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Nº 2952 du vendredi 6 juin 2014

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L’énigmatique Sissi maître de l’Egypte. Ses priorités: sécurité et développement

Le maréchal Abdel-Fattah el-Sissi est désormais le président de la République arabe d’Egypte. Ce résultat était attendu. Pour des dizaines de millions d’Egyptiens, le maréchal est la seule personnalité capable de mettre un terme à l’insécurité, de relancer l’économie et de redonner à l’Egypte sa place de puissance régionale au Moyen-Orient.

Depuis qu’il a destitué et placé sous les verrous l’islamiste Mohammad Morsi, Abdel-Fattah el-Sissi est devenu l’homme fort de l’Egypte, le super-héros, le nouveau Nasser. Par la suite, l’application de la Feuille de route, destinée à tracer l’avenir du pays, a décuplé sa popularité.
«Nous n’avons pas besoin d’un président de République en Egypte, nous voulons un zaïm (leader). Sissi doit diriger le pays». Ce souhait, recueilli au sein de la population, et approuvé par de nombreux partis politiques, s’est réalisé sans suspense. Les élections présidentielles étaient une simple formalité, Dès le premier jour de vote, le  26 mai, on a bien vu que le maréchal Sissi, le grand favori, avait obtenu une victoire écrasante contre son unique adversaire, le politicien de gauche Hamdeen Sabahi. Les médias prédisaient déjà les résultats: 97% des suffrages allaient à Abdel-Fattah el-Sissi, 3% à son rival, et on parlait déjà de votes nuls.
Les élections, dénuées de suspense, ont cependant réservé une surprise. Le taux de participation a été bien inférieur à celui qu’espérait Sissi. A travers ses déclarations aux Egyptiens et ses promesses d’éradiquer la misère, le chômage, l’insécurité, le maréchal attendait un taux de participation proche des 80%, qui aurait donné à sa victoire les traits d’un plébiscite national. Il avait réclamé la participation de 40 millions d’Egyptiens (53 millions ont le droit de vote), seuls 23 millions se sont rendus aux urnes. Le taux est évalué à 47% environ.

 

Popularité gênante
Ses ennemis politiques ont immédiatement parlé d’un «premier échec», et affirmé que ce taux ne lui donnait pas une «légitimité infaillible». Souscrire à cette analyse serait une grave erreur. En juin 2012, au 2e tour des élections, Mohammad Morsi, qui avait pour rival l’ancien général Ahmad Chafic, a bien enregistré un taux de 51,8%, mais il n’a eu que 13,5 millions d’électeurs. Abdel-Fattah el-Sissi en compte plus de 22 millions, soit environ 10 millions de plus que Morsi.
D’autre part, la situation n’est pas la même. En 2012, les Egyptiens étaient nombreux aux urnes parce que la bataille opposait ceux qui ne voulaient pas d’un islamiste au pouvoir à ceux qui refusaient un retour à l’ancien régime, personnifié par Chafic. En mai 2014, nombre d’Egyptiens ont évité de se déranger et de faire la queue devant les bureaux de vote, parce que la victoire de Sissi était assurée.
Dans ce contexte, la popularité du maréchal a joué en sa défaveur. Il faut sans doute ajouter à cette défection le boycott électoral observé par les Frères musulmans, les salafistes qui n’ont pas obéi au mot d’ordre donné par le parti al-Nour, et les jeunes qui ont boudé l’élection pour s’insurger contre la détention de certains dirigeants du Mouvement du 6 avril, moteur de la révolution du 25 janvier 2011, coupables d’avoir organisé une manifestation sans autorisation préalable.
Le maréchal Sissi n’a pas retrouvé la marée humaine du 30 juin 2013, mais il n’en est pas moins le maître de l’Egypte.
Reste aux Egyptiens à découvrir la personnalité de leur président. Ils le connaissent à travers la télévision, mais ils n’ont jamais vu ce «nouveau Nasser» haranguer la foule. En fait, le «sauveur de l’Egypte» n’est pas un tribun, c’est un chef calme, un excellent stratège, un homme qui connaît parfaitement ses dossiers, et les problèmes très graves qu’affronte aujourd’hui le pays. Il n’a pas promis aux Egyptiens une solution miraculeuse. Il a dit, et répété, qu’il ne possédait pas de baguette magique, et que tous les citoyens devaient travailler, main dans la main, pour modifier le sort de l’Egypte.
Le peuple n’est pas habitué à ce vocabulaire. D’ordinaire, les candidats lui promettent d’innombrables facilités en contrepartie de ses voix. Sissi exige du travail. Une exigence conforme à son caractère, mais ses compatriotes ne le savaient pas. En fait, ils connaissent le passé militaire de leur héros national, mais ils ignoraient le moindre détail relatif à sa personne ou à sa famille.  

 

Des origines modestes
L’ancien chef des Renseignements militaires avait interdit à ses proches de parler de sa vie privée.
Peut-on déjouer les enquêtes des journalistes? Peu à peu «l’Enigme Sissi» est battue en brèche. On apprend qu’il est né à Gamaleya, quartier islamique populaire proche du souk Khan al-Khalili, où son père possède une boutique de marqueterie. Gamaleya est aussi le lieu de naissance du célèbre écrivain Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature 1988. Mahfouz a romancé l’histoire de chaque rue, et Sissi est un fervent lecteur de l’écrivain.
A Gamaleya, certaines personnes âgées se souviennent encore du petit Abdel-Fattah, qui se rendait à l’école du quartier, son cartable derrière le dos. Membre d’une famille de huit enfants, cinq filles et trois garçons, c’est le plus sérieux. «De retour de l’école, il ne jouait pas avec nous», dit son cousin Hassan, «il préparait ses devoirs et ses leçons». L’adolescent fréquente ensuite le Lycée militaire, gouvernemental et gratuit, puis s’inscrit à l’Ecole militaire. Le général à la retraite Kamal Amer, qui a été son chef, puis son professeur à l’Académie d’état-major Nasser, se souvient: «C’était un officier calme, intelligent, courageux. Plus tard, à l’Académie, j’ai constaté son souci d’élargir ses connaissances, son nationalisme passionné et cette faculté de ne jamais prendre une décision sans en mesurer toutes les conséquences».
Nul besoin de retracer son ascension militaire. Homme très pieux, père de famille affectueux, mais sévère, le maréchal a trois fils officiers dans des branches différentes de l’armée, et sa fille unique vient d’épouser le fils du gouverneur du Sinaï-Sud. Sissi a le culte de sa mère à laquelle il rend une visite hebdomadaire en dépit d’un emploi de temps très chargé. Il éprouve le même sentiment pour son épouse, Intissar, qui est aussi sa cousine maternelle, et avoue à la télévision lui avoir demandé son avis avant de poser sa candidature à la présidence de la République.
Il serait faux de dire que le maréchal Sissi n’a pas mené de campagne électorale. Mais pour des raisons de sécurité (il aurait échappé à deux attentats), il a dû s’adresser au peuple à travers les chaînes de télévision à très large audience. Il a également rencontré ses concitoyens par petits groupes: les écrivains, les chefs des partis politiques, les rédacteurs en chef des journaux…
Les Egyptiens ont découvert un homme d’une grande simplicité, affable, clair dans ses réponses, n’éludant aucune question. Il a aligné ses objectifs: la sécurité, la stabilité et le développement. Il a souligné que sa principale préoccupation est d’aider les démunis, de lutter contre le chômage et de mener une guerre à outrance contre les Frères musulmans: «Ils n’auront aucune place durant mon mandat».
Pour concrétiser ses plans ambitieux, le futur raïs a appelé à renforcer le rôle de l’Etat qui doit «s’engager dans la planification, l’organisation et la réalisation» des projets. Par ailleurs, dans un entretien avec un journal gouvernemental, le maréchal a appelé les hommes d’affaires à «mettre en place un compte pour financer des projets» martelant: «Tout le monde doit payer». Ce fonds s’élèverait, selon la presse privée, à plus de 12 milliards de dollars.
Le président élu a demandé à ne pas être jugé sur ses réalisations avant deux ans. Un délai légitime face à cette nouvelle page de l’histoire d’Egypte.

Denise Ammoun-Le Caire
 

Les dates-clés
3 juillet 2013 Mohammad Morsi est destitué et mis en prison.
14 août 2013 Attaques sanglantes contre les deux sit-in islamistes.
1er septembre 2013 La rédaction de la Constitution commence.
27 janvier 2014 Sissi est nommé maréchal par le président intérimaire.
26 mars 2014 Sissi pose sa candidature à la présidence de la République.

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