Cheikh Ahmad el-Assir
La nouvelle star des islamistes
Dimanche, sur la place des Martyrs, près de 2500 personnes, venues manifester contre le régime syrien, ont répondu à l’appel du cheikh Ahmad el-Assir. Comment, à 44 ans, cet imam d’une petite mosquée, de la banlieue de Saïda, est-il devenu la figure libanaise de l’islamisme triomphant des révolutions arabes? Enquête et reportage.
Le dispositif de sécurité est impressionnant. Sur les artères, qui mènent au centre-ville, sont postés des patrouilles de police et des chars de l’Armée. La circulation est détournée. La place des Martyrs, elle, est coupée par d’imposants barbelés de deux mètreeroles poussiéreuses et le drapeau syrien déployé sur la longueur de la rue Debbas sentaient l’improvisation. En appelant à une contre-manifestation, le secrétaire général du parti, Fayez Chokr, avait pour simple intention de montrer qus de hauteur. Côté ville, la manifestation organisée par le parti Baas, côté mer, le rassemblement d’el-Assir. Entre les deux, une zone-tampon où circulent commandants, lieutenants et autres gradés. Les sections commandos avec leurs casques et leurs boucliers anti-émeutes sont immobiles, concentrés. Dispositif impressionnant mais totalement disproportionné. Les deux cortèges ont réuni moins de 4000 personnes au total. Côté Baas, les bande leur voix existe, pour le symbole. C’est de l’autre côté qu’on avait tout à prouver.
Surfer sur la vague
Entre l’immeuble du journal An Nahar et la tombe de Rafic Hariri, devant laquelle l’estrade a été montée, ils sont plus nombreux et plus disciplinés. De vieux enturbannés sont installés près de la scène. Le public du cheikh Assir est majoritairement composé d’hommes de 20 à 30 ans à la barbe généreuse. Derrière eux, dans une aire réservée, des femmes, plutôt jeunes elles aussi, qui portent le niqab. Jeunes et échevelés comme les disciples du nouveau gourou. La couleur dominante, c’est le noir. Noir comme leurs vêtements, noir comme le drapeau du mouvement salafiste. Plus d’un millier de personnes viennent de Saïda où prêche le cheikh. L’autre partie est partagée entre Tripoli et la Békaa. Ce sont les drapeaux syriens de la révolution qui flottent. Dessiné sur le modèle du drapeau actuel, il inverse le vert et rouge et compte une étoile de plus.
Lorsqu’Ahmad el-Assir monte sur la tribune, après le show de la pop-star Fadel Chaker, il est acclamé par des cris «Dieu est grand». En fond derrière lui, un montage photo. A gauche, la botte d’un soldat syrien sur la poitrine d’un opposant; à droite, la coupole de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem. Son discours se veut calme et ferme. Il harangue Bachar al-Assad, ses soutiens libanais, l’inaction de la communauté internationale et rassure les chrétiens. A chaque fin de paragraphe, le public scande des slogans qui oscillent entre Dieu et la Syrie. Les «nos vies sont à toi mon Dieu» répondent aux «Le peuple veut la mise à mort de Bachar». Dans leurs voix, il y a une profonde colère. «Ce sont nos frères que l’on tue à Homs», dit un manifestant.
L’absence du Courant du futur et les mouvements islamistes qui lui sont affiliés, le spectre de débordement et, de manière plus prosaïque, la pluie battante de la matinée de dimanche, auraient pu casser la mobilisation. Les organisateurs espéraient entre cinq et dix mille personnes, mais le contrat est rempli. Il faudra désormais compter avec Ahmad el-Assir. Qui est cet homme, plutôt petit de taille, lunettes vissées sur le nez, à la barbe noire descendant jusqu’à la poitrine, qui conduit la résurgence d’un salafisme soft au Liban?
L’imam devenu politique
Dans les ruelles de Saïda, de Tripoli et de l’Iqlim al-Kharroub, les mouvements salafistes sont très actifs depuis le début de la dernière décennie. Les attentats du 11 septembre, l’émergence d’al-Qaïda et l’invasion américaine de l’Irak, ont promu une certaine idéologie. Mais le mouvement autour d’Ahmed el-Assir est différent de ceux qui ont émergé en 2000 à Denniyé, en 2006 à Achrafié ou en 2007 dans le camp palestinien de Nahr al-Bared.
Né à Saïda, en 1968, d’un père originaire de la ville et d’une mère chiite de Tyr, Ahmed Mohammad Hilal el-Assir al-Husseini apprend le Coran dès l’âge de 7 ans. Il poursuit ses études islamiques à Dar al-Fatwa à Beyrouth. Descendant de l’un des plus grands oulémas du pays, Youssef el-Assir, il bâtit en 1997 à Abra, à l’est de Saïda, la mosquée Bilal Ben Rabah, du nom du premier muezzin de Mahomet. Pendant des années, il accomplira son sacerdoce dans la discrétion. Sa mosquée deviendra petit à petit un lieu de rencontre entre les déshérités de Saïda, les plus aisés, et les Palestiniens qui habitent la ville et les camps d’alentour.
Il ne parle de politique en public que depuis très peu de temps. Certains l’ont entendu saluer la victoire du Hezbollah lors du départ des troupes israéliennes du Sud-Liban, en 2000. Lorsqu’al-Qaïda a émergé, il expliquait dans ses prêches que le temps du jihad militaire n’était pas encore venu. El-Assir ne s’occupe alors que d’islam et de foi.
C’est autour de cette conception originelle de la religion qu’il rassemble des adeptes. Il fera beaucoup de social, tournera dans les villages avoisinants pour prêcher la bonne parole, donnera conseil à des fidèles qui s’interrogent sur l’articulation de leurs croyances avec la vie de tous les jours. Au milieu des années 2000, la mosquée Bilal devient trop petite pour accueillir les fidèles le vendredi. La foule déborde sur la route qui y mène. Ce sont souvent des croyants qui fuient les instances religieuses cornaquées par les partis politiques et l’obscurantisme des intégristes. Ni politique ni fondamentalisme, tel était, alors, le credo de cheikh el-Assir. Mais un événement l’obligera à changer de braquet, les affrontements du 7 mai 2008.
La troisième voie sunnite
L’escalade des tensions, notamment autour de Saïda, entre chiites et sunnites, va conduire ell-Assir sur un nouveau terrain. Son enseignement de la parole religieuse se transforme en une défense du sunnisme, en tant qu’idée et communauté. La ville de Saïda est, à ce titre, un laboratoire assez fidèle du sentiment sunnite depuis décembre 2011 et le prêche controversé, lors de la célébration de la Achoura, du cheikh Mohammad Yazbeck, représentant officiel du guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, auquel a d’ailleurs répondu ell-Assir, les tensions communautaires et sécuritaires sont à leur comble. Les condamnations politiques sont alors nombreuses: de Fouad Siniora à Bahia Hariri, les députés du Courant du futur dans la région, jusqu’à la Jamma Islamiya. Mais les discours communautaires ont aujourd’hui un écho très fort au sein de la communauté. Jusque-là, les sunnites n’avaient que deux choix, Hariri et leurs opposants. Existe désormais une troisième voie.
Les révolutions arabes, qui ont fait émerger sur la scène politique le salafisme de manière éclatante, donnent à Assir une tribune nouvelle. Existe désormais une troisième voie sunnite. Le Courant du futur, qui a progressivement délégué certaines compétences à des groupes intégristes à Tripoli et à Saïda, a vu le basculement de l’opinion sunnite. Le parti tout-puissant est débordé sur sa droite, il s’agit là d’un véritable phénomène politique. Les partisans de Saad Hariri, échaudés par la façon dont l’ancien Premier ministre s’est exilé, trouvent dans les prêches d’ell-Assir un discours galvanisant. En Syrie, ils voient leurs frères se faire tuer et leurs voix plus du tout représentées. C’est la conjonction de tous ces phénomènes qui permet aujourd’hui à Ahmad ell-Assir de prendre la tête d’une certaine idée du sunnisme politique (voir encadré).
Prêcheur depuis 1989, le cheikh draine aujourd’hui 2500 à 3500 fidèles durant les prières du vendredi. Il est le visage d’un salafisme actif que ses fidèles espèrent triomphateur. A l’instar des révolutions et mouvements de contestation du «Printemps arabe», la présence de ses partisans sur les réseaux sociaux a grandement contribué à sa notoriété et à la diffusion de ses prêches. Sur Facebook, un groupe créé par les admirateurs du cheikh à la fin du mois de décembre 2011, compte aujourd’hui près de 5000 membres. Depuis dimanche, le chiffre augmente constamment. Julien Abi-Ramia
La bénédiction de Omar Bakri
Il fait partie des seuls prédicateurs sunnites à avoir appelé à participer à la manifestation de cheikh Assir. Lundi, cheikh Omar Bakri a estimé qu’«Ahmad ell-Assir est devenu le leader des sunnites au Liban». Il explique que ce dernier a «volé la vedette au Courant du Futur». «En très peu de temps, il a réussi à devenir le porte-voix de la communauté sunnite au Liban, offrant à la population libanaise une autre vision du salafisme. S’il constituait un parti politique, il aurait un grand rôle à jouer».
Mais Omar Bakri va plus loin et menace: «Nous allons vers l’établissement d’un califat islamique dans la région. Prisonniers, les islamistes sont devenus ministres et députés. Je pense que la révolution en Syrie va déborder sur le Liban et que ce sont les islamistes qui vont la mener. J’appelle l’Etat libanais à regarder ce qui se passe autour de lui et à cesser de maltraiter les islamistes. Sinon, il en subira les conséquences».