Magazine Le Mensuel

Nº 3026 du vendredi 6 novembre 2015

à la Une

Volontaires occidentaux. Prêts au sacrifice contre Daech

De plus en plus d’Occidentaux décident de tout quitter pour contribuer à la lutte contre l’organisation de l’Etat islamique sur le terrain. En Irak ou en Syrie, ils rejoignent, pour la plupart, les rangs des groupes de combattants kurdes mais aussi syriaques ou chaldéens, farouchement déterminés à éradiquer Daech.

Sur la Toile, les pages et groupes consacrés à la lutte contre l’Etat islamique qui gangrène l’Irak et la Syrie essaiment. A l’ère de l’omniprésence des réseaux sociaux et du règne de l’image immédiate, les atrocités commises par les hommes de Daech font le tour du monde quasiment en temps réel, suscitant horreur et dégoût, mais aussi peur de l’avenir. A tel point, que des hommes − mais aussi des femmes −, issus du monde entier, se mobilisent pour apporter leur aide aux populations irakienne et syrienne. Révoltés par les images qui défilent sur leurs écrans, mais aussi par l’inaction d’une communauté internationale qui condamne, sans vraiment agir. Si pour la plupart d’entre eux, ces groupes font davantage office de soutien moral, humanitaire et parfois financier aux populations sur place, certains ont, en revanche, décidé d’aller combattre le mal à la racine. Et de partir sur le terrain affronter les jihadistes de l’Etat islamique.
 

Vétéran de l’US Army
Dwekh Nawsha est l’un des premiers groupes à faire entendre sa voix sur les réseaux sociaux. Il revendique, aujourd’hui, plus de 20 000 soutiens qui le suivent jour après jour sur Facebook. Cette milice armée, qui se revendique ouvertement comme chrétienne, a été créée en août 2014 par le Parti patriotique assyrien pour défendre les populations chrétiennes de la plaine de Ninive, en Irak. Cette zone, qui représente l’un des berceaux de la chrétienté irakienne, avait subi une offensive violente de Daech durant l’été 2014, provoquant l’exil de dizaines de milliers de chrétiens qui vivaient là depuis toujours, vers des camps de fortune.
Indépendante, Dwekh Nawsha, qui signifie en araméen «futur martyr», n’est pas officiellement intégrée aux troupes de peshmergas kurdes. Elle n’a pas non plus les mêmes missions, puisqu’elle se limite à la protection de certains hameaux chrétiens de la plaine de Ninive, alors que les peshmergas, combattants plus aguerris, montent au front contre l’Etat islamique, reprenant village après village. Et ce sont les peshmergas qui décident de qui monte au front, ou pas.
Au fil des mois, de nombreux Occidentaux, révoltés par le traitement fait aux chrétiens et, plus largement, aux minorités religieuses par l’Etat islamique, ont choisi de s’engager. L’un d’eux, qui se fait appeler Brett Felton, a été l’un des plus médiatisés. De par son profil, d’abord. Jeune vétéran de l’US Army en Irak entre 2006 et 2007, il frappe les esprits en affichant sur Facebook son engagement aux côtés de Dwekh Nawsha. De multiples tatouages, nombre d’entre eux représentant le Christ ou des passages de la Bible, un regard déterminé, il devient le symbole de ces Occidentaux partant en Irak combattre Daech. Son profil Facebook et ses contacts révèlent, par ailleurs, qu’il aurait fait un bref passage à la Lebanese American University of Beirut (LAU) en tant qu’étudiant. Tim Locks, un Britannique aisé de 38 ans, frappe aussi les esprits en annonçant rejoindre les rangs de Dwekh Nawsha en février dernier. C’est devant les terribles images relatant les massacres des Yazidis à Sinjar, perpétrés par Daech, que l’ancien businessman opte pour ce choix radical. Toutefois, nombre de volontaires occidentaux partis de leur propre chef rejoindre Dwekh Nawsha, par exemple, se retrouvent vite déçus. Prêts à partir au combat, ils se retrouvent finalement relégués à l’arrière. Les peshmergas, bien que contents du soutien de ces recrues occidentales, préfèrent éviter la mauvaise publicité qu’impliquerait la mort de l’un d’entre eux dans leurs rangs.
Même si dans les médias, on parle plus volontiers des milliers de recrues occidentales parties grossir les rangs de l’Etat islamique, le volontariat dans le camp adverse est en train de s’affirmer. Les candidatures ou, en tout cas, les envies d’aller en découdre, se multiplient.

 

Mobilisation en France
Si cette tendance a d’abord gagné les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou encore l’Australie, en France aussi, on se mobilise. Une branche de Dwekh Nawsha voit le jour, au soir du 7 janvier, consécutivement aux attaques contre Charlie Hebdo. Très vite, le groupe mobilise. Sur Facebook, ses membres passent de 500 en avril à presque 3 000 aujourd’hui. Selon un responsable contacté par Magazine, la création d’une branche française répondait à «beaucoup de Français qui cherchaient à comprendre ce fléau, sans savoir comment s’y prendre». Les profils des candidats sont très divers. Beaucoup sont «d’anciens militaires, certains chrétiens, d’autres simples citoyens, mais tous des hommes et des femmes désireux d’agir, avant qu’il ne soit trop tard». Avec un leitmotiv commun, en finir avec «cette cruauté, tant au niveau humain qu’historique». Dwekh Nawsha France (DNF) n’accepte pas tout le monde, loin de là. «Il y a des règles à respecter. Nous évitons les affiliations à tout groupe ou individu extrémiste, raciste, ou autre tireur fou», indique le responsable de DNF. Plus de dix mois après sa création et quelques bouleversements dans son organisation, DNF revendique une soixantaine de dossiers militaires complets, contre une centaine de civils volontaires. Les candidatures sont nombreuses, puisque le responsable confie avoir eu plus de «500 demandes de départ». Toutes ne sont pas militaires, puisque DNF aspire aussi à faire naître un pôle humanitaire dans les mois qui viennent. Dans l’immédiat, l’organisation n’a pas encore pu envoyer d’hommes sur place, les liens et la logistique étant parfois longs à se mettre en place. Mais elle espère pouvoir être opérationnelle d’ici la fin de l’année.
Pour autant, si Dwekh Nawsha et sa branche française affichent clairement leur motivation religieuse, ce n’est pas le cas de tous les groupes.

 

«Une cause juste»
L’Unité 732, créée il y a quelques mois par un groupe d’anciens soldats français aguerris, et au cursus militaire étoffé, se revendique apolitique mais aussi aconfessionnelle. Et ce malgré le choix du nom du groupe qui pourrait effectivement prêter à confusion. 732 fait en effet référence à la fameuse bataille de Poitiers, où les Francs menés par Charles Martel auraient repoussé l’invasion arabe. Bref, un symbole pour certains, notamment dans les mouvements identitaires, voire d’extrême droite, de la lutte de l’Europe chrétienne contre les musulmans. Une allégation qu’Alexander*, l’un des soldats de l’Unité 732, rejette en bloc. «Il ne s’agit pas du tout de ça, la bataille était contre un envahisseur et non une religion. 732 représente le combat d’un peuple contre l’envahisseur, comme ça se fait aujourd’hui en Irak et en Syrie. Nous combattons Daech, qui ne reflète en rien les convictions de la religion musulmane». De même, il réfute l’idée de «nouveaux croisés», souvent véhiculée dans les médias. «Nous ne rentrons pas dans ces affabulations portées par certains détracteurs. Nous ne partons pas pour conquérir quoi que ce soit ou combattre une religion. Notre seule volonté est de combattre et stopper l’Etat islamique dans sa barbarie», argumente Alexander. Ni croisés, ni hommes de l’ombre, ces soldats n’aspirent qu’à une chose: aider à éradiquer l’Etat islamique, qui menace l’humanité tout entière. Ils se posent davantage en combattants pour la liberté.
Pour les vétérans qui ont rejoint l’Unité 732, partir combattre en Irak sonne comme une évidence. «Nous pensons sincèrement que notre place est là-bas, pour combattre la barbarie de Daech, protéger les populations et, enfin, leur rendre la dignité à laquelle elles ont droit», ajoute Alexander. «Combattre et redonner espoir», renchérit Peter*, un autre ex-militaire de l’unité, qui ajoute que leur «seul but est de défaire Daech et d’aider les populations à reprendre confiance». «Personnellement, je préfère être là-bas à défendre une cause juste, plutôt que de rester dans mon fauteuil à regarder des gens se faire tuer sur BFM TV. C’est notre combat, pas celui de nos enfants», ajoute-t-il. Peter indique, par ailleurs, que le recrutement a été «très strict». «Etant une unité de combattants, nous ne choisissons que d’anciens soldats expérimentés. Notre recrutement est très professionnel, mais aussi confidentiel», ajoute-t-il. Ainsi, tous les soldats recrutés au sein de l’Unité 732 affichent plusieurs Opex (les opérations extérieures) à leur palmarès, la plupart en zone réelle de conflit, et opéraient dans les unités d’élite de l’armée française, chez les «paras», les «commandos de marine», la Légion étrangère, entre autres.
Alexander, qui a lui-même fait un passage au Liban au sein des Casques bleus avant la libération du Sud en l’an 2000, confie que certains membres de l’unité ont déjà combattu lors de «la Première Guerre du Golfe, en Yougoslavie ou dans certains pays d’Afrique». L’unité est déjà parvenue à former trois groupes distincts. Le départ de certains d’entre eux était d’ailleurs imminent, à l’heure où nous préparions cette enquête.
Sur place, les soldats de l’Unité 732 rejoindront des groupes de combattants peshmergas avec qui des contacts ont été patiemment établis. Avec une seule idée fixe, celle de combattre. «Les peshmergas, YPG, ou autres, sont des groupes de combattants, défendant les populations contre les exactions de Daech. Nous n’allons pas là-bas pour compter les grains de sable et dire ‘on y était’, mais pour combattre ceux qui martyrisent, violentent, décapitent, humilient… et nous n’attendrons pas que cela arrive chez nous», lance Peter, très déterminé. Tout en ajoutant: «Notre seul but est de sortir les populations de ce massacre systématique, tout en respectant les règles de la guerre». Ces ex-soldats comptent donc bien apporter leur pierre au combat, sans pour autant renier leurs valeurs premières. Pas question pour eux de se livrer à des exactions, à de la torture, ou à des actes de vengeance. Ni d’ailleurs de rentrer dans des considérations de politique interne, concernant les Kurdes.

 

Pas de têtes brûlées
L’engagement de ces hommes, qui lâchent tout pour partir combattre sur une terre étrangère, peut surprendre. D’autant qu’ils partent en tant que volontaires, et non comme mercenaires. Une précision de taille, puisqu’elle implique qu’ils financent de leurs propres deniers le voyage jusqu’en Irak, ainsi que les dépenses inhérentes à une telle logistique, comme le matériel, les frais sur place, etc. Ils quittent donc leurs familles, leur travail, pour défendre une cause. Des «détails» que Peter balaie d’une parole. «J’aurais honte de ne rien faire, que diraient nos enfants si nous ne faisions rien?», avance-t-il. «Ça peut en refroidir certains, mais nous ne sommes pas des mercenaires, donc c’est un choix qui nous est propre».
Une distinction importante, notamment au regard de la loi française. Si en France, il n’existe pas de délit pour combat à l’étranger, il est en revanche strictement interdit d’être mercenaire, c’est-à-dire d’être recruté et rémunéré pour participer à un conflit dans un pays dont on n’est pas ressortissant. Le volontariat de ces hommes leur garantit donc, a priori, une relative tranquillité lors de leur retour en France. Même s’ils feront sans doute l’objet d’un débriefing en règle par les services de la DGSE ou de la DGSI.
Loin d’être des têtes brûlées, ces anciens soldats veulent surtout mettre leur expérience du combat en zone de guerre au service des groupes de combattants locaux. Rien ne filtre sur la durée de leur engagement. «Nous restons tant qu’on a besoin de nous, là où il faut combattre Daech pour la sécurité de tous», affirme Peter.
Cet engagement, qui peut susciter, selon les points de vue, de l’admiration, de l’incompréhension ou tout au moins du respect, est toutefois remis en cause par certains experts de la région. Dans un article du Figaro publié le 4 mars dernier, Mathieu Guidère, spécialiste des groupes islamistes armés, estime que «le simple fait qu’ils basculent dans la violence est un signe de radicalisation, quelle que soit la justification derrière», tout en s’affichant clairement opposé à tout départ de combattants étrangers vers la Syrie ou l’Irak. «Nous avons une armée, un gouvernement, nous ne sommes pas dans un Etat féodal», rappelle-t-il.
Dans Le Parisien, Myriam Benraad, chercheuse à Sciences-Po et à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam), évoque une «symétrie» entre les combattants partant côté Daech et les ex-soldats s’engageant contre l’EI. «Il existe une sacralisation du combat des deux côtés. On assiste à une professionnalisation de la réponse à l’Etat islamique. Ils partent rejouer l’Histoire, c’est une grande aventure au nom de la religion, ils assument l’esprit de croisade». Des points de vue qui laissent de marbre les deux soldats de l’Unité 732. «La critique (bonne ou mauvaise) est toujours facile quand on est bien au chaud en se croyant à l’abri. Pensez-vous que ces mêmes personnes auraient le même discours quand ce qui se passe en Irak ou en Syrie sera à leurs portes? Auront-elles ce même discours vis-à-vis d’étrangers venus en France nous aider à combattre ce mal?», rétorque Peter. Quant à Alexander, il répond: «Il est plus facile de critiquer le sacrifice de gens de bonne volonté, assis dans son canapé, que sur le terrain. Tous ces gens sont des intellectuels. Nous sommes des soldats, notre mission est de combattre la barbarie de Daech».
Quelques anciens soldats pourront-ils changer la donne sur le terrain? Alexander et Peter en sont convaincus. «Ce dont je suis sûr, c’est que si notre action peut ne sauver que quelques personnes, alors oui nous aurons changé quelque chose. Nous ne cherchons ni médailles, ni gloire, encore moins un salaire, juste défendre le droit à la vie et protéger les populations de Daech ou d’autres idéologies du même genre», martèle Peter. Un point de vue partagé par Alexander, prêt à sacrifier sa vie s’il le faut. Et qui conclut: «Malheureusement, peu de gens bougent. Il faut penser à nos enfants, aux vôtres aussi, parce que le Liban est juste à côté. Si personne ne fait rien demain, ça arrivera chez vous. Ça serait dommage, un beau pays comme le Liban».

Jenny Saleh

*Les personnes citées témoignent sous pseudo, par impératif de sécurité.

Task Force Lafayette
Il se fait appeler Gekko*. Lui, c’est le «fondateur» de la Task Force Lafayette (TFL), un groupe de vétérans de l’Afghanistan – mais pas seulement, qui part combattre en Irak pour y faire du «mentoring». «Cela comprendra une part de formation théorique et un accompagnement sur le terrain pour s’assurer de la bonne mise en œuvre des savoir-faire transmis», explique Gekko. Ici donc, pas d’objectif de combat, même si le jeune vétéran «d’environ 25 ans» affirme qu’en cas d’attaque «nous riposterons», mais plutôt une mission de formation. Apolitique et areligieuse, la TFL se targue de contacts établis sur place avec des groupes kurdes et compte prodiguer des formations de secours au combat, techniques de tirs, planification des opérations, entre autres. «Le contact avec les Kurdes s’est fait par un correspondant, qui était sur place. Il leur a expliqué que nous aimerions les aider et ils ont dit avoir besoin de ce type de service», explique Gekko. A terme, ils devraient être une quinzaine au total à faire le voyage «pour une durée de 6 mois à un an». Ici aussi, les soldats recrutés sont issus des forces spéciales ou d’unités commandos des différentes armées, selon Gekko, à la différence que le recrutement s’est fait par cooptation, tous se connaissant.
Quant à leurs motivations, Gekko déclare que ce sont un peu les mêmes que celles d’un «médecin qui part avec Médecins sans frontières. On a des qualités et des connaissances qui peuvent aider, qui peuvent sauver des vies, donc on a envie de les mettre à profit. On n’arrive pas à rester les bras croisés. Quand on voit les massacres et toutes les horreurs, on a forcément envie de réagir».
Très médiatisée en France pour mener à bien une levée de fonds destinée à financer son expédition et l’achat du matériel, la Task Force Lafayette espère aussi «changer les choses» dans l’opinion publique à plus ou moins long terme. «Si les gens dans leurs foyers parlent de cette guerre, du conflit, cela va créer un débat et donc un questionnement politique. Ce qui empêche les Etats d’intervenir au sol de manière sérieuse, c’est le fait que les gens chez eux s’en fichent», soutient Gekko.
En attendant, l’équipe de la TFL achève ses derniers préparatifs et l’achat du matériel qui la suivra sur place. Ils devraient être opérationnels en «décembre», selon Gekko. Quant aux recettes gagnées par la vente d’écussons du groupe, elles seront reversées à une ONG turque d’aide médicale qui œuvre dans un camp de réfugiés yazidis.

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