Magazine Le Mensuel

Nº 3100 du vendredi 5 avril 2019

general Spectacle

Walid Aouni. Un pionnier de la danse moderne

Magazine a rencontré au Caire le chorégraphe et artiste libanais Walid Aouni, alors qu’il inaugurait sa dernière création, Larmes Hadid, avant de partir le montrer à Aix-en-Provence, dans le sud de la France. Il nous a parlé de son parcours, des grands hommes qui ont guidé ses ambitions – Gibran Khalil Gibran et Maurice Béjart – et de ce qui le pousse, aujourd’hui, à continuer à créer. Portrait d’un artiste au sommet.
 

Walid Aouni commence à dessiner grâce à Gibran Khalil Gibran, dont il admirait les œuvres voluptueuses qu’il a contemplé dès son plus jeune âge dans le musée qui lui est dédié à Becharré, à quelques pas de là où il a passé son enfance. Après son baccalauréat, il entre à l’Académie libanaise des Beaux-Arts à Beyrouth, et étudie l’architecture pendant un an, avant de rejoindre l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles où il reprend des études en arts graphiques et visuels. C’est en Belgique qu’il rencontre Maurice Béjart, grande personnalité de la danse contemporaine du XXe siècle, avec lequel il se lie d’amitié. Walid Aouni commence à danser à 19 ans, à l’école naissante de la danse contemporaine qu’il ne quittera plus. Il collabore avec Béjart en tant que concepteur de décors et de costumes pour plusieurs spectacles, tout en poursuivant en parallèle ses études à l’Académie des Beaux-arts. Il crée sa propre compagnie de danse, la Tanit Dance Theater entre 1979 et 1980, et s’est imposé comme danseur de ce qui fut surnommé «l’après-Béjart», cette vague de mutation radicale de la danse moderne initiée par Pina Bausch en Allemagne.

Le tournant égyptien
Durant dix ans, Walid Aouni monte des spectacles qui tournent à travers toute l’Europe. Il était alors le premier Arabe à faire de la danse contemporaine, et s’impose avec sa troupe au fil des ans sur la scène internationale. C’est en 1990 qu’il se rend en Egypte pour la première fois, en tant qu’assistant scénographe de Maurice Béjart sur Les Pyramides de Nour. Il y rencontre le ministre de la Culture égyptien de l’époque, Fouad Hosni, qui le convainc de venir créer à l’Opéra du Caire la première troupe de danse moderne d’Égypte. Il s’installe donc au Caire en 1993, et monte pour l’inauguration un spectacle en rupture totale avec la danse traditionnelle. La chute d’Icare choque le public égyptien, qui rejette dans un premier temps les propositions du danseur. Pourtant, les chorégraphies qu’il propose et les thématiques abordées dans ses spectacles font de lui un pionner du printemps de la danse arabe, selon les mots du critique et universitaire arabisant Yves Gonzales-Qijano, et une figure d’avant-garde de la scène artistique égyptienne.
Il crée avec cette audacieuse troupe plus de 25 spectacles, dont l’ampleur n’a jamais eu d’égal que l’engagement politique qui les caractérisait. Durant sa carrière, Aouni fait le choix de mettre en avant des figures, souvent féminines, d’exception (des figures historiques comme Djamila Bouhired, mais aussi mythologiques, à l’image de Samarkand ou Shéhérazade). L’honneur est rendu au corps des femmes, qu’il fait combattant, revendicatif. Par ce geste, Walid Aouni se pose en résistance face à l’usage des temps qui, dans l’Égypte de la fin des années 1990 et au tournant des années 2000, laissaient aux fondamentalistes religieux le champ libre pour réclamer l’interdiction des trop audacieuses Mille et une nuits et condamner radicalement au nom de la morale la sensualité des almées.
Artiste pluridisciplinaire et curieux, il s’impose comme une personnalité incontournable de la scène égyptienne en organisant des expositions de son travail pictural, ou en travaillant au cinéma, notamment avec Youssef Chahine, pour lequel il accepte de jouer dans L’émigré en 1993 après avoir chorégraphié Le destin en 1987. Jocelyne Saab fera appel à lui pour jouer le rôle du chorégraphe dans Dunia (2005).

Hommage à Zaha Hadid
Walid Aouni a dirigé la troupe de danse moderne de l’Opéra du Caire durant vingt ans. Ce sont les lendemains de la Révolution de 2011 qui le poussent à quitter l’institution un an après. «La révolution a donné un élan. Mais les révolutions ne se font pas en un jour, et les premiers temps sont toujours ceux d’une crise économique et politique dont la culture est la première victime», explique-t-il aujourd’hui, sans amertume. Il démissionne et quitte le Caire pour voyager six ans durant. On le retrouve en tant que commissaire artistique pour le musée Béjart à Marseille, puis il part en Inde pour pratiquer une forme traditionnelle de théâtre dansé, le kathakali, et monte des spectacles à Sofia, à Oman ou au Caire, où il continue ponctuellement à travailler.
En 2018, l’Opéra du Caire décide de lui rendre honneur, pour célébrer les 25 ans d’existence de la troupe de danse moderne. Walid Aouni remonte pour l’occasion La chute d’Icare, son premier spectacle, et reprend sa place de chorégraphe dans l’institution qui a été son hôte pendant deux décennies.
Le subversif Walid Aouni a ainsi su retrouver sa place dans le paysage artistique arabe. Il vient de présenter au Caire un nouveau spectacle, qui a bénéficié d’une résidence au Pavillon noir d’Aix-en-Provence en France, où le spectacle a été montré les 28 et 29 mars derniers. Larmes Hadid revient sur la vie de l’emblématique architecte irakienne Zaha Hadid. C’est un projet qui tenait à cœur à Walid Aouni, qui avait rencontré l’architecte à Bruxelles alors qu’elle n’en était qu’à ses débuts. Le chorégraphe discutait avec elle de son projet de spectacle lorsqu’elle disparaît en 2016. Celle que l’on surnommait la «reine de la courbe», qui s’inspirait du corps humain pour métamorphoser l’architecture, a ainsi pu reprendre vie à travers une chorégraphie expressionniste envoûtante, qui rend hommage à la fois à l’architecte de talent et à la femme déterminée qu’elle a été.

MATHILDE ROUXEL (AU CAIRE)

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