Magazine Le Mensuel

Nº 2988 du vendredi 13 février 2015

POLITIQUE

Présidentielle. Girault cherche une clé introuvable

Après avoir tenté de rapprocher les points de vue de Riyad et de Téhéran, occupés par d’autres priorités, et ceux de leurs obligés au Liban, qui lui ont indiqué que la question était avant tout chrétienne, l’émissaire français se tourne désormais vers le patriarche Béchara Raï et le Vatican pour forcer le déblocage de l’élection présidentielle.
 

En fin diplomate, Jean-François Girault a sans doute acquis la conviction, au fond, que les acteurs politiques du pays ne font plus du vide présidentiel un dossier à traiter en urgence. Les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et l’Iran, où le directeur du bureau Afrique du Nord et du Moyen-Orient au Quai d’Orsay s’est rendu ces derniers mois, et à plusieurs reprises, pour évoquer la question libanaise, ont les yeux rivés sur l’Irak, la Syrie et le Yémen. Washington, Riyad et Téhéran l’ont redirigé vers les partis politiques libanais. Moins de deux mois après son précédent passage, Girault est donc revenu à Beyrouth, les 3 et 4 février derniers, pour rencontrer à nouveau les responsables locaux. La platitude officielle des déclarations d’intention de Tammam Salam et de Nabih Berry n’a rien apporté de nouveau, ni de substantiel. Le dialogue entre le Hezbollah et le Courant du futur aurait pu constituer une porte de sortie, mais les deux partis préfèrent se concentrer sur les questions sécuritaires. Respectueusement conduit par ses interlocuteurs qui lui ont conseillé de concentrer ses efforts sur les parties chrétiennes, Girault s’est donc tourné vers Michel Aoun et Samir Geagea.
 

Contexte encore vert
Le leader du Courant patriotique libre et le chef des Forces libanaises dialoguent également, certes par représentants interposés mais ils se parlent, et de tout, sauf du dossier présidentiel. Elle est là, la première impasse pour Jean-François Girault. Pour la première fois depuis la fin du mandat de Michel Sleiman, les plus importants adversaires politiques du pays se parlent et rapprochent leurs points de vue sur l’ensemble des sujets brûlants. Jamais depuis huit mois, le contexte n’avait semblé aussi propice à un déblocage du dossier présidentiel. C’est pourtant le seul sujet éludé. L’envoyé spécial de Laurent Fabius peut appeler «les acteurs concernés» à faire «preuve de responsabilité». Tant que «les acteurs concernés» continueront d’écarter le dossier de leurs discussions, aucun progrès ne pourra être fait.
Deuxième écueil. Comme l’indique le communiqué de presse diffusé par l’ambassade de France, «Jean-François Girault a marqué auprès de ses interlocuteurs la préoccupation de la France […] quant aux conséquences négatives des dysfonctionnements institutionnels dont souffre ce pays, y compris en vue d’une mise en œuvre efficace des soutiens bilatéraux et internationaux». Lorsque l’émissaire français, accompagné dans sa tournée par l’ambassadeur de France Patrice Paoli, évoque la question présidentielle sous le prisme institutionnel, le Premier ministre et le président du Parlement ont sans doute répondu qu’en l’absence de président, la Constitution a prévu des mécanismes de substitution qui sont mis en œuvre non sans mal au Grand sérail et place de l’Etoile. En d’autres termes, l’argument institutionnel, à l’épreuve des faits, ne tient plus.
Pour les garants de l’autorité et de la continuité de l’Etat, le vide présidentiel est à placer à la lumière de la représentation des chrétiens. C’est en usant de cette corde sensible que le dossier a une chance d’être débloqué. Bien que la diplomatie française ait toujours eu le souci de ne pas empiéter sur la souveraineté de l’Etat libanais, Paris n’a jamais cessé d’exalter ses relations privilégiées avec les chrétiens du Liban. Dans la crise que traverse la région depuis l’émergence du Printemps arabe, la France, fille aînée de l’Eglise, a été le premier pays occidental, avant les Etats-Unis, à prendre en compte la question des chrétiens d’Orient. Sans le dire, et au vu du rôle que jouent Riyad et Téhéran auprès des communautés sunnite et chiite du pays, la France se rêve comme le parrain des chrétiens afin de préserver son influence au Liban.
Troisième écueil. A en croire les parties prenantes aux discussions de Girault sur l’ensemble de l’échiquier politique, celui-ci n’a proposé aucune idée nouvelle, encore moins de solutions concrètes. Il s’est contenté de rappeler «la pleine mobilisation de la France pour faciliter, par des contacts suivis avec l’ensemble des acteurs, dans le cadre de bons offices respectueux de la souveraineté du Liban, une entente en vue d’une solution aux blocages institutionnels et politiques que traverse le pays». Girault a dû affirmer que la France n’avait «ni candidat, ni veto». Tout juste a-t-il laissé entendre qu’il a évoqué avec ses interlocuteurs «les prochaines étapes de cette mission de facilitation». Maigre ambition pour une diplomatie qui envoie l’un de ses plus fins limiers sans feuille de route concluante. Le seul succès de Girault se limite à ses nombreux voyages et entretiens au Liban et dans la région pour s’assurer que soit préservé au pays du Cèdre l’esprit de dialogue.

 

La solution chrétienne
Le patriarche Béchara Raï qu’il a manqué en arrivant à Beyrouth, Girault a fini par le rencontrer ce lundi au Vatican. La dernière visite de l’émissaire français au Saint-Siège datait de décembre. A l’occasion, il avait rencontré le secrétaire d’Etat Dominique Mamberti, qui lui a affirmé que le Vatican n’a pas de veto en ce qui concerne les candidats à la présidentielle, la priorité étant qu’un chef de l’Etat, accepté par toutes les parties, soit élu. Depuis, la position de la diplomatie vaticane n’a pas changé. A Rome, Girault a demandé au chef de l’Eglise maronite de lancer une initiative pour relancer le processus présidentiel. Lui a-t-il soufflé l’idée d’un «synode présidentiel», à la manière du collège des cardinaux chargé d’élire le pape? En clair, convoquer les députés au Parlement, fermer ses portes, puis ne l’ouvrir qu’après l’élection d’un président.
Une idée saugrenue reflétant les blocages qui empêchent la tenue de l’élection. Mais Girault ne fait que suivre la route que lui tracent ses interlocuteurs. Après les capitales étrangères, les partis politiques libanais, puis les chrétiens. «Girault ne mène pas de médiation entre les partenaires chrétiens et n’a guère exposé de nouvelles idées, se contentant simplement de rapporter celles qu’il a entendues de la part de chacun de ses interlocuteurs», a expliqué à la télévision le ministre de la Culture Rony Araiji, proche du leader des Marada, Sleiman Frangié, qui a également rencontré Girault, tout comme le responsable des relations étrangères du Hezbollah, Ammar Moussaoui. Si le responsable du bureau régional du ministère français des Affaires étrangères s’est montré déçu du manque d’initiative de ses interlocuteurs sur le dossier présidentiel, ces derniers savent que seul un important changement dans l’équation régionale peut modifier la donne.

Julien Abi Ramia

Le journal de Paoli
Sur le site de l’ambassade de France, Patrice Paoli tient un journal de bord. Voici ce qu’il a écrit sur la visite de Jean-François Girault: «Précisément centrée sur la question de la présidentielle, la visite de Jean-François Girault a fait couler beaucoup d’encre […] L’émissaire français n’est pas venu apporter une solution, tout le monde le sait. Il n’y avait donc pas à attendre de miracle ou de solution toute faite. Ce sont les Libanais qui sont responsables de leur propre destin […] La France cherche à faciliter une entente entre les Libanais, non pas à se substituer à eux […] Ne vous accoutumez pas à la vacance présidentielle; vous avez les moyens de vous entendre […] Ce que nous souhaitons avant tout, c’est que le Liban puisse être maintenu le plus possible à l’écart des conflits régionaux».    

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