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Nº 2991 du vendredi 6 mars 2015

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Tartuffe d’après Tartuffe d’après Tartuffe d’après Molière. Le verbe en transe

Le Mois de la francophonie a été lancé, le 27 février, par le spectacle Tartuffe d’après Tartuffe d’après Tartuffe d’après Molière, de Guillaume Bailliart, présenté le 28 également, sur les planches de la salle Montaigne à l’Institut français de Beyrouth. Entretien.
 

C’est la pièce de Gwenaël Morin, de 2009, qui vous a inspiré. Qu’est-ce qui vous avait le plus marqué dans cette pièce? Et pourquoi avoir décidé d’interpréter tous les rôles sur scène?
L’origine du projet est une lecture que j’ai donnée en remplacement d’une mise en scène de Tartuffe par Gwenaël Morin, dans le cadre du projet Théâtre Permanent. Le titre du spectacle était alors Tartuffe d’après Tartuffe. Cette expérience de lecture en solitaire se nourrissait des deux mois de répétition avec mes camarades de l’époque, ce fut une expérience déterminante par laquelle j’ai pensé: c’est comme ça qu’il faut monter Molière. Seul, avec un minimum de «folklore théâtral», se tenir à côté de l’auteur-acteur Molière et vérifier les conduites de jeu de la pièce. Trois ans plus tard, j’ai pu trouver le temps d’avaler les alexandrins et d’étendre cette lecture en trois dimensions. On pourrait dire, sans être trop solennel, qu’il s’agit d’un hommage au travail de Gwenaël et de son équipe, en ce sens que la théâtralité rudimentaire qu’il défend est ici poussée à son maximum: une table, un acteur, de la lumière, le texte et basta; mais on pourrait aussi dire qu’il s’agit d’un tout autre travail car cette performance, dans son processus de fabrication, est pensée «de dedans» par celui qui joue, contrairement aux spectacles de Gwen qui sont plus pensés (en premier lieu) «de dehors» par un metteur en scène.

Vous souhaitez, à travers cette pièce, explorer la langue de Molière. Quelles sont ses particularités? Est-ce que vous respectez son texte à la lettre ou proposez-vous une adaptation?
La première particularité de cette langue est sa forme: l’alexandrin, des phrases de douze pieds qui riment deux par deux. Avec cette contrainte formelle convenue, très forte, Molière compose. C’est pour moi le premier endroit de jeu pour ce projet. La vie (les pensées, les humeurs, les rapports) se met en lutte avec la «dictature formelle du vers» qui agit alors comme un corset; cette rencontre, cette lutte constitue une énorme réserve d’énergie. C’est un théâtre sans sous-texte, tout ce qui se joue se dit, c’est aussi ça qui permet d’en faire une traversée «en solitaire».
La version que je propose est une recomposition de la première version en trois actes qui finit comme une tragédie (mal!). La version plus connue en cinq actes se termine par un «arrangement moral» avec le consensus de l’époque et ne suit pas vraiment la logique narrative de la pièce, car on sort du noyau de cette famille en crise. On peut dire par ailleurs que la performance que je propose se nourrit très scrupuleusement du texte, s’appuyant, encore une fois, plus sur ce qui est écrit que sur un «projet de mise en scène».

En quoi le Tartuffe de Molière est-il toujours moderne?
Le Tartuffe n’est pas moderne! Ce qui est moderne, c’est la façon de se mettre en rapport avec ce classicisme et de chercher à l’activer sans passer par la case «représentation». Il y a aussi dans ce Tartuffe d’après Tartuffe d’après Tartuffe d’après Molière une recherche de transe.

Vous présentez votre pièce au Liban dans le cadre du Mois de la francophonie. Et le français est bien présenté comme la langue de Molière. Est-ce que cela a une signification particulière pour vous?
Je vous avoue ne pas trop savoir quoi répondre à cette question. J’imagine que ce projet ne commémore rien, même pas la langue française! C’est avant tout un projet de jeu, une chose très sérieuse et très irresponsable en même temps. En ce moment, je lis un philosophe français, Clément Rosset, qui parle de Schopenhauer pour qui l’œuvre d’art soigne ce qu’il appelle «l’horreur du réel», tout en la regardant (c’est-à-dire sans s’en divertir); j’imagine que le théâtre sert à ça en premier lieu, nous soigner du réel de la condition humaine, beaucoup plus que de moraliser, expliquer, programmer, fasciner…

Propos recueillis par Nayla Rached
 

De jeu et de mots
C’est un jeu au véritable sens du terme, un jeu dans sa perception première. Guillaume Bailliart semble s’amuser à jouer et se jouer de tous les concepts relatifs au théâtre, de la représentation à la mise en scène, des personnages aux répliques, du décor aux costumes. Devant le public, il effectue une longue traversée en solitaire au détour des alexandrins, du Tartuffe de Molière, manipulant ses codes et ses restrictions, son impact et sa musicalité. Il est seul sur scène, plongé dans la solitude du verbe. Avec une table comme seul élément décoratif, comme seul élément théâtral, avec les noms des personnages écrits en blanc à même le sol: Dorine, Orgon, Elmire, Mariane, Tartuffe…, Guillaume Bailliart est seul, mais paré d’une multitude d’identités, et le verbe s’empare du corps de l’acteur. Sur la scène du théâtre Montaigne, il tonne, vocifère, clame, s autille, invective, se déplace, se glisse dans la peau de tous les personnages, aussi rapide que l’impact du mot. Un exercice de style très particulier, une lecture qui s’anime. Même si par moments, la performance tonne comme un monologue-fleuve, Guillaume Bailliart parvient à ranimer l’attention par sa verve, sa souplesse physique, la fluidité de sa logorrhée, le sérieux désopilant de sa démarche.

 

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