Magazine Le Mensuel

Nº 2903 du vendredi 28 juin 2013

ACTUALITIÉS

Syrie. Les armes du «rééquilibrage» aux rebelles

Alors que l’hypothèse d’une conférence de Genève 2 piétine plus que jamais, les Amis de la Syrie, réunis à Doha le samedi 
22 juin, ont décidé d’apporter une aide plus concrète à la rébellion syrienne. Avec un objectif à la clé, celui de renverser l’équilibre des forces sur le terrain.
 

La perspective de la tenue rapide de la conférence de Genève 2, initialement prévue pour la mi-juin, s’éloigne de plus en plus. Sur le terrain, depuis qu’elle a remporté la bataille cruciale de Qoussair, l’armée régulière poursuit son avancée, avec Alep en ligne de mire.
En parallèle à ces déroulements sur le terrain, les diplomates, eux aussi, s’activent. Réunis à Doha samedi dernier, les Amis de la Syrie – onze pays dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, ainsi que le Qatar et l’Arabie saoudite – ont finalement décidé, comme l’atteste leur communiqué final, d’octroyer «une aide urgente en matériel et en équipements aux opposants à Bachar el-Assad». Une décision prise pour permettre à l’opposition syrienne de tenir et de faire face «aux attaques brutales du régime». Se voulant rassurants, les onze Amis de la Syrie ont indiqué, dans le même communiqué, que «toute aide militaire sera canalisée» par le Haut conseil militaire syrien relevant de l’Armée syrienne libre (ASL), dirigée par le général Salim Idriss. Les Occidentaux, qui tergiversaient depuis des mois sur l’opportunité d’apporter une aide militaire concrète − des armements en bonne et due forme − aux rebelles syriens, se sont donc finalement lancés. Reste maintenant à savoir qui va livrer quoi et surtout à qui.
La France, qui s’est enorgueillie d’avoir établi des preuves de l’utilisation d’armes chimiques sur le terrain, a ainsi annoncé, par la voix de Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères, que Paris avait livré des traitements anti-gaz sarin à l’opposition syrienne. Des antidotes qui peuvent protéger «un millier de personnes». Les Etats-Unis, qui restent vagues depuis des semaines quant à la nature de l’aide militaire ou non, envoyée aux rebelles syriens, n’ont pas été plus précis. John Kerry, le secrétaire d’Etat américain qui participait à la conférence, a ainsi déclaré que «chacun à sa façon, chacun choisissant son approche, (va) augmenter la portée et l’ampleur de (son) assistance à l’opposition politique et militaire». Le Los Angeles Times a rapporté toutefois que la CIA et des forces spéciales américaines entraînent des rebelles syriens en Jordanie et en Turquie depuis des mois. Selon Georges Malbrunot, du Figaro, citant un militaire français, des instructeurs américains «structurent, encadrent et donnent des conseils aux insurgés syriens depuis la fin de l’année dernière».

Une aide ambiguë
Pour autant, les Amis de la Syrie demeurent réticents à livrer des armes à une opposition plus que jamais divisée et morcelée en différentes factions. Les Occidentaux craignent notamment que des armes ne tombent aux mains des extrémistes, comme le Front al-Nosra. Des armes qui pourraient, à l’avenir, se retourner contre leurs donateurs ou échouer dans d’autres pays sous la coupe de milices extrémistes ou de mercenaires, comme ce fut le cas après la guerre en Libye. Lors d’une courte visite à Amman, le président français François Hollande a invité l’opposition syrienne «à se structurer et à clarifier ses relations avec les groupes extrémistes». De passage à Doha, il avait invité l’opposition à «reprendre» les zones tombées sous le pouvoir des groupes extrémistes.
Pour l’heure, donc, les délais et les quantités d’armes fournies à l’opposition syrienne restent flous. Toutefois, le porte-parole de l’Armée syrienne libre, Louaï Moqdad, avait annoncé la veille de la conférence avoir reçu de l’étranger des quantités d’armes «modernes» susceptibles de «changer le cours de la bataille». Au rang duquel des armes antiaériennes et antichars, ainsi que des munitions. Au terme de la réunion de Doha, des sources de l’opposition syrienne, ont fait état, selon l’agence russe Ria Novosti, de «cinq des onze ‘Amis de la Syrie ’, qui seraient prêts à fournir des armes dès maintenant». Parmi les armes qui pourraient être livrées figurent des missiles antichars et des lance-roquettes sol-air. Les autres pays fourniraient eux une assistance militaro-technique, qui pourrait prendre la forme d’entraînements des rebelles par exemple. Quant à l’Allemagne et l’Italie, elles seraient plutôt réticentes à la livraison d’armes à l’opposition.
Enfin, l’hôte de la conférence, le Qatar, a annoncé par la voix de son chef de la diplomatie, cheikh Hamad Ben Jassem Al Thani, que les participants à la réunion avaient pris «des décisions secrètes», afin de renverser l’équilibre sur le terrain.
Dans ce contexte, la tenue de la conférence de Genève 2 s’éloigne. Après les déclarations plutôt accommodantes du G8, les Américains ont donné de la voix contre les Russes. Selon le quotidien russe Kommersant, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a, pour la première fois, «douté publiquement de l’engagement de Moscou dans le règlement du conflit syrien, en l’accusant de laisser l’Iran et le Hezbollah libanais venir en aide à Bachar el-Assad». «La Russie arme la Syrie. Par conséquent, même si la Russie prétend aspirer à une solution politique, elle permet à Assad d’unir ses efforts avec les Iraniens et le Hezbollah pour mener une guerre plus intensive contre son propre peuple», a déclaré le secrétaire d’Etat américain. Parant toute critique contre les Amis de la Syrie et leur future aide à l’opposition, Kerry s’est justifié en soulignant que «l’opposition a laissé clairement entendre qu’elle était prête à prendre la défense de toute la population syrienne, tandis qu’Assad mène une guerre contre la majeure partie des Syriens». En préalable à sa visite à Jeddah, mardi, où il doit rencontrer le prince Saoud al-Fayçal, Kerry a souligné sur CBS News qu’un scénario aggravé en Syrie pourrait inclure «une totale rupture avec des radicaux, des extrémistes capables de se procurer des armes chimiques et libres de les utiliser comme base pour mener à nouveau des opérations contre l’Occident et les Etats-Unis», d’où l’importance de soutenir l’opposition.
En filigrane, ce qui est sous-entendu, c’est que Genève 2 ne se tiendra pas tant que l’opposition observe un recul sur le terrain. En renforçant la rébellion syrienne, Washington et les Amis de la Syrie espèrent renverser la situation et permettre à l’opposition de dicter ses conditions à Genève 2. Avec en premier lieu, la capitulation du régime et donc de Bachar el-Assad, et son absence du processus 
de transition.
Bien évidemment, l’issue de la réunion des Amis de la Syrie n’a pas manqué de soulever des critiques de la part de Damas et de Moscou. Un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères souligne que les décisions prises à Doha, «contredisent en tout point un règlement politique le plus rapide possible» et qu’il est «évident que ces nouveaux armements risquent de tomber aux mains d’extrémistes et de pousser l’opposition vers un scénario militaire destructeur pour la Syrie».
Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, a ainsi déclaré lundi, lors d’une conférence de presse, que «l’armement va entraver la conférence (de paix) de Genève. Cela va faire durer la crise et encourager les terroristes à commettre plus de crimes (…). A chaque fois que l’armée (syrienne) libère un village (…), ils (les pays occidentaux) disent qu’il y a un déséquilibre (de forces) et qu’il faut armer l’opposition. «A qui ces armes vont-elles être envoyées? Tous les rapports montrent que le Front al-Nosra est celui qui domine sur le terrain, il y a même des factions de l’Armée syrienne libre (ASL) qui l’ont rejoint. Donc finalement, ils armeront al-Nosra», a-t-il lancé. Le ministre a aussi douché les espoirs d’une capitulation d’Assad. «Nous n’allons pas à Genève pour remettre le pouvoir à l’autre partie (…) mais pour établir un véritable partenariat et un large gouvernement d’union nationale qui comprendrait des représentants de toutes les catégories du peuple. Si la condition est que le président Assad démissionne, ne prenez pas la peine de participer (à Genève). 
Le président Assad ne démissionnera pas», a-t-il martelé.
En parallèle, le vice-chef de la diplomatie russe, Mikhaïl Bogdanov, a dit vouloir «empêcher l’apparition d’un vide dans la gestion du pays», afin d’éviter que ne se reproduise le scénario irakien. Il a annoncé que la Russie va poursuivre ses livraisons d’armes à Damas, respectant «les contrats militaires conclus avec la Syrie» portant notamment sur «le renforcement de la défense antimissile (…) sans aucun rapport avec le conflit inter-syrien». S’agirait-il d’une réponse du berger à la bergère?

Jenny Saleh

Offensives rebelles
Sur le terrain, les rebelles syriens se sont lancés dans des attaques à Alep et sa région, avec pour objectif la reconquête d’une partie du terrain gagné par l’armée régulière. Dimanche, trois attaques meurtrières ont touché Damas, tuant au moins dix personnes. Par ailleurs, le père 
franciscain François Mourad a été tué dans le couvent de Ghassanié, près de Homs, selon l’agence vaticane d’informations Sir. Le couvent aurait été complètement pillé par un groupe rebelle. Le responsable régional des 
Franciscains de Syrie, Halim Noujaim, a réagi à cet assassinat par ces mots: «Je voudrais que tout le monde sache, qu’en soutenant les 
révolutionnaires, l’Occident soutient les 
extrémistes religieux et aide à tuer les chrétiens. Avec cette attitude, il ne restera pas un seul chrétien dans ces zones».

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