Magazine Le Mensuel

Nº 3084 du vendredi 1er décembre 2017

En Couverture

Thamer al-Sabhan. L’homme des confrontations

Courageux pourfendeur du Hezbollah pour les uns, ministre aux allures de proconsul pour les autres, Thamer al-Sabhan restera dans la mémoire d’une bonne partie de Libanais, l’oiseau de mauvais augure qui annonce les malheurs à travers ses tweets cinglants.  

Lorsque Thamer ben Sabhan al-Sabhan a commencé, l’été dernier, à tweeter sur le Liban, de nombreux observateurs, y compris des personnalités proches du Hezbollah, n’ont pas pris ses menaces au sérieux. Beaucoup ont interprété ses propos belliqueux comme «une crise de colère après les victoires successives enregistrées par l’axe de la Résistance en Irak et en Syrie». Saad Hariri non plus n’y a pas prêté attention. Son entourage a estimé que le ministre saoudien exprimait des «opinions personnelles», qui ne reflétaient pas forcément la politique officielle du royaume. Une interprétation confortée par les assurances qu’aurait obtenues le Premier ministre lors de sa rencontre avec le prince héritier Mohammad ben Salman, début novembre. Mais la suite des événements a prouvé que les prédictions de Sabhan étaient bien plus conformes à la réalité que les impressions de Saad Hariri.
Pourtant, il suffit de jeter un œil rapide sur le parcours de Thamer al-Sabhan pour comprendre qu’il n’a pas le luxe d’exprimer des «opinions personnelles» et encore moins d’avoir des «colères». Ce général âgé de 50 ans, né à Riyad, vient d’une famille qui a accompagné depuis près d’un siècle la dynastie des Saoud dans son combat pour unifier la péninsule arabique et créer son propre royaume. Son grand-père, de la grande tribu arabe des Choummar, aurait combattu aux côtés du roi fondateur, Abdelaziz. Thamer, lui, a lié son sort à la branche des Salman al-Saoud, depuis son plus jeune âge. Il a gravi les échelons de la hiérarchie militaire dans la région de Riyad, dont l’émir (le gouverneur), pendant 50 ans, n’était autre que le roi actuel. Chef d’une unité des «forces d’intervention rapide», responsable d’une «brigade spéciale de la police militaire chargée de la sécurité et de la protection», c’est pendant ces années qu’il se met au service de Mohammad ben Salman, aujourd’hui homme fort et craint du royaume, à l’époque jeune prince s’initiant aux arcanes du pouvoir, dans l’ombre de son père.
Cette proximité de la branche des Salman lui pave la voie d’une carrière diplomatique, non pas pour assouvir des ambitions personnelles mais pour servir les desseins de ses maîtres. Il est envoyé à Beyrouth, en 2013, pour devenir adjoint à l’attaché militaire saoudien, poste dont il deviendra le titulaire deux ans plus tard. Al-Sabhan est considéré dans les milieux politiques libanais, notamment ceux du Courant du Futur, comme les yeux et les oreilles, au Liban, de Salman, qui était à l’époque prince héritier. L’ambassadeur étant un homme proche du roi Abdallah.
A Beyrouth, al-Sabhan s’emploie à tisser des liens avec des hommes politiques, des journalistes, des activistes de la société civile, qui tournoient autour de lui comme une volée de mouches. On le voit souvent dans les cafés de Verdun, entouré d’une cour admirative, ou de quelques opportunistes, en train de discuter de politique. Les avis divergent sur la personnalité du général-diplomate. Une journaliste qui l’a rencontré à plusieurs reprises lors de son séjour beyrouthin, décrit un homme courtois, qui écoute plus qu’il ne parle, et réfléchit plus dans un esprit sécuritaire qu’en diplomate. Un ancien député propose un tout autre portrait. «Sabhan est un homme condescendant, qui appelle ses interlocuteurs par leur prénom, y compris le Premier ministre Saad Hariri», dit-il. Tous, cependant, assurent qu’il a une parfaite connaissance du terrain libanais, où il a entrepris de tisser des liens avec, entre autres, un grand nombre de personnalités chiites hostiles au Hezbollah. Lorsqu’il quitte Beyrouth pour Bagdad, fin 2015, il laisse sur place un vaste réseau d’«amis», dans presque tous les secteurs. Ils n’en deviennent pas pour autant orphelins. Al-Sabhan reste en contact régulier avec eux, surtout par Whatsapp.

Scandale en Irak
Le fait qu’il ait été nommé premier ambassadeur saoudien en Irak après 25 années de rupture des relations diplomatiques prouve que Sabhan est un homme central dans le dispositif de verrouillage du pouvoir mis en place par Mohammad Ben Salman. Quelques semaines à peine après son arrivée à Bagdad, le général-ambassadeur provoque un tollé dans le pays lorsqu’il déclare, le 24 janvier 2016, dans une interview à Sumaria TV, que les Unités de mobilisation populaire (UMP, al-Hachd al-Chaabi) à majorité chiite sont impliquées dans des atrocités autant que l’Etat islamique. Ses propos, suggérant un «plan iranien» pour modifier la démographie près de la frontière iranienne, font scandale. Provocateur, avec un franc-parler inhabituel, il concentre ses attaques contre les UMP, à qui il attribue tous les maux. Il ira même jusqu’à aller visiter dans les prisons irakiennes les Saoudiens détenus pour avoir combattu dans les rangs de Daech. Une grande partie de la classe politique dénonce ses ingérences dans les affaires internes irakiennes et des foules en colère brandissent son portrait avec des commentaires désobligeants, réclamant son expulsion d’Irak. Il sera finalement prié, par le ministère des Affaires étrangères, de quitter le pays en août 2016, après avoir fait état d’un complot visant à l’assassiner.
C’est donc sur le terrain irakien que Thamer al-Sabhan a fait ses premières armes dans la «lutte contre l’influence iranienne». Les résultats laissent à désirer, ce qui n’a pas empêché MBS de le récompenser en le nommant ministre des Affaires du Golfe. Dans son nouveau costume, le général-ministre exécute les volontés de son maître, qui souhaite en découdre avec le Qatar, dont l’émir, Tamim ben Hamad al-Thani, refuse de rentrer dans le rang. Là-bas aussi, le bilan est loin d’être reluisant. Boycotté par ses voisins arabes du Golfe, le petit émirat se réfugie dans les bras de l’Iran et de la Turquie.          
Ces déconvenues n’empêchent pas Thamer al-Sabhan d’ouvrir, sur instruction de son prince, un nouveau front contre le Hezbollah au Liban. Dès juillet 2017, le ministre saoudien avait eu un violent accrochage avec le principal conseiller de Saad Hariri, son cousin Nader, artisan du «compromis» avec Michel Aoun. Cette réunion au cours de laquelle le ton serait monté, ainsi que les tweets violents et vindicatifs, distillés tout l’été, aurait dû alerter le Premier ministre et les responsables libanais sur l’état d’esprit des dirigeants saoudiens. Mais visiblement, personne n’a rien vu venir. 

Paul Khalifeh

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