Magazine Le Mensuel

Nº 2885 du vendredi 22 février 2013

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Témoignages sur une double vie. Etudiantes et call-girls

La prostitution au Liban, comme partout ailleurs, est le plus vieux métier du monde. Mais un nouveau phénomène prend de l’ampleur, celui de la prostitution estudiantine. Des étudiantes ont investi le créneau et vendent leurs charmes en toute impunité, aidées pour élargir leur terrain de chasse, par les réseaux sociaux et les concierges d’hôtels. Les plus effrontées racolent en direct dans les lieux publics ou via les téléphones mobiles qui restent les meilleurs moyens de s’assurer une clientèle aisée. Une prostitution clandestine, occasionnelle, qui ne facilite pas la tâche des services de police qui refusent d’avancer des chiffres précis sur ce type de prostitution. Magazine entrouvre les portes des coulisses des call-girls de haut niveau.

Elle est libanaise. Elle a 23 ans. Elle poursuit des cours dans l’une des plus grandes universités de la ville. Parfaitement trilingue et de grande beauté. Son seul hic, selon elle, est qu’elle appartient à une famille aisée, certes, mais qui ne peut lui assurer le mode de vie luxueux auquel elle aspire. Dans les endroits publics, elle n’hésite pas à proposer, avec une aisance inouïe, sa compagnie à des hommes esseulés. Se présentant sous l’étiquette d’escort- girl, elle traque surtout les étrangers. «A 18 ans, j’ai été violée par un ami de mon père, confie-t-elle à Magazine, un médecin très en vue dans la société. A 20 ans, j’ai eu une première relation sexuelle consentante, elle fut très décevante. Depuis, je n’ai cessé d’accumuler les aventures avec les garçons afin de me réconcilier avec le sexe. Quand je suis entrée à l’université, une agence locale de mannequins m’a proposé de travailler pour elle. J’ai accepté. Très vite il s’est avéré que l’on pouvait coucher avec certains clients si on le désirait, en contrepartie de sommes très importantes. Je n’ai pas hésité. Dès que je touche l’argent, je le dépense. Je m’offre tout ce dont j’ai envie: la voiture de mes rêves, les voyages en première classe, les bijoux… j’invite mes amis. Il est rare que je laisse quelqu’un payer en ma présence. Mon mode de vie, personne ne le connaît. Je suis bien dans cette voie que je me suis tracée même si parfois les exigences de certains hommes me choquent, surtout quand il s’agit de perversions dont je n’avais presque jamais entendu parler».
Elle est libanaise. Elle a 22 ans. Elle vient de terminer ses études en journalisme et travaille depuis quelques mois en free-lance. Elle a trouvé sa voie. Elle se prostitue en toute impunité et «sans prendre aucun risque», assure-t-elle à Magazine. Mes clients sont des hommes en qui on peut avoir confiance. Comment procède-t-elle? «Je ne racole que des hommes connus. Des politiciens. Des hommes d’affaires. Jamais d’étrangers. J’ai recours à plusieurs méthodes: je débrouille leurs numéros de portables. Je prends une voix sensuelle pour leur demander de m’accorder des interviews. Il est rare qu’ils refusent. Une fois sur place, ce sont eux qui me draguent. Les premières fois, je le fais sans rien demander. Ensuite, sous divers prétextes, je leur soutire de l’argent. Chacun croit être le seul et
l’unique dans ma vie. Personne ne connaît l’existence de l’autre. J’en vois de toutes les formes et de toutes les couleurs. Un homme bien en vue en ville m’a demandé un jour de revenir avec une de mes amies pour une partie de triolisme. Il était prêt à payer ce que je voulais pour que j’accepte. Un autre insiste pour que je l’offense, l’attache et le batte. Quand je pense qu’il a l’âge de mon père et qu’il est très puissant dans l’arène politique, j’en suis très flattée. De plus, je tire une somme rondelette de ces jeux-là… quelle joie! Je fais ça pour de l’argent mais aussi pour côtoyer des hommes riches et puissants. Qui sait si je réussirais à mettre le grappin sur l’un d’eux?».

Le Net, mieux que le trottoir
Elle est libanaise. Elle a 20 ans. Elle suit des cours en marketing et si elle n’a pas été dans une grande université ce n’est pas faute de moyens, ses parents se saignant pour lui assurer le meilleur. Mais ses notes étaient à la limite acceptables. Quelques semaines après avoir débuté ses cours, elle s’amourache d’une copine très friquée» qui finit par lui avouer d’où lui venaient sa somptueuse voiture et ses imposants bijoux. Elle se prostitue, via le Net et lui explique la démarche à suivre. «Quand on peut être payé, pourquoi coucher gratis?», lui dit-elle. «Sur Facebook et Twitter, on a accès à presque tout le monde. Je choisis mes cibles. La première fois, ma proie a été un homme d’affaires qui, tout de go, m’a demandé mon prix. J’ai lancé un chiffre. Il a accepté. Après un échange de photos, j’ai accepté de venir chez lui, sa femme vivant à l’étranger avec les enfants. Notre rencontre a duré deux heures pour 500 dollars. Je fermais alors les yeux pour séparer mon esprit de mon corps. Je me concentrais sur le nouveau mode de vie qui m’attendait. J’oublie, juste après, surtout quand je sens entre mes doigts la liasse de billets. Je deviens à cet instant précis euphorique. Mes rapports sexuels sont toujours à sens unique. Je donne du plaisir et je n’en prends pas. Je fais juste semblant. Quand le client a des demandes particulières, il doit payer un extra. Un jour, j’ai eu une mauvaise expérience. Un client m’a violée et a refusé de me payer. Je n’ai pas bronché. J’ai pris la fuite. Surtout, ne pas s’attirer des problèmes».
«Non, je ne suis pas une prostituée», martèlent-elles toutes les trois bien que rencontrées séparément. Les prostituées, selon elles, se «ramassent» dans la rue. Elles dépendent souvent d’un proxénète qui les maltraite et prend leurs gains en ne leur laissant qu’une infime partie. Elles travaillent pour survivre. Là c’est différent. Plus haut de gamme que leurs consœurs qui racolent dans les endroits «bon marché», les étudiantes qui se prostituent préfèrent être appelées call-girls ou escort-girls. Ce qui les différencie des autres, toujours selon elles, c’est qu’elles sont belles, éduquées, plus érotiques, plus raffinées, et n’ont pas de maquereaux avec qui partager le butin. Elles travaillent à leur propre compte. Elles collaborent, parfois, avec des agences de mannequins, qui, sous ce prétexte, leur assurent une clientèle régulière au Liban et à l’étranger. Comment racolent-elles? En interpellant directement des hommes dans les lieux publics, restaurants, plages, bars, lobbies d’hôtels… en veillant bien sûr à fréquenter des endroits où se prélassent les potentiels clients aisés, très aisés. Elles draguent aussi via les téléphones mobiles – leur logique est convaincante, il fallait seulement y penser- elles choisissent des numéros VIP et tentent leur chance. Si c’est une femme qui répond, elles s’excusent et prétendent avoir fait un faux numéro. Si c’est un homme, elles essayent d’engager la conversation pour tester dans quelle mesure il répondra positivement à leurs avances. Ce qui est sûr, c’est qu’elles ne parlent jamais d’argent au téléphone, mesures de précaution obligent. Autre moyen d’attirer la clientèle, la Toile. Il faut dire que la révolution Internet est passée par là. Grâce au chat, à Twitter, au Skype et à divers moyens de communication, elles envoient à des hommes spécifiques à propos desquels elles se sont renseignées- situation maritale, métier, compte en banque, train de vie – des photos d’elles qui montrent bien le corps dans des  pauses lascives et sensuelles, le visage camouflé par les cheveux, les mains ou même un voile négligemment posé sur la tête ou prises de profil pour qu’on ne puisse pas les reconnaître. Pour tâter le terrain, elles font semblant de les séduire. Ce n’est que lorsque ces hommes tombent entre leurs filets qu’elles réclament de l’argent pour leurs prestations au lit. Ces filles sont souvent des «occasionnelles», dans le sens où elles travaillent à leur propre rythme et évitent la régularité pour ne pas attirer l’attention. Elles changent donc d’endroits et de look. Les plus futées préfèrent ne pas faire partie d’un quelconque réseau, mannequinat ou autre pour ne pas augmenter les risques d’être prises dans les filets de la police. Les prix sont fixés à l’avance et il est rare qu’elles soient arnaquées. Leurs tarifs débutent vers les 500 dollars et grimpent en fonction des prestations demandées et du temps passé avec le client.

L’anonymat des réseaux sociaux
Est-il aussi facile de vendre ses charmes et de passer entre les filets de la police des mœurs? Oui, affirment celles que nous avons interrogées. De fait, l’anonymat des réseaux sociaux facilite le racolage car cette forme de prostitution est clandestine et occasionnelle. Ses acteurs échappent aux filets de la police mais sont aussi parfois protégés par des fonctionnaires haut placés, notamment quand il s’agit d’agences. Il est impossible donc de repérer la prostitution estudiantine. D’autre part, comme ces filles travaillent dans les maisons – en se rendant directement chez le client – ou dans les hôtels, il est difficile de les dénombrer. Leur physique? Il y a les discrètes, celles qui peuvent se faufiler partout sans attirer l’attention. Celles-ci ont un physique anodin qui n’attire pas l’attention… Il y a les faites et les surfaites. Des filles filiformes à la bouche en canard et aux seins refaits et même si leur physique parle pour elles, il y a une sorte d’accord consensuel pour ne pas les inquiéter. Ne contribuent-elles pas à leur manière à «l’essor» du tourisme libanais? Les raisons qui les poussent à se prostituer? Arrondir les fins de mois, mais aussi s’offrir l’argent nécessaire pour vivre dans le luxe. Les plus ambitieuses et les plus futées espèrent avoir recours à la prostitution le temps de réaliser un projet qui leur assurera des revenus fixes sans qu’elles n’aient à se tracasser pour l’avenir. Moins réalistes, certaines espèrent, dans le meilleur des cas, mettre le grappin sur l’un de ces riches clients. Certaines souhaitent tout simplement mettre du piment dans leur vie et mener une existence facile. Il est étonnant de constater la froideur avec laquelle ces filles parlent de la prostitution – même si elles refusent de lui donner cette appellation.

Danièle Gergès

Il n’y a pas de prostitution heureuse
Malgré les témoignages que nous avons recueillis et qui semblent banaliser la prostitution, les incidents de parcours inattendus guettent car, en fin de compte, il n’y a pas de prostitution heureuse. Il y a les souffrances mentales et physiques qu’on finit par accumuler: risque de dépression, de dégoût, de traumatismes, d’infections, de violences et d’humiliations venant des clients, dédoublement entre physique et mental… Pour pouvoir supporter la situation, on devient étranger à son propre corps jusqu’à ne plus sentir les signaux de détresse qu’il lance. On peut verser dans la dépendance; drogue, alcool, argent… il en faut toujours plus. Avec le temps, on devient plus mûrs, on oublie l’insouciance de son âge, on manque de confiance en soi et dans les autres…

Les aveux d’un «client»
En visites régulières au Liban, cet homme d’affaires français de 65 ans se fait une joie de venir à Beyrouth. Logé dans l’un des meilleurs hôtels de la ville, il sait à l’avance que le soir venu, il n’a pas à faire le tour des bars pour draguer. Le concierge de l’hôtel va lui proposer son catalogue des filles du métier pour lui tenir compagnie et plus si affinités. «Elles portent toutes un pseudo, raconte-t-il à Magazine, mais les photos étalées sont vraies quoique parfois retouchées pour enjoliver un corps ou estomper un défaut côté visage. Elles sont jeunes et belles et refusent qu’on les traite de prostituées. Elles proposent de vous tenir compagnie, de vous accompagner à des dîners et si vous voulez profiter de leur présence dans votre lit, là, il faut y aller d’un gros paquet. Les prestations varient donc et l’éventail est large: s’offrir un bon moment, dîner en bonne compagnie, se faire accompagner dans des soirées, décompresser, se faire masser, coucher…»
 

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