Magazine Le Mensuel

Nº 2995 du vendredi 3 avril 2015

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Cockpit sécurisé, état mental des pilotes. La MEA assure

C’est avec un mélange d’effroi, de stupeur et d’incrédulité que le monde a suivi le crash de l’avion A320 de la compagnie Germanwings. Comment est-il possible que le copilote puisse décider de se donner la mort en entraînant avec lui 150 personnes innocentes? Comment a-t-il pu leurrer une compagnie, connue pour sa rigueur et son sérieux, sur son état médical et psychique? Un drame similaire aurait-il pu se produire au Liban auprès de la MEA? Quelles sont les mesures de sécurité et les normes médicales appliquées par le transporteur aérien national? Magazine a mené l’enquête.

Le mardi 24 mars, un Airbus 320 de la compagnie Germanwings, appartenant à la Lufthansa, s’écrase dans les Alpes de Haute-Provence en France, faisant 150 victimes. L’appareil avait décollé de Barcelone à destination de Düsseldorf. Le copilote Andreas Lubitz, 27 ans, est soupçonné d’avoir volontairement provoqué le crash. Il avait été traité pour tendances suicidaires, il y a plusieurs années, avant l’obtention de son diplôme de pilote, mais il ne l’était plus au moment du vol fatidique. Le procureur de la République de Marseille indique que l’enregistrement, récupéré dans la boîte noire, révèle que le copilote était seul aux commandes de l’avion au moment du drame et qu’il a volontairement engagé la descente de l’avion. Le commandant de bord, sorti quelques instants, n’a pas pu regagner le cockpit dont la porte était verrouillée de l’intérieur, malgré ses appels pressants à son copilote. Il n’a pas pu empêcher la tragédie.
 

Formation rigoureuse à la MEA
«Un drame identique au crash de l’avion A320 de la Germanwings ne pourrait pas se produire au Liban». Ces propos catégoriques et rassurants sont tenus à Magazine par le commandant Fadi Khalil, président du syndicat des pilotes de la MEA. «La MEA compte 180 pilotes, un chiffre modeste comparé au nombre de pilotes dans les grandes compagnies d’aviation. Nous évoluons dans une communauté où tout le monde se connaît. Nous avons tous déjà volé les uns avec les autres», souligne Fadi Khalil.
Contrairement aux autres compagnies, les pilotes de la MEA n’ont jamais de surprises concernant l’équipage, copilotes et autres, car ils ont tous déjà effectué des vols ensemble. Il est évident que chacun peut traverser des circonstances difficiles, mais les pilotes de la MEA sont soumis à des tests très stricts et continus, concernant leur santé physique et mentale. Selon le président du syndicat, la sélection des pilotes est plus importante que leur training. «Les futurs pilotes sont triés sur le volet. Les candidats sont soumis d’abord à un examen scientifique à l’AUB, puis à une série de tests médicaux à l’AUH et subissent enfin un test psychométrique», explique Khalil.
Après avoir été sélectionnés pour effectuer leurs études en Espagne, à Jerez, ils passent devant une délégation envoyée par l’école espagnole pour être interviewés. «Le coût d’un training de 14 mois est de 100 000 dollars. En vue d’épargner des frais aux étudiants et pour qu’ils ne soient pas renvoyés dès leur arrivée en Espagne pour cause d’inaptitude, une délégation de l’école se déplace au Liban pour examiner les candidats. Le test est axé sur le profil psychologique pour déterminer leur capacité à supporter le stress, voir dans quelle mesure ils peuvent agir en état de crise et sous pression, en conservant leur sang-froid».
Après un an et demi d’études en Espagne, ils reviennent au Liban et après 6 à 8 mois de training à la MEA, ils deviennent copilotes. «Ils restent à leur poste entre 8 et 10 ans et effectuent au moins 5 000 heures de vol. Ils sont alors envoyés à Francfort en Allemagne et sont soumis à un test psychométrique, avant de devenir commandants de bord. Ce dernier test n’existait pas auparavant et la MEA est l’une des premières compagnies à l’avoir adopté il y a cinq ans déjà. Chaque six mois, les pilotes sont soumis à une série d’examens médicaux et psychologiques, ainsi qu’à des simulateurs de vol».
 

Le training, une priorité
Le président du syndicat se déclare très surpris par la nouvelle mesure que réclament certaines compagnies internationales portant sur la présence d’un membre de l’équipage (steward ou hôtesse de l’air) dans le cockpit, si l’un des pilotes doit sortir, pour ne pas laisser une personne seule dans la cabine de pilotage. «Cette mesure est adoptée depuis longtemps par la MEA et date de l’installation des portes blindées à l’entrée du cockpit à la suite des attentats du 11 septembre. Je suis très surpris que ce ne soit pas appliqué par les grandes compagnies». Selon Fadi Khalil, l’état psychologique du pilote est très important. «Le syndicat des pilotes a signé un accord avec la MEA qui contribue à améliorer les droits des pilotes, à développer le métier et à hausser son niveau. De plus, la MEA vient de se doter du plus grand ‘‘training center’’ au Moyen-Orient avec un simulateur de vol, qui contribue à relever encore plus le niveau de la sécurité et de la profession». Pour le président du syndicat des pilotes, le problème de la sécurité est toujours en voie de développement et connaît des améliorations régulières. «Je peux dire que nous sommes fiers du niveau de la sécurité de la MEA», conclut-il.
Le commandant Mohammad Hassoun, Head of operations à la MEA, est catégorique. «On ne fait pas de compromis lorsqu’il s’agit de la sécurité!». Selon les explications du pilote, la MEA suit de près et applique toutes les normes sécuritaires adoptées dans le monde. Elle est même avant-gardiste dans ce domaine. «Depuis les attentats du 11 septembre, les portes blindées à l’entrée du cockpit sont devenues un must. Il est même strictement interdit à quiconque, non habilité à le faire, de rester dans l’espace attenant à la cabine de pilotage».
Depuis l’installation de cette fameuse porte blindée, la MEA impose qu’il y ait toujours une seconde personne dans la cabine. «Cette disposition n’est pas prise par manque de confiance, mais elle est également prévue en cas de malaise du pilote ou de perte de connaissance, pour sa propre sécurité». Pour le responsable des opérations, la sécurité commence par le training. «Si on ne met pas en pratique tout ce que l’on apprend, cela reste insuffisant. D’où l’importance des trainings. Nous investissons dans ce domaine. La MEA ne lésine jamais sur ce plan. Tous les membres d’équipage sont soumis continuellement à des entraînements pour améliorer leurs performances. Le training demeure le plus important». Pour le commandant Hassoun, la MEA applique toutes les normes internationales requises. «Chaque jour, nous procédons à une évaluation des risques».
Les pilotes subissent, tous les six mois, un bilan de santé complet. «L’état psychologique du pilote est observé et suivi minutieusement. Partout dans le monde, un pilote doit accomplir 4 000 heures de vol pour devenir commandant de bord, à la MEA nous en exigeons 5 000. Notre priorité reste la sécurité». Il arrive souvent que des passagers fassent une visite du cockpit, assistent à l’atterrissage ou au décollage dans la cabine même. Pour le commandant Hassoun, cela est formellement interdit. «Dans certains cas, la situation est laissée à l’appréciation et à l’évaluation du commandant de bord. C’est lui qui prend la décision qu’il juge adéquate. Il est responsable de l’avion, de l’équipage, des passagers, des bagages, de la réputation de la compagnie et du pays».
Pour le pilote William Youssef, ancien commandant de bord à la retraite aujourd’hui, le niveau de la sécurité de l’aviation civile au Liban est très élevé. «Il n’est pas possible que le cas d’Andreas Lubitz se présente au Liban car, d’après mon expérience, dès le premier examen médical, s’il existe le moindre doute sur la santé psychologique du candidat, celui-ci est éliminé automatiquement. On ne lui donne même pas la chance de se présenter ultérieurement, après avoir suivi un traitement». Pour l’ancien pilote, voler est une passion et un bon pilote doit être entièrement dévoué à sa tâche. «Il doit être totalement concentré sur ce qu’il fait. Il ne doit penser à rien et à personne, qui puisse le distraire de sa fonction». L’ancien pilote confirme que de tout temps, la MEA a toujours été très stricte dans l’application des mesures de sécurité et les pilotes subissent une série d’examens tous les six mois.

 

Joëlle Seif

Les cockpits sécurisés en question
Les conditions d’ouverture de la porte du cockpit ont été renforcées au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Depuis, tout a changé: la porte du cockpit est blindée et elle doit rester fermée tout le temps du vol. Auparavant, les portes pouvaient rester ouvertes pendant le vol, ce qui est désormais interdit. Le drame du vol Barcelone-Düsseldorf de la Germanwings signifie que les mesures de sûreté portant sur la condamnation de la porte se retournent contre l’objectif initial de mieux sécuriser le vol. Le crash de l’A320 avait été imaginé, il y a deux mois, par un pilote néerlandais. Ce dernier avait écrit dans la publication professionnelle Piloot en Vliegtuig son scepticisme face aux cockpits ultrasécurisés imposés dans toutes les compagnies aériennes depuis le 11 septembre. Certes, ces systèmes empêchent d’éventuels terroristes d’accéder aux commandes, mais le danger ne serait-il pas déjà présent dans la cabine de pilotage? «Grâce aux portes blindées extra-sécurisées, il est plus difficile pour un pilote d’empêcher son collègue d’accéder au cockpit», écrivait le commandant Jan Cocheret. «Il suffit d’attendre qu’il aille satisfaire un besoin naturel pour ne plus jamais ouvrir la porte». Le texte prophétique a été repéré ce week-end par le site néerlandais AD, puis traduit en français par le site belge 7/7. «Je me demande régulièrement qui est à mes côtés dans le cockpit», poursuit le pilote. «Comment être sûr que je puisse lui faire confiance? Peut-être vient-il de traverser dans sa vie quelque chose de terrible qu’il est incapable de surmonter. J’espère qu’après une pause pipi, je ne me retrouverai jamais devant une porte de cockpit verrouillée».
Les nouvelles normes édictées après le 11 septembre empêchent toute entrée forcée dans un cockpit: ce dernier ne peut s’ouvrir que de l’intérieur de la cabine de pilotage. Il existe un code secret pour déverrouiller le cockpit de l’extérieur − par exemple, si le pilote est évanoui −, mais en le composant, on déclenche l’alerte. Le pilote dispose alors de quelques secondes pour verrouiller définitivement la porte, grâce à un simple bouton. «Il n’y a alors rien d’autre à faire que d’aller s’asseoir avec les passagers et attendre de voir ce qu’il adviendra», explique Jan Cocheret.
«Ce scénario effroyable est malheureusement devenu réalité», a commenté le pilote sur sa page Facebook quelques jours après le drame. De nombreuses compagnies imposent, depuis le crash de l’A320, la présence permanente de deux membres de l’équipage dans le cockpit, afin d’éviter qu’une telle tragédie ne se répète à nouveau.

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