Magazine Le Mensuel

Nº 2891 du vendredi 5 avril 2013

Editorial

Diagnostic et remède

Les Libanais sont comme les maris trompés, les derniers à savoir. Avant eux, une bonne moitié de la planète connaît déjà le nom de leur prochain Premier ministre. Ce n’est plus du suspense mais une devinette de mauvais goût; une preuve on ne peut plus éclatante de la décadence de la classe politique, de la déliquescence des institutions et des déficiences du système, que toutes les feuilles de vignes du monde ne peuvent plus dissimuler.
On connaît la comptine. A l’ère de la mondialisation, l’indépendance absolue n’existe plus, les relations entre les pouvoirs nationaux et supranationaux sont complexes et les influences sont profondes et réciproques. Sur un plan strictement libanais, la Constitution ne prévoit pas de candidature pour le poste de Premier ministre et le choix des députés est secret, seul le président de la République en est informé lors des consultations parlementaires contraignantes.
Certes, tout cela est vrai, mais ne justifie pas pour autant que le Premier ministre soit choisi par des capitales étrangères. Hier Le Caire et Damas, aujourd’hui Riyad et Téhéran, et toujours Washington et Paris. La tutelle exercée avec brutalité et sans ménagement à l’époque syrienne – avec la bénédiction de l’Occident et des Arabes, il ne faut jamais l’oublier -, se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes. Moins voyante, plus raffinée, elle n’en reste pas moins tout aussi pesante et décisive.
Sans vouloir donner l’impression de se mêler de ce qui ne les regarde pas (!), les Libanais souhaiteraient savoir pourquoi, huit ans après le retrait des troupes syriennes, la désignation d’un Premier ministre doit-elle encore répondre à des équilibres régionaux et internationaux. Pourquoi les considérations externes priment-elles sur les intérêts nationaux? Sur quelles bases décide-t-on, dans les capitales étrangères, que le profil de tel homme politique, plutôt que tel autre, correspond mieux aux impératifs de la période actuelle? Et puis quels sont ces impératifs? S’agit-il d’éponger la dette publique, de réduire le déficit, d’accélérer l’exploitation des ressources en hydrocarbures pour assurer un avenir meilleur à nos enfants, de rétablir l’autorité de l’Etat? Si le choix du prochain Premier ministre, quel qu’il soit, était dicté par ces préoccupations, le mal aurait été moindre. Mais nous savons tous que les critères qui font pencher la balance en faveur de telle ou telle personnalité n’ont rien à faire avec le bien-être des Libanais.
En toute modestie, les Libanais ont contribué à la fondation, au développement et à la prospérité de secteurs entiers dans les sociétés arabes. Hôtellerie, restauration, santé, construction, publicité, médias, éducation, ils sont présents partout. Médecins, ingénieurs, journalistes, publicistes, hommes d’affaires, académiciens (…), ils ont partagé leur savoir-faire avec leurs frères arabes. Le phénomène tout récent des cadres supérieurs libanais qui, après être passés à la retraite, sont recrutés pour restructurer des ministères ou moderniser des institutions étatiques ou privées dans les pays du Golfe, prouve que les compétences libanaises restent appréciées. Pourquoi alors tous ces pays s’arrogent-ils le droit de coacher les Libanais dans le domaine de la politique? Et pourquoi ces derniers se sentent-ils obligés d’obtenir la bénédiction de tel roi ou émir arabe, ou un certificat de bonne conduite de tel dirigeant occidental?
Le mal qui ronge le Liban de l’intérieur s’appelle confessionnalisme. Le système est construit d’une telle façon que chaque communauté sent la nécessité, voire le besoin vital, de se trouver des soutiens et des protecteurs étrangers pour s’imposer face aux autres confessions.
Le diagnostic établi, reste le remède. Pour se débarrasser des influences extérieures, il faut changer le système. On ne le dira jamais assez.

Paul Khalifeh 

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