Magazine Le Mensuel

Nº 2928 du vendredi 20 décembre 2013

Livre

Hélène Carrère d’Encausse. La passion du livre

Née à Paris en 1929, dans une famille que la révolution russe a dispersée à travers l’Europe, Hélène Carrère d’Encausse compte parmi ses ancêtres, de grands serviteurs de l’Empire, des contestataires du même Empire, le président de l’Académie des sciences sous Catherine II et trois régicides. Ce qui la prédisposait à l’étude de l’histoire et en particulier celle de la Russie. Le titre de son dernier ouvrage, Les Romanov-Une dynastie sous le règne du sang (Fayard).
 

Avez-vous déjà participé au Salon du livre 
francophone de Beyrouth?
Je l’avais fait, il y a trois ou quatre ans, en tant que membre du Comité stratégique de l’US, pour présenter un livre et au nom du comité. Cette année, la date du conseil a été modifiée pour me permettre de participer au salon. Je suis très heureuse d’y participer, car il est parmi les trois plus grands Salons francophones mondiaux. J’avais déjà eu une très forte impression la première fois. Cela s’est confirmé cette année. En règle générale, j’aime beaucoup le Liban, actuellement ce qui s’y passe me passionne. C’est un cadeau pour moi d’être ici.

 

Que représente pour vous d’y être et pour 
l’Académie française le fait d’être au Liban,
invitée d’honneur du Salon du livre?
Cela représente beaucoup. Le Liban est l’un des pays les plus chers à la France. Nous partageons la même histoire, celle de la francophonie. Nous avons les yeux fixés sur ce qui se passe dans votre pays. Que nous soyons venus nombreux compte beaucoup. J’ai tout de suite expliqué à mes confrères qu’il fallait se mobiliser pour participer au Salon du livre de Beyrouth. Nous nous réunissons toutes les semaines à l’Académie et nous échangeons nos vues sur les pays qui nous intéressent et sur les problèmes qui nous paraissent centraux; bien évidemment, le Liban est au cœur de nos discussions. Nous allons rentrer avec une masse d’informations et de découvertes que nous aurons faites sur le pays. Et puis aujourd’hui, c’était un grand jour pour quelqu’un qui m’est très cher à l’Académie, Amin Maalouf, son élection a été très importante pour moi. Venir ici, c’était en quelque sorte l’entourer!

Avez-vous craint la situation dans la région avant d’y être venue? Quel message apportez-vous aux Libanais francophones?
Je pense très sincèrement que quand la situation est difficile pour vous, il est très important que nous soyons à vos côtés. C’était donc le moment de venir. Il faut continuer à vivre et si personne ne vous visite, le pays se renferme sur lui et rien ne va plus. Il faut que les francophones parmi vous, comme les autres, sachent que nous sommes auprès d’eux et qu’ils continuent à faire ce qu’ils font et qu’ils comprennent qu’ils ne sont pas seuls.
 
Quelle importance donnez-vous à la lecture?
Je suis convaincue que la lecture est l’activité humaine la plus enrichissante. Même si cela n’a pas un très grand intérêt général, je vous avoue que j’ai appris à lire très tôt, à cinq ans, je le faisais dans deux langues! Je crois que les salons du livre sont, des lieux, où viennent, en premier, ceux qui aiment lire, puis arrivent les curieux qui, tout d’un coup, vont en découvrir l’intérêt. Ceux qui ne lisent pas n’entrent pas en se promenant, de façon naturelle, dans une librairie. Ils n’y sont pas attirés. Ils visitent un salon où se trouvent les écrivains. L’attrait pour la vedette peut en attirer plus d’un. Mais, en même temps, je suis convaincue qu’un déclic se fait chez eux et c’est l’une des raisons pour lesquelles les salons se tiennent en général en week-end et en particulier les dimanches. Il y a quelque chose de magique dans un salon du livre. Les gens entrent, rencontrent un écrivain et l’observent. Il se crée un lien alors entre celui qui écrit et les lecteurs. Je crois que c’est un incitatif très puissant de la lecture.

Pensez-vous que les jeunes s’intéressent encore à la lecture?
Je ne peux pas répondre à cette question en ce qui concerne le Liban. Toujours optimiste, j’aimerais dire que je suis sûre qu’au Liban les jeunes lisent toujours autant! En France, ce n’est pas pareil. Il existe un vrai problème. On apprend mal à lire, le système scolaire, qui était formidable auparavant, n’incite plus à la lecture. La France est, d’ailleurs, très mal classée au niveau mondial. Du fait qu’on apprenne mal à lire, que cela demande un effort, on ne lit pas. C’est de là que vient, de cette espèce de frein à la lecture, le problème rapporté par les libraires et les éditeurs, qui avouent vendre moins de livres. Je ne sais pas si les avancées de la technologie et l’essor des tablettes y sont pour quelque chose, mais pour vous citer un exemple concret, quand je vais en vacances, je prends le train − j’ai toujours préféré ce moyen de transport car c’est un moment privilégié où l’on peut lire pendant le trajet. Depuis quelques années, je n’y vois personne avoir un livre en main. Les enfants sont branchés sur les tablettes et jouent plutôt qu’ils ne lisent. La lecture perd du terrain. Pourtant, c’est quand même la plus grande liberté de l’homme et il est clair qu’il faut la raviver. Jamais rien n’est perdu. Il faut redonner le goût du livre et en offrir. Mon expérience m’apprend que, parfois, un enfant n’est pas content de recevoir un livre! Il faut l’accompagner d’autre chose car autrement, il pense qu’on se moque de lui! Tout est question de démarrage et il faut être attentif. Les statistiques françaises montrent qu’on ne rattrape pas la lecture quand on n’a pas appris à lire jeune. Un enfant sur cinq élèves de l’école primaire française ne sait pas lire. N’oublions pas que tout vient du contact avec les livres!

Propos recueillis par anne Lobjoie Kanaan

Commentaire de Fayard
 «En 1613, les Romanov ont été portés sur le trône de Russie à l’issue de siècles tragiques où le pouvoir a été transmis ou conquis par le meurtre. De 1613 à 1917, 15 souverains, dont trois femmes, ont incarné la dynastie. Les Romanov ont gouverné un empire devenu le pays le plus étendu du monde − ce qu’il est encore en 2013. Cette dynastie exceptionnellement brillante, certains empereurs − Pierre le Grand, Catherine II, Alexandre II − comptent parmi les plus hautes figures de l’histoire 
universelle, a permis à la Russie de devenir une très grande puissance européenne puis mondiale. Pourtant, le sang n’a cessé de couler au pied du trône. De là, trois questions, l’histoire russe a-t-elle créé les conditions de cette violence ininterrompue? Le destin 
tragique de cette dynastie était-il écrit dans son passé: invasions, cultures, religions diverses qui se mêlaient sur la terre russe? Ce rapport inédit du pouvoir légitime et de la violence conduisait-il inéluctablement à la tragédie finale et au système totalitaire dont la capacité de durer et la violence furent non moins exceptionnelles?».

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