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Antoine Chaaya
«L’architecture, ce sont les bâtiments qui chantent»

A l’occasion de la conférence sur le thème Technè et Architecture en lévitation, dans l’œuvre du bureau d’architectes Renzo Piano Building Workshop, tenue vendredi 2 mars à l’Université Saint-Esprit de Kaslik, Antoine Chaaya revient pour Magazine sur son fabuleux parcours.

C’est certainement le centre Pompidou à Paris qui propulse Renzo Piano dans les hautes sphères internationales de la profession. Il est récompensé en 1998 par le Graal des architectes, le Pritzker, primant un talent dont les réalisations ont apporté une contribution significative à l’humanité.
Antoine Chaaya, alors étudiant à l’Usek jusqu’en 1984, rêve de travailler avec l’architecte italien.
«Je n’aurais jamais pensé rester aussi longtemps à l’agence. Cela fait aujourd’hui 25 ans que je travaille avec l’un des plus talentueux architectes de ce siècle», note-t-il fièrement, devenu, depuis quatorze ans, l’un de ses plus proches partenaires. Une revanche pour celui qui  fut sur la liste d’attente lors de son année préparatoire. «On m’a dit que je n’étais pas fait pour ce métier, se souvient-il. Par miracle, j’ai eu une seconde chance et j’ai terminé parmi les deux premiers au diplôme. Très vite, j’ai su que je n’arriverai pas à rassasier ma soif et mon ambition au Liban, et je suis parti dans les rangs de Renzo Piano, dès 1987, dans l’agence de Paris».
Parmi les réalisations de l’agence, des dizaines de musées à travers le monde, ce qui vaut à Renzo Piano Building Workshopune grande renommée: «Dès qu’il y a un musée important à construire dans le monde, on nous appelle, note l’architecte. Néanmoins, malgré notre fierté, nous n’aimons pas trop cette étiquette». La Maison Hermès à Tokyo, l’église du Père Pio Pilgrimage en Italie, l’office du New York Times, la London Bridge Tower, des universités aux Etats-Unis, un stade de football en Italie et un improbable voilier sont, entre tant d’autres, dans les cordes de l’agence.
«Nous n’avons pas de style à proprement parler, explique Antoine Chayaa. Nos bâtiments sont très diversifiés et ne se ressemblent pas du tout. Notre savoir-faire réside dans notre passion pour le détail. Notre approche est très artisanale, associant le travail de l’esprit à celui de la main». Alors que certains architectes adoptent une approche formelle, l’agence de Renzo Piano a opté pour une approche autant scientifique, se fondant sur la recherche des matériaux en fonction de leur environnement qu’expérimentale. «Cette dernière consiste à travailler par tâtonnement. Le bon résultat est obtenu en faisant des erreurs et non pas par un coup de génie, estime l’architecte. C’est une approche où la simplicité des concepts concourt avec la complexité du savoir faire».
Question inspiration, chaque projet a la sienne. L’aéroport de Kansai dans la Baie d’Osaka, construit sur une île artificielle, revêt par exemple la forme d’une vague, aérodynamique en relation avec l’eau et le vent. «Le Zentrum Paul Klee à Berne est très intéressant, parce qu’il nous a été inspiré par le paysage vallonné du site. Normalement, on dessine le projet avant d’arriver aux paysages», confie l’architecte. Antoine Chaaya souligne que seul «l’extérieur du bâtiment doit exprimer le savoir-faire de l’architecte, surtout dans un musée où l’intérieur doit être au service de l’art et s’effacer à son profit. Quant au centre culturel de Jean-Marie Tjibaou à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, en hommage à la culture Kanak, le bureau d’architectes a su concilier la tradition et la modernité. «Assisté d’un anthropologue spécialisé, nous avons été à l’écoute de cette culture kanake en observant comment leur village était structuré, le long d’un axe central, délimité par des cocotiers, avec des constructions à plan circulaire, le tout noyé dans une forêt de pins colonnaires, détaille l’architecte. Notre projet extrêmement moderne s’inspire du fond de la culture sans vouloir la copier ou en faire une caricature. Nous avons gardé l’utilisation du bois, le plan circulaire des cases, mais nous en avons complètement modifié la forme, et les constructions sont en osmose totale avec la nature», explique-t-il.
Lors de la conférence, Antoine Chaaya avoue avoir voulu faire rêver son audience en lui parlant de l’architecture en lévitation, l’une des marques de fabrique de son bureau d’architectes, jouant sur l’impression d’un volume qui doit flotter.
«L’Homme, depuis l’Antiquité, s’est intéressé à la pesanteur. Il l’a défiée pour échapper à ses lois. Tout d’abord, dans son imaginaire avec le mythe de Dédale et Icare, s’inventant des ailes en cire pour s’échapper du labyrinthe, puis cette curiosité à traverser l’esprit de savant, de Leonardo Da Vinci à Newton, s’obstinant à trouver les mystères de l’apesanteur. En architecture, l’objectif n’est pas de construire un habitat qui vole – il faudrait en savoir l’utilité, mais de porter haut le débat et notre ambition, l’objectif est de faire des bâtiments légers».

Un projet urbain à Beyrouth
«As-tu remarqué, en marchant dans la rue, que la plupart des immeubles sont muets, tandis que certains parlent, et alors que d’autres chantent», poétise Antoine Chaaya en citant Paul Valéry. «Pour moi, les bâtiments qui chantent, c’est ça l’architecture. Certains éléments composant le bâtiment, par leur proportions et leur disposition dans l’espace, peuvent lui donner des ailes pour le faire voler et même lui prêter une voix pour qu’il chante». Un exemple, son chantier actuel d’extension à Harlem de l’Université de Columbia. «Nous allons créer un rez-de-chaussée «urbain» sur tout le campus, transparent, lumineux et perméable, confie-t-il. Ce nouveau campus sera complètement ouvert à la ville; n’importe qui pourra entrer au rez-de-chaussée, dans n’importe quel café, restaurant ou librairie. Pour qu’il flotte, il faut que toutes les zones opaques (WC, stockages, cuisines des restaurants) soient reléguées au sous-sol. Grâce à la transparence et à la forte luminosité du lieu, on aura l’impression que le bâtiment est en lévitation».
Des bâtiments qui chantent à Beyrouth… «Je n’en ai pas vu. C’est un peu triste, avoue l’architecte réputé. Certaines anciennes bâtisses conservent un peu de noblesse, mais les nouveaux bâtiments ne sont pas bien dessinés. C’est un grand problème». Concernant la préservation du patrimoine, Antoine Chaaya note qu’il faut trouver le bon équilibre. «Tout démolir est une erreur; on ne peut pas effacer l’Histoire comme ça. Tout garder est impossible; financièrement, d’une part, et puis tous les bâtiments n’ont pas une grande valeur. La rénovation des rues autour de la Place de l’Etoile est très bien faite. En revanche, il ne faut pas à tout prix vouloir imiter l’ancien. Aujourd’hui, laisser faire de nouveaux projets avec des arcades, parce qu’au centre-ville il y en a, c’est une erreur épouvantable. Il est toutefois intéressant d’utiliser la pierre de façon contemporaine».
D’autre part, ses plus grandes doléances visent le manque d’espaces verts et de place pour les piétons. «Toutes les ruelles à Beyrouth sont conçues comme des autoroutes, pour les traverser, c’est un drame. Il faut rendre l’espace aux piétons. Il faut rendre la vie à la ville; ce n’est plus humain».
Et c’est vers quoi le bureau de Renzo Piano se dirigera dans son prochain projet pour Beyrouth. «L’idée d’entreprendre au Liban m’a traversé l’esprit depuis longtemps, dit Antoine Chaaya. Mais ce n’était pas évident de convaincre Renzo en raison d’une certaine instabilité au pays du Cèdre. Aujourd’hui, nous avons donc un projet dans une forme de maturité qui ne mérite pas encore d’en parler, et je préfère laisser à Renzo le soin de l’introduire. Ce sera un projet urbain avec plusieurs bâtiments, près du centre-ville et en partenariat avec Solidere», lâche-t-il finalement. Delphine Darmency

Principales réalisations de Renzo Piano Building Workshop
Le Centre Georges-Pompidou à Paris (1977), la Réhabilitation du centre historique d'Otrante en Italie (projet de l’Unesco – 1979), le musée de la collection Menil à Houston (1986), le centre commercial Bercy II à Paris (1990), le pont d’Ushibuka au Japon (1996), le musée des sciences et technologies à Amsterdam et le musée de la Fondation Beyeler en Suisse (1997), la Potsdamer Platz à Berlin (1998), l’auditorium Parco della Musica à Rome (2002), le Nascher Sculpture center à Dallas (2003), l’achèvement de la Cité internationale de Lyon (2006), le Broad Contemporary Art Museum à Los Angeles et l’Académie des sciences de Californie à San Francisco (2008) ou encore l’extension de l'Art Institute de Chicago (2009).
Quelques projets en cours: Le Musée d’art de l’université de Harvard à Cambridge aux Etats-Unis, le Musée d’art contemporain à Sarajevo en Bosnie, ou encore tout récemment le nouveau Palais de Justice de Paris.

 

 

 

 

 

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