Magazine Le Mensuel

Nº 2884 du vendredi 15 février 2013

Spectacle

La compagnie Zoukak. La continuité dans le travail

La compagnie de théâtre Zoukak vient de lancer son nouveau programme Sidewalks. Une série de performances, d’ateliers de travail, de discussions et de conférences, présentés par des artistes étrangers et s’étalent sur toute l’année.

Première à entamer Sidewalks, la Britannique Majisola Adebayo, d’origine nigéro-danoise. Après un atelier de travail le 14 février, elle donne le 15 une discussion autour de son travail, dans les studios de Zoukak, à Furn el-Chebbak. Sidewalks s’inscrit dans le prolongement du travail effectué dès le début par Zoukak, comme l’explique Maya Zbib, l’un des six membres de la compagnie, et qui consiste à ouvrir la porte notamment aux artistes étrangers pour venir au Liban donner des ateliers de travail». Un travail qui a donc commencé avec plusieurs workshops, étalés d’une manière arbitraire. Au fil des nombreux voyages de chacun des membres de la compagnie, les rencontres s’effectuaient avec des artistes étrangers qui présentent un élément intéressant dans leur travail ou qui ont des pratiques qui n’existent pas ici. Ces derniers étaient donc souvent invités à venir au Liban. Et ils y répondaient de manière positive, attirés de leur côté par le travail effectué par Zoukak. «La plupart du temps, nous arrivions même à les faire venir gratuitement, ce qui est un privilège. Nous payions seulement leur billet d’avion que nous remboursions plus tard par les bénéfices rapportés du workshop, tout en gardant abordable le prix du billet. C’est notre politique», ajoute Maya Zbib.
Progressivement, Zoukak élargit ses contacts et scelle des collaborations avec les différents centres culturels établis dans le pays. Parallèlement, se met en place l’idée d’intensifier et d’augmenter ces ateliers de travail, pour les rassembler sous une même ombrelle. «Une ombrelle appelée avec le temps à acquérir une identité propre, un thème bien précis». Pour l’année 2013, Sidewalks, à défaut de présenter un thème délimité, rassemble toutefois des artistes qui, dans leur majorité, font du théâtre engagé ou se distinguent par leur collaboration interculturelle, dressant des ponts entre différentes pratiques théâtrales de par le monde.
La programmation de la première édition de Sidewalks est d’ores et déjà dressée, à quelques détails près. Et surtout, elle s’étale sur toute l’année, dans le but de générer une continuité dans le travail. «Nous pensons également à des possibilités de collaboration entre artistes locaux et internationaux». Parce qu’avant tout, Sidewalks se veut comme un lieu de rencontre et d’échange autour du théâtre. «L’idée n’est pas simplement de créer une plateforme de représentation de spectacles déjà prêts, mais plutôt de suivre le processus de création». Cela relève également de la manière dont travaille Zoukak. «En pleine création, nous ouvrons le studio et nous prenons l’avis du public avant de poursuivre le travail. Cela est très important, non seulement pour se constituer un public, mais également pour être capables de collaborer avec d’autres artistes locaux».
Depuis 2006, date de sa création, la compagnie n’a cessé d’évoluer. «Au début, le processus était long. Nous avons pris du temps pour être vraiment efficaces, pour se comprendre, pour travailler et créer ensemble. L’évolution s’est fait réellement sentir l’année dernière», explique Maya. En 2012, en effet, trois créations, Fil de soie, Mashra7 watani et Lucena, ont vu le jour, signées collectivement des six membres de Zoukak: Maya Zbib, Omar Abi Azar, Lamia Abi Azar, Danya Hammoud, Juanaïd Sarieddine et Hashem Adnan.
Zoukak a été créé en 2006 à partir du besoin de ses fondateurs de développer une continuité professionnelle de leur pratique théâtrale, ainsi que de la conviction que cette pratique dans sa forme collective constitue un engagement politique et social en tant que position contre les systèmes de marginalisation. Le travail effectué par Zoukak a été concrétisé par l’ouverture en 2008 du Studio Zoukak: lieu de répétition et espace de création à moindres frais pour les artistes de la scène locale, il demeure avant tout la fabrique des projets de la compagnie.

Quelques dates
Après Majisola Adebayo, la programmation de Sidewalks se poursuivra tout au long de l’année, avec un invité environ par mois. Artiste ou compagnie, dramaturge, comédien, chorégraphe, directeur de théâtres… venant de France, d’Allemagne, d’Australie, des Etats-Unis, de Grèce, d’Espagne et d’Angleterre, ils présenteront leur travail dans les studios de Zoukak ou dans d’autres espaces à Beyrouth.
Voici un bref aperçu des invités:
16-17 mars: Sandra Iché (France).
17-24 avril: Peter Sellars (Etats-Unis).
6-21 mai: compagnie Duzieu dans les Bleus (France).
22-23 mai: Vanio Pappadelli (Grèce).
3-16 juin: compagnie Border Crossings avec Michael Walling et Brian Wooland (Angleterre).
Août: Toni Cots et Esther Frixa (Espagne).
Octobre: Lydia Ziemke (Allemagne).
Septembre/novembre: Lee Serle (Australie).

Nayla Rached

Mashra7 watani
Première plongée, le vendredi 8 février, dans le monde de Zoukak, au cœur de leur studio. Un immeuble, un étage, une maison. Et c’est d’emblée l’entrée dans un univers qui sort de l’ordinaire, des sentiers battus du théâtre dont on a l’habitude, qu’on a appris à connaître au fil des ans à Beyrouth. Une première rencontre avec Zoukak est une expérience en soi, différente, déroutante, amicale, et pourtant, contradictoirement, tellement suggestive d’un mouvement théâtral qui s’impose, tellement désirée. C’était l’occasion, avec la reprise de Mashra7 watani. Dès les premières secondes, le spectateur sent l’impact de ce qu’il va voir. Sur le mur, projection d’une phrase que Maya Zbib et Lamia Abi Azar liront au public. D’abord recto, puis verso. Le sens changeant du tout au tout. Et c’est une première claque. Est-ce que «la gloire des années 60 d’un pays sans guerre a créé une logique de coexistence?»… ou est-ce que « la logique de coexistence a créé une guerre sans pays de la gloire des années 60?» Mashra7 watani ne joue pas dans les demi-mesures, ni dans le politiquement correct. Mashra7 watani vous en jette plein la figure, à propos de l’Histoire d’un pays sans histoire, sans mémoire, sans passé défini. Un pays où la victime est en même temps le bourreau, où la victime se confond avec le bourreau, où tous les criminels de guerre ont été graciés en 1990. Un pays où la guerre a beau être disséquée, elle n’est que violence, oubli et déni. Et voilà que le public est invité à partager ses histoires de guerre. La guerre a bel et bien existé. Elle est ancrée en chacun de nous, toutes générations confondues.
Le spectacle a été produit en collaboration avec War Child Holland et avec le soutien de l’ambassade de Suisse et de Liberty Foundation. Mashra7 Watani a été présenté dans dix-huit régions et villages libanais en 2012 et poursuivra sa tournée dans quatorze autres régions cette année.

Mahalli, de Danya Hammoud
Zoukak présente une performance de danse, chorégraphiée et interprétée par Danya Hammoud, au théâtre Tournesol, du 19 au 21 février, à 20h30.
Mahalli signifie en arabe, en même temps, «d’ici» et «ma maison». Cette performance solo tourne autour d’une figure, un corps comme une forme mouvante, coincée dans un espace dense empli de plis et de cercles. Là, dans cet espace dépourvu de points de fuite, le temps semble plein. L’ordre est la contrepartie de cette figure. Pour survivre, elle est forcée d’user de son pouvoir. Dans ses mouvements, il y a une lourde contrainte, une colère pensive et opprimée. Elle a le pouvoir de la femelle et la fierté de la femme. Dans le processus de ce projet, le corps a été conçu en même temps comme outil et comme le matériau que cet outil est appelé à travailler et modeler. «Alors, avant de révéler mouvements et idées, j’ai essayé de révéler un corps, le mien dans ce cas-là. Parce que mon territoire commence avec mon propre corps».
Produite par le Centre national de Danse contemporaine (Angers, France), Cocoondance/Theater Im Balsaal (Allemagne) et Zoukak, Mahalli a été créée en novembre 2011 et présentée dans plusieurs festivals de par le monde, avant d’atterrir à Beyrouth et de poursuivre sa tournée mondiale.
Informations et réservations: (01) 381290.
Billets à 15000 L.L.

 

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