits de l’homme, dont l’usage de violence contre les civils.
Une semaine après l’attentat de Damas qui a décimé l’appareil sécuritaire du pays, le 18 juillet, il est nommé à la tête du Bureau de la sécurité nationale, la structure qui chapeaute l’ensemble des services syriens de sécurité.

 

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