Magazine Le Mensuel

Nº 2985 du vendredi 23 janvier 2015

general

Wehcha de Rafic Ali Ahmad. Un homme face au monde

Depuis le 15 janvier et jusqu’au 8 février, le théâtre Monnot accueille le dernier spectacle de Rafic Ali Ahmad, Wehcha. Quand la colère et l’ironie pourfendent le monde…

Il a le charisme et la maestria d’un passionné de théâtre pour qui la scène n’est qu’un autre chez-soi. Rafic Ali Ahmad prend plaisir, et cela est plus qu’évident, à fouler les planches, seul, toujours seul, dans la solitude de son spectacle, cette Wehcha qui porte bien son nom. Il se glisse dans la peau de son personnage, ce clochard qu’est Abou Michel, même s’il aurait pu très bien porter un tout autre nom, qu’importe, comme ne cesse de le répéter le comédien, metteur en scène et auteur à la fois. Un SDF, un clochard, un marginal, qu’on pourrait facilement croiser à n’importe quel coin ou recoin dans les rues et les ruelles de Beyrouth, portant son silence au cœur de la ville. Sauf qu’Abou Michel, lui, a l’espace des planches et la parole salvatrice et cathartique qu’offre le théâtre.
Dans cet espace scénique, il crie sa vérité, ses vérités, son ras-le-bol social, politique, humain. Face à tous les horizons bouchés, même ceux de l’architecture et de l’urbanisme de la ville. Dans un décor très simple de pans d’immeubles urbains de plus en plus hauts où, la nuit, il ne reste que quelques fenêtres encore éclairées. Un environnement qui paraît écraser l’homme dans sa solitude nocturne. Mais qui sonne en même temps comme le moment opportun pour sortir enfin de l’ombre et déballer toutes ses rancœurs contre le monde, en vrac, pêle-mêle, tonnant, tonitruant.
 

Quand tout s’effondre
Rafic Ali Ahmad ne ménage rien ni personne, surtout pas les femmes. C’est qu’Abou Michel a choisi de vivre dans la rue, notamment parce que sa femme l’a rendu cocu. Cocu. A plus d’une reprise, avec virulence presque, le texte ne cesse de revenir sur l’infidélité des femmes, sur la liberté sexuelle, la sexualité débridée. Et les femmes encore et toujours, traitées de tous les noms au nom de cette sacro-sainte fidélité, au nom de la séduction manipulatrice qu’elles exercent, de tout temps, depuis Eve en passant par Salomé, Shahrazade et même jusqu’au film Unfaithful avec Richard Gere… C’est qu’elles ne cessent de tendre cette pomme rouge, les femmes, et l’homme d’y croquer à tout-va! Des clichés, le texte n’en manque pas du tout, avec des mots qui tonnent sans concession. Cela pourrait être facilement lassant ou facilement divertissant. Le public ne s’y trompe pas, y allant de son rire habituel et amusé, dès que les propos touchent à cette universelle incommunicabilité entre les sexes, rayant au passage la notion d’amour qu’il serait peut-être temps, comme disait Rimbaud, de réinventer.
Les premières minutes, le spectacle est difficile à aborder, en raison précisément des clichés et des idées déjà usées qui tissent le texte. Un texte qui manque de rigueur, de construction logique qui organiserait son vacarme, le comédien emmêlant les sujets et les thématiques, passant de l’un à l’autre, en quelques secondes, en quelques déplacements sur scène. Surtout que, souvent, la rupture est brutale et peu harmonieuse entre les moments de logorrhée expansive et les chutes de tristesse presque larmoyante. Le sourire et les larmes sont loin d’être un acte conjoint, mais une succession de sentiments exacerbés dans l’espoir de susciter une réaction de l’autre côté de la scène. L’acte théâtral vint à manquer. Mais encore une fois, l’aisance du comédien sur les planches sauve la donne. Et les faiblesses du spectacle s’y fondent.
L’infidélité, l’abandon, l’exil des enfants, la religion, la politique, l’hypocrisie, la cupidité, l’envie, la technologie qui éloigne l’homme de l’homme, le sang… est-ce ce monde-là qui rejette Abou Michel? Ou lui qui rejette ce monde? Parce que le seuil de la compréhension, de l’assimilation est dépassé. Plus rien ne lui semble acceptable. Il a choisi sa solitude, même si dans certains moments de faiblesse, elle l’étouffe, elle lui pèse, et il se retourne alors vers cette tendresse passagère et pourtant presque fidèle, des chats de rue, Antar qu’il ne cesse d’appeler, Antar qui, comme lui, a préféré abandonner une demeure somptueuse et une maîtresse affectueuse, pour suivre l’appel de la liberté dans toutes ses composantes. Mais quelle liberté encore peut espérer Abou Michel? Quelle consolation? Quel apaisement enfin? La mort, peut-être, la fidèle compagne, l’ultime compagne? 


Nayla Rached
 

Jusqu’au 8 février, au théâtre Monnot, à 20h30.
Billets en vente au Virgin: (01) 999 666.
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