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Nº 3011 du vendredi 24 juillet 2015

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Après l’accord de Vienne. Déblocage dans les six mois au Liban

Le Liban pourrait être le principal bénéficiaire de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. La situation politique pourrait se débloquer dans les six mois. Voilà pourquoi!
 

Depuis l’annonce de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le 14 juillet dernier, l’opinion publique est mitraillée d’analyses sur «The day after». Chacun essaie de deviner les répercussions de cet événement sur les rapports internationaux et sur les crises multiples qui secouent le Moyen-Orient. Certaines analyses annoncent l’avènement d’une alliance nouvelle entre les Etats-Unis et les chiites, au détriment des sunnites. D’autres prévoient l’occidentalisation accélérée de la société iranienne et l’adaptation du régime islamique à ces changements de mœurs et de mentalités. Mais ces analyses sont aussi farfelues qu’improbables. Il est exclu que l’accord de Vienne entraîne des changements dramatiques à court et moyen termes, bien qu’à long terme, d’importantes mutations dans les relations internationales seront inévitables et auront des répercussions sur les équilibres régionaux.
D’ici là, le bras de fer continue. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a donné le ton lorsqu’il a fustigé «l’arrogance» américaine dans son prêche de la fête du Fitr, samedi 18 juillet. S’exprimant quelques jours seulement après l’annonce de l’accord sur le nucléaire, sayyed Khamenei a averti que l’Iran comptait poursuivre sa politique face aux Etats-Unis et maintenir son soutien à ses «amis» dans la région, l’Irak et la Syrie. «Notre politique ne changera pas face au gouvernement arrogant américain», a déclaré le guide, alors que la foule scandait les traditionnels «Mort à l’Amérique» et «Mort à Israël», dont certains avaient prévu, un peu trop hâtivement, la disparition du lexique politique iranien. «Les politiques des Etats-Unis dans la région sont opposées à 180% à celles de la République islamique d’Iran, a-t-il ajouté. Nous avons répété à de nombreuses reprises que nous n’avons aucun dialogue avec les Etats-Unis sur les questions internationales, régionales ou bilatérales. Quelquefois, comme dans le cas nucléaire, nous avons négocié avec eux sur la base de nos intérêts».
La réponse du berger à la bergère n’a pas tardé. Le Pentagone a annoncé, mardi 21 juillet, qu’il maintenait l’option militaire contre le programme nucléaire iranien, en dépit de l’accord de Vienne. Il a aussi dépêché en Israël le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, pour réaffirmer l’engagement absolu des Etats-Unis à la protection de l’Etat hébreu et à garantir sa suprématie militaire dans la région.
Ces piques réciproques montrent que l’Iran et les Etats-Unis ne sont ni des amis ni des alliés. Ils sont des adversaires, mais pas forcément des ennemis. La relation à venir entre les deux pays peut être comparée à celle qui existe actuellement entre l’Amérique et la Chine. Ces deux grandes puissances sont des adversaires sans être des ennemies; elles se disputent de vastes zones d’influence en Asie et ailleurs; elles s’affrontent politiquement et diplomatiquement sur des questions portant sur la souveraineté territoriale en mer de Chine; Washington soutient activement le Japon, les Philippines et d’autres pays d’Asie contre les revendications de Beijing etc. Mais dans le même temps, les Etats-Unis sont le premier investisseur en Chine, qui est, à son tour, le premier acheteur des bons du Trésor américains. Les intérêts économiques bilatéraux sont colossaux et obligent les deux grandes puissances à gérer sagement leurs différends.

 

Priorités divergentes   
C’est ce type de relations qui a le plus de chance de se développer à long terme entre les Etats-Unis et l’Iran, un pays où les perspectives d’investissement pour les deux prochaines décennies sont estimées à des milliers de milliards de dollars.
En dépit de l’escalade verbale post-accord, d’autres arrangements ponctuels (au cas par cas) ne sont pas à exclure. Car le bon sens veut que si Washington et Téhéran sont parvenus à s’entendre sur le dossier nucléaire, aucune raison ne les empêcherait de trouver des compromis sur d’autres dossiers beaucoup moins complexes et dont les enjeux ne sont pas aussi cruciaux. Les Etats-Unis ont d’ailleurs exprimé, par la bouche de Barack Obama et John Kerry, leurs dispositions à coopérer sur certaines questions régionales. La coopération existe d’ores et déjà en Irak, même sur un plan militaire, malgré le peu de confiance entre les deux pays. Mardi, le conseiller de Khamenei, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ali Akbar Velayati, a annoncé que les Etats-Unis avaient demandé à l’Iran de discuter des dossiers yéménite et syrien, mais l’Iran n’a pas donné suite car le guide n’a pas accordé son feu vert à de tels pourparlers.
D’aucuns diraient que les crises de la région ne sont pas moins complexes que le dossier du nucléaire, car elles impliquent, en plus de l’Iran et des Etats-Unis, de nombreux autres acteurs régionaux, comme l’Arabie saoudite ou la Turquie. Le dossier nucléaire aussi intéressait de multiples acteurs, dont notamment Israël, qui a été superbement ignoré par Washington. Si l’Administration américaine a pu imposer à son principal allié l’accord de Vienne, elle est en mesure, si elle le souhaite, d’en faire de même avec les Saoudiens et les Turcs.
Le principal obstacle qui pourrait retarder l’amorce d’un dialogue sur les crises régionales est l’existence de profondes divergences entre les acteurs locaux sur l’ordre des priorités. Pour les Saoudiens, le dossier qui doit être traité en premier est la guerre du Yémen, car les événements dans ce pays ont une influence directe sur la situation interne du royaume, en raison de la proximité géographique et des facteurs sociodémographiques. En effet, il existe en Arabie saoudite quatre millions de ressortissants yéménites et plusieurs centaines de milliers de citoyens saoudiens d’origine yéménite, dans les provinces méridionales de Assir et de Najran, annexées par le roi fondateur Abdel-Aziz Al Saoud. Mais pour l’Iran, le Yémen n’est pas primordial, car la poursuite de la guerre dans ce pays met une forte pression sur les Saoudiens. Les Iraniens souhaitent discuter, en premier lieu, de l’Irak. Ce pays, dont le tiers du territoire est contrôlé par Daech, figure en tête des priorités de la République islamique à cause de la proximité géographique, de la présence des plus importants sites religieux chiites et du poids important de cette communauté dans le système politique.
Avant que Riyad et Téhéran ne s’entendent sur lequel de ces deux dossiers devrait être examiné en premier, ils continueront à se faire la guerre par proxy dans l’espoir d’améliorer leurs positions. Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, n’avait pas tort lorsqu’il a estimé qu’après l’accord de Vienne, le Moyen-Orient pourrait connaître une période de forte escalade. On le constate d’ailleurs déjà sur le terrain, avec la vaste offensive menée par la coalition anti-Houthie dans la province d’Aden, avec l’aide massive des Saoudiens.
La Syrie est le principal champ de bataille où les acteurs régionaux vont s’affronter pour améliorer leurs positions et rassembler le plus d’atouts possibles avant une éventuelle négociation. Il est donc fort probable que la guerre se poursuivra, voire s’intensifiera, dans ce pays dans les mois à venir. Mais les Etats-Unis et les autres grandes puissances veilleront à ce que les équilibres fondamentaux soient respectés, afin de ne pas offrir le pays sur un plateau d’argent à Daech.

 

Stabilité au Liban
Le dossier libanais est celui qui est susceptible d’enregistrer les percées les plus significatives dans les mois à venir. Certes, le système politique est complètement bloqué et les institutions ne fonctionnent plus. Mais le Liban vit un miracle comparé aux tragédies qui ensanglantent les Etats voisins. Il est le seul pays qui ne s’est pas transformé en champ de bataille générale, en dépit des profonds antagonismes entre les principales forces locales et régionales. C’est aussi le seul pays où les grandes puissances et les acteurs régionaux ont décidé de déployer un parapluie protecteur, pour éviter qu’il ne soit entraîné dans la spirale de la violence.
Cette stabilité est assurée par un subtil montage, qui a réuni dans un seul gouvernement tous les protagonistes de la crise. C’était d’ailleurs la principale fonction du cabinet de Tammam Salam, qui a réussi, en un temps record, à éteindre l’incendie de Tripoli et d’autres foyers subversifs.
Cependant, ce montage stabilisateur montre, ces derniers temps, des signes d’essoufflement, qui se sont manifestés par la crise des nominations militaires et ses conséquences, et par l’impossibilité de trouver des solutions aux questions relatives à la vie quotidienne des citoyens.
Pour maintenir la stabilité, une mise à niveau de ce montage pourrait être requise. Ce  fameux «upgrading», si cher aux Anglo-Saxons, pourrait se traduire par le déblocage de l’élection présidentielle ou du scrutin législatif. Mais cette dernière option est plus compliquée à concrétiser, car elle nécessite un accord sur une nouvelle loi électorale, difficile à atteindre dans les circonstances actuelles.
C’est donc dans le souci de renforcer la stabilité que l’élection présidentielle pourrait être organisée dans les six mois à venir. Dans ce contexte, plusieurs émissaires étrangers sont attendus à Beyrouth, à partir de la deuxième moitié d’août, tandis que de discrètes concertations ont déjà commencé dans les capitales concernées par la situation au Liban.

Paul Khalifeh

L’Iran, un des Etats pivots du M-O?
Pour l’historien irano-américain Abbas Milani, les intérêts des Etats-Unis et de l’Iran convergent sur plusieurs défis stratégiques majeurs dans la région.
Selon lui, maintenant que «les tabous ont été brisés des deux côtés, il sera très difficile de revenir à la phase d’animosité absolue d’avant les négociations, que le président soit républicain ou démocrate».
Dans une interview accordée au quotidien français La Croix, le chercheur pense que l’accord renforcera le camp des pragmatiques en Iran. «C’est pourquoi Khamenei et ses alliés revendiquent la paternité de l’accord pour empêcher que le camp des Rafsandjani, Khatami et Rohani puisse s’en attribuer le crédit. Khamenei est malade et ces manœuvres s’inscrivent dans le contexte de sa succession». «Quarante millions d’Iraniens ont accès à Internet, cinq à six millions ont des comptes Facebook et un million d’entre eux utilisent Instagram. La grande majorité des Iraniens veulent la fin de l’atmosphère de confrontation, la normalité et la raison», ajoute-t-il.
Milani fait état de «convergences» entre Washington et Téhéran au Moyen-Orient. «Les Etats-Unis et l’Iran ont un intérêt commun dans la défaite de Daech et ils coopèrent déjà, même s’ils disent le contraire. Les relations entre les Etats-Unis et l’Iran ne reviendront pas à ce qu’elles étaient au temps du Chah, mais il y a clairement une convergence des intérêts entre les deux pays sur plusieurs défis stratégiques majeurs dans la région», conclut-il.

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