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Nº 2945 du vendredi 18 avril 2014

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Walid Joumblatt, député et chef du PSP. «Dans la présidentielle, le facteur interne prédomine»

Lorsqu’il évoque l’élection présidentielle, le député Walid Joumblatt choisit ses mots avec précaution. Il évite de se prononcer sur les candidatures annoncées ou potentielles, s’oppose à un éventuel amendement de la Constitution et affirme qu’il arrêtera sa décision à la dernière minute. Tout en évitant de brosser les caractéristiques du prochain chef de l’Etat, il souligne que le futur président devrait, selon lui, accorder la priorité aux questions économiques et sociales. Dans une interview accordée à Magazine, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) assure que dans l’élection présidentielle 2014, le facteur libanais prime sur les facteurs externes. Mais il n’exclut pas que la communauté internationale «tire un lapin de son chapeau»…
 

Depuis que vous êtes en politique, vous avez vécu plusieurs élections présidentielles. Quelle période l’échéance actuelle vous rappelle-t-elle?
Celle de Sleiman Frangié peut-être, bien que le contexte soit différent. C’est la première fois que nous sommes livrés à nous-mêmes, c’est-à-dire que la décision de l’élection d’un président revient en grande partie aux Libanais, le monde arabe étant plongé dans un désordre généralisé.

Vous pensez donc que le facteur externe est, aujourd’hui, inopérant?
Il y a toujours un facteur externe qui entre en jeu, mais dans l’échéance actuelle, le facteur interne est prédominant.
Vous êtes donc d’accord avec Hassan Nasrallah, Nabih Berry et Béchara Raï, qui disent possible, aujourd’hui, d’élire un président «made in Lebanon»?
Oui, je suis d’accord avec eux. Je suis l’un des électeurs, un petit électeur certes, et je vais donc voir avec tout le monde comment l’échéance va s’annoncer. Nous aurons le choix au Parlement de voter pour celui qui convient le mieux à la période actuelle. Nous avons aussi le choix de l’abstention. Nous verrons.

Votre «petit» groupe de huit députés peut, quand même, faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Je ne sais pas. On verra au jour J.

Aujourd’hui, une candidature est annoncée officiellement, celle de Samir Geagea. Une autre, officieuse, est celle de Michel Aoun. Il y a aussi Robert Ghanem qui a annoncé son intention de briguer la présidence. Vous êtes-vous déjà positionné pour l’un de ces candidats… ou pour un autre?
Je le ferai à la dernière minute après m’être concerté avec ma conscience et mes partenaires. Je me concerte en priorité avec le président Berry, mais aussi avec le Courant du futur et d’autres parties. Je ne vais rien divulguer sur ce sujet. Je préfère qu’il y ait des candidatures officielles et des programmes surtout socioéconomiques. Soit on est candidat soit on ne l’est pas. Je ne peux pas voter pour un fantôme.

Vous auriez déclaré à l’ambassadeur des Etats-Unis, David Hale: «Ni Geagea ni Aoun…».
Je n’ai jamais dit ça.

Selon vous, les conditions politiques sont-elles réunies pour que l’échéance présidentielle se déroule dans les délais constitutionnels?
Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de président. Je ne vois pas d’obstacle majeur qui l’empêcherait, d’autant que la situation, comme par miracle, s’est améliorée sur le plan sécuritaire, et que les caïds de Tripoli et d’ailleurs ont disparu et ont rejoint les universités, à Oxford et aux Etats-Unis! Ce n’est pas pour me vanter, mais je l’avais dit: que ceux qui couvrent les caïds sur le terrain arrêtent de le faire financièrement et politiquement, on pourra alors parvenir à une solution. On dirait que différents partis l’ont fait. Pour quelles raisons? Je ne sais pas. Mais heureusement qu’un dialogue est entamé, notamment entre le Courant du futur et le Hezbollah.

Un dialogue?
Ne siègent-ils pas ensemble dans un même gouvernement?

Etes-vous d’accord avec le président Nabih Berry sur le fait que le quorum de la séance de l’élection présidentielle doit toujours être des deux tiers du nombre des députés du Parlement?
Je pense qu’il a raison. N’étant pas moi-même un grand spécialiste de la Constitution, je ne peux pas m’aventurer sur le sujet. Cela me rappelle un peu lorsque l’on avait voulu élire un président à la majorité plus un (65 députés), en 2007. Heureusement que l’ancien patriarche Nasrallah Sfeir s’y était opposé.

Y a-t-il des concertations avec des parties régionales ou internationales au sujet de la présidentielle?
Non, il n’y en a pas. Jusqu’à présent, la plupart des ambassadeurs affirment qu’il s’agit d’une affaire libanaise. Vont-ils tirer un lapin de leur poche à la dernière minute? Je ne le sais pas.
 
Etes-vous favorable à un éventuel amendement de la Constitution si besoin est?
Non. On n’en a pas besoin. C’est comme si l’on disait à la classe politique qu’il n’y a qu’un ou deux candidats seulement capables d’occuper ce poste.

Certains établissent un lien entre l’élection présidentielle au Liban, l’élection en Syrie, et un éventuel accord irano-américain sur le dossier nucléaire. Qu’en pensez-vous?
Je ne vais pas aussi loin. Nous autres, Libanais, aimons les grandes analyses. Que les Américains se mettent ou ne se mettent pas d’accord avec les Iraniens, le facteur libanais reste le plus important. En Syrie, ce sera l’absurdité totale, Bachar el-Assad sera réélu sur les décombres de ce qui reste de ce pays. Il a déplacé neuf millions de Syriens. Il a changé les cartes d’identité, une absurdité…

Cela signifie-t-il que l’élection présidentielle se déroulera selon le principe de «ni vainqueur ni vaincu»?
La question ne se pose pas en termes de vainqueur ou de vaincu. Le plus important pour moi est que le prochain président puisse gérer tous les problèmes. J’insiste sur le fait, qu’à mes yeux, le problème est socioéconomique. D’autres diront que les armes (du Hezbollah) sont le problème. Je leur réponds que les armes ne sont pas un enjeu que l’on peut résoudre au Liban. Même sayyed Hassan Nasrallah le dit, la question des armes nous dépasse. On attend que la conjoncture régionale se précise pour que le Hezbollah rejoigne les rangs de l’armée. Sur le plan socioéconomique, nous n’avons aucune estimation correcte. L’appareil de l’Etat est gangrené par une corruption couverte par la classe politique… dont je fais partie.  

Lorsque les Libanais ont été livrés à eux-mêmes, la formation du gouvernement a pris onze mois. Il a fallu que les acteurs externes leur forcent la main pour qu’ils parviennent, enfin, à former un gouvernement…
Personne ne nous a forcé la main. Dès le départ, j’avais dit qu’il nous fallait un cabinet d’union nationale. Cela a pris du temps. Mais c’est finalement arrivé.

Etes-vous toujours aussi critique à l’égard de l’implication du Hezbollah en Syrie? N’y voyez-vous que des aspects négatifs?
J’ai toujours dit qu’il fallait réorienter le fusil de la Résistance parce que c’est une erreur stratégique que d’être allée combattre en Syrie. Dans le même temps, cela nous dépasse en tant que Libanais. C’est une conjoncture qui commence en Iran et se termine au Liban, en passant par ce qui reste de la Syrie. Ce pays, qui a joué un rôle pivot dans la région, est en train d’être détruit. C’est une machination infernale dans laquelle tous les pays sont impliqués: les Arabes, les Etats-Unis, la Russie, tout le monde. Avec sa folie des grandeurs et son acharnement à vouloir réprimer son peuple, Bachar el-Assad a refusé d’écouter les revendications légitimes de son peuple.

Vers quoi se dirige la Syrie?
Vers la dislocation totale. Après la guerre en Irak, c’est au tour de la Syrie. Que l’on aime Hafez el-Assad ou pas, il avait construit une Syrie forte, incontournable. Le fils a tout détruit. Il ne restera, alors, sur la scène du Proche-Orient, que trois puissances non arabes: Israël, l’Iran et la Turquie.

La création d’une ceinture de sécurité dans le Golan syrien, évoquée par la presse occidentale, vous paraît-il un projet sérieux?
Effectivement, je vois un nouvel Antoine Lahd syrien.

Concernant les druzes de Syrie, les appelez-vous toujours à rester neutres dans le conflit qui déchire leur pays?
Je le leur répète toujours: «Vous allez vivre avec vos voisins, qui ne sont pas les alaouites, lesquels vont se retirer dans leurs montagnes, tôt ou tard. Vous allez vivre avec vos voisins du Houran, qui sont sunnites». Nous, les nationalistes arabes, dont j’ai fait partie, nous décriions et dénoncions Sykes-Picot. Aujourd’hui, je déposerai une fleur sur la tombe de ces deux hommes car, à l’époque, ils avaient fait des tracés des frontières, délimités avec une règle. Maintenant, qui va établir ces tracés dans les guerres entre les tribus, les ethnies, les confessions, les communautés…?

Condoleezza Rice n’avait-elle pas qualifié ce chaos de constructif?
En fin de compte, la politique américaine est régie en grande partie par les intérêts d’Israël dans la région. Les Israéliens veulent la reconnaissance de l’identité juive de l’Etat, alors qu’un Etat n’a pas, en principe, d’identité religieuse. Un Etat juif signifie, selon moi, qu’un jour les Arabes seront déplacés d’Israël et seront des citoyens de seconde catégorie ou se désisteront de leur nationalité.

Vous dites que la politique américaine vise à servir les intérêts d’Israël. Le souci américain de préserver la stabilité du Liban s’inscrit-il dans cette logique?
Pour le moment, nous avons réussi à résister à la fournaise syrienne. On dirait qu’on est plus ou moins à l’abri.

Vous parlez d’un abri, avec un million deux cent mille réfugiés syriens…
Il fallait dès le départ organiser cette affaire, vu que nous autres Libanais, sommes racistes.

Pensez-vous que le danger d’une implantation définitive d’une partie de ces réfugiés est réel?
Je ne sais pas. Si la guerre prend fin, les gens vont rentrer chez eux. Mais il faut prendre en considération que Bachar el-Assad a détruit des villes entières et a provoqué des déplacements massifs de population pour vider ces régions de la majorité de leurs habitants sunnites. Nous avons toujours le temps d’installer des camps dans des régions précises, mais pas aux frontières pour des raisons de sécurité. A l’aéroport de Rayyak, ou de Kleyaat… peut-être.

La relative stabilité au niveau de la sécurité permettrait-elle le retour de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, d’autant plus qu’il semble que les mesures de sécurité ont été considérablement renforcées autour de ses bureaux, à Qantari?
C’est à lui que vous devez poser cette question. Je ne répondrai pas à sa place. 


Propos recueillis par Paul Khalifeh et Danièle Aramouni Gergès

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