Budget
Par ses astuces, la BDL fournit l’Etat en liquidités
Une septième année sans une Loi de Finance approuvée par le Parlement et promulguée par l’Exécutif ne semble pas inquiéter outre mesure les citoyens. L’exception est la règle au Liban et la population s’est habituée à cette anomalie. Mais d’une année à l’autre, les infrastructures se détériorent et les dépenses d’investissement de l’Etat deviennent une nécessité urgente tant dans le secteur de l’énergie, du pétrole, de l’eau, des routes et des télécom-munications. Or, selon les derniers chiffres rendus publics par le ministère des Finances, les dépenses du gouvernement sont «en relative hibernation», en attendant l’accouchement du projet de la Loi de Finance. A part le décret de réajustement des salaires, aucun programme significatif de dépenses n’a été approuvé par le Conseil des ministres. Ainsi les dépenses publiques ont progressé de 3,4% en rythme annuel au cours du 1er trimestre 2012, s’élevant à 3 milliards de dollars sur la période mentionnée, dont 83% ont été affectés aux dépenses budgétaires et le reste alloué aux dépenses du Trésor.
Dans cette conjoncture, le gouverneur Riad Salamé a démontré une fois de plus à la communauté internationale qu’il est le maître de cérémonie en termes de contrôle du marché monétaire domestique, en anticipant les besoins de financement du gouvernement en l’absence d’une Loi de Finance et à la lumière des réticences des banques libanaises à souscrire à de nouveaux bons du Trésor. Autre problème, la difficulté de vendre des euro-obligations libanaises à l’étranger avec une crise de la zone euro qui se perpétue. Ainsi, Salamé a entrepris une opération de swap qui a consisté en un échange entre le ministère des Finances et la BDL, celle-ci ayant acquis des eurobonds du ministère pour le montant de 2 milliards de dollars contre des bons du Trésor en livre pour le même montant. Cette opération d’échanges a porté sur des titres souverains venant à échéance en 2014. Par cette démarche, la BDL a fait d’une pierre deux coups. Dans un premier temps, elle a mis l’Etat à l’abri de toute pression d’ordre monétaire, donnant un signal positif de sa solvabilité aux marchés internationaux, et, en deuxième lieu, elle a consolidé sa position de maître des potentielles fluctuations de la valeur de la monnaie nationale. A la faveur de ce swap, la BDL engrangera des gains substantiels, vu que les taux d’intérêt des bons du Trésor échangés étaient de 6%. De plus, cette opération aura contribué à augmenter ses avoirs en devises étrangères d’un milliard de dollars au cours de la première quinzaine du mois de juin.
De toute façon, le projet de budget, dans sa mouture actuelle, montre clairement que les responsables libanais n’ont pas tiré les enseignements de la crise de la zone euro. Joseph Stiglitz, prix Nobel de l’économie, a expliqué sans détour que «l’austérité n’est pas la solution aux tracas de la zone euro». Ce qui s’applique au Vieux continent s’applique tout autant au Liban. Le projet de la Loi de Finance 2012 propose tout simplement une réduction du déficit budgétaire en faisant valoir une politique fiscale dont le fondement repose sur «un grignotage des revenus des ménages», sans se soucier de l’encoura-gement des investissements, catalyseurs de la création d’emplois. Il suffit de scruter le poste des dépenses pour se rendre compte que les dépenses d’investissement sont passées de 3069 milliards de livres à 1880 milliards de livres, soit une baisse de près de 1189
milliards de livres. Dans le cadre du projet proposé, toute tentative de doper la croissance économique est totalement ignorée.
Conjoncture économique
Le commerce parallèle, bouée de sauvetage
Pour qu’il y ait une récession, il faut qu’il y ait deux cycles consécutifs de croissance économique nulle. Ce qui n’est pas encore le cas au Liban. Dans la pratique, ceci signifie qu’il n’y a pas encore le feu à la demeure. En 2011, malgré des conditions difficiles, le pays a enregistré un taux de croissance de 3% et les prévisions pour 2012, 2013 et 2014 sont de 3,60%, 4% et 4,7%, selon la Banque mondiale (BM). Le dernier rapport de l’Organisation internationale a regroupé les économies des pays de la zone Mena en trois catégories: les pays où les troubles politiques dominent et dont les économies connaissent de sévères distorsions; les pays exportateurs de pétrole qui bénéficient d’une stabilité politique et dont les pertes sont compensées par les gains enregistrés du fait de la vente de l’or noir; et, enfin, les pays qui tentent de maintenir une situation relativement constante mais continuent de souffrir d’un manque d’appétit des investisseurs et des pertes du secteur extérieur. Bien que le profil du Liban semble proche de la dernière catégorie, son économie reflète une mosaïque des grandes lignes macro-économiques des deux premières divisions.
La balance des paiements qui a commencé à enregistrer un déficit depuis début 2011 serait principalement mue par un grossissement de la facture d’importation, atteignant une progression de 25% au cours des quatre premiers mois de 2012. Cette hausse s’inscrit logiquement aux antipodes du ralentissement de l’activité économique dans le pays. Cependant, pour certains experts économiques, cette situation aurait des retombées positives sur le Liban dans la mesure où il importe en ce moment des produits de consommation qui font l’objet d’une demande tant des Libanais que des Syriens. La perte de transparence au niveau des échanges entre le Liban et la Syrie est tout en faveur du Pays du Cèdre dans les circonstances difficiles que traverse le pays. Les exportations vers la Syrie à partir du Liban ne sont pas en fait répertoriées dans les registres des Douanes du fait que leur transport ne s’effectue pas selon les processus légaux institués par le Liban et la Syrie.
En temps de crise, les exportations entre les deux pays se font à travers des canaux non réguliers. Un phénomène connu sous le nom «de commerce parallèle». En temps de guerre, il existe une règle systématique qui est celle de l’expansion du commerce parallèle. Celui-ci explique l’existence sur le marché d’une masse de liquidité importante qui circule aujourd’hui entre les différents agents économiques. Toutefois, cette masse d’argent met du temps pour faire son entrée dans les canaux réguliers de la finance, en l’occurrence les banques. Elle est répercutée graduellement dans les bilans des établissements de crédit. Un seul point noir au tableau: il est difficile de calculer et de contrôler cette masse de fonds en provenance du marché parallèle. Il est de toute façon reconnu que pendant les guerres, le secteur de la contrebande joue un rôle crucial dans le soutien de l’économie traditionnelle.
Cette distorsion au niveau des échanges entre le Liban et la Syrie par voie terrestre est visible à travers la répartition des revenus douaniers sur base des points de passage aux frontières terrestres communes avec la Syrie. La part des recettes douanières enregistrée au point de passage de Masnaa a représenté 2,1% du total de ces rentrées, et 0,3% au point de passage de Abboudiyé, contre 86% à partir de la porte du port de Beyrouth et 7,8% à partir de celle de l’aéroport international Rafic Hariri.