Dernier spectacle de Caracalla, créé spécialement pour Beiteddine Art Festival, Kan ya ma kan est signé Alissar et Ivan Caracalla. Pour la première fois, le spectacle était accompagné de la musique «live» de l’Orchestre philharmonique libanais, dirigé par Harout Fazlian. Un ondoiement de couleurs a ravivé le palais de Beiteddine, le 28, 29 et 30 juin, ainsi que le 1er juillet. Le palais de Beiteddine n’a peut-être jamais autant resplendi que ce soir-là. Caracalla présentait sa dernière création, Kan ya makan, conçue spécialement pour Beiteddine Art Festival.
Avant même que le spectacle ne commence, c’est l’émerveillement. Le palais de Beiteddine est complété, de part et d’autre de la scène, de constructions amovibles qui s’intègrent parfaitement à la structure du palais. Elles étonnent presque par leur aspect antique, traditionnel, réel, à tel point que le spectateur n’hésite pas à se demander si elles y ont toujours figuré. Et l’émerveillement se poursuit. En haut de la scène, une projection en trompe-l’œil dévoile la façade d’une construction en pierre ancienne sur laquelle se déplacent, en projection toujours, des images de fenêtres tout aussi traditionnelles. Le ton est donné: du grandiose, du sensationnel. Trois tableaux, trois lieux différents, trois sensibilités différentes qui se fondent en une même entité, en un même spectacle: Kan ya ma kan.
Que le spectacle commence. Et aussitôt retentissent les premières notes en direct de l’Orchestre philharmonique libanais dirigé par Harout Fazlian. Une première dans la tradition Caracalla, et qui confère au spectacle un émoi tangible, physique. Le corps ne cesse de tressaillir au son de toutes ces notes qui s’enchaînent, se bousculent, se culbutent, que ce soit au rythme de Scheherazade de Rimsky Korsakov, du Bolero de Ravel ou des chansons folkloriques libanaises composées pour le spectacle.
On est au palais de Shahrayar qui vient d’être nommé roi. Entre la joie et la passion, entre les étoffes soyeuses et brillantes, entre des pas de ballet et des pas de danse plus orientale, la troupe de Caracalla, les danseurs de l’Académie de danse de Kiev, et les danseurs solo invités, Yekaterina Kozachenko et Jan Vana, donnent vie à tout un univers enchanté, chorégraphié par Alissar Caraclla et mis en scène par Ivan Caracalla. Les séquences s’enchaînent offrant au regard des images tour à tour passionnelles, sensuelles, puissantes, même si certains pas de danse semblent se répéter. Les comédiens Rifaat Torbey, Gabriel Yammine et Antoun Aad se joignent au spectacle. L’audience est dans l’expectative, suivant l’histoire de ce palais des Mille et une nuits.
Bienvenue en Orient
Le temps de souffler pendant l’entracte, le temps d’installer le nouveau décor: les souks orientaux. Dès que les lumières sont braquées, le spectateur est submergé par un souffle frais empli de chaleur. Le voilà à Beiteddine, emporté par l’impression d’être ailleurs, de toucher la scène, d’être sur scène, de participer à la vie qui se met en place, qui s’anime sur les planches du palais de Beiteddine, dans ses moindres détails, vibrant de vie. Le voilà errant au cœur d’un souk oriental né comme par magie des effluves des contes des Mille et une nuits. Un souk que seul Caracalla pouvait faire revivre de manière aussi flamboyante.
En troisième partie, c’est le retour au folklore et aux traditions. Une partie qu’on attendait, qu’on espérait dans le prolongement de la deuxième, avec une touche libanaise encore plus prononcée. On espérait y percevoir la marque de Abdel-Halim Caracalla, celle qui aurait pu rassembler tous ces éléments épars. Et le troisième tableau s’ouvre: un hommage fulgurant au Liban, comme en témoigne d’emblée la projection d’images de ce qui semble être un village libanais avec ses maisons en tuiles rouges. Une sensation qui gagne en profondeur à mesure que les minutes s’écoulent. Est-ce un simple hommage qui ne prend pas en considération l’intérêt même du spectacle? Parce qu’il flotte soudain dans l’air de Beiteddine comme un parfum d’inachevé, voire un malaise. Les célébrités libanaises, invitées de Kan ya ma kan, enjambent tour à tour la scène, chantant ou dansant, en solo, en duo ou en ensemble: Hoda Haddad, Joseph Azar, Simon Obeid, Berge Fazlian, Omar Caracalla. Les chants se succèdent, flattant la fibre nationale, rassembleurs, fédérateurs, patriotiques, entrecoupés de pas de danse, de la dabké essentiellement. Sur l’écran, le Liban dévoile ses paysages, agencés côte à côte, tout près du drapeau. Rien de bien nouveau en somme. Une répétition des mêmes clichés devenus inhérents à la tradition des spectacles du terroir. Déception, le troisième tableau manque cruellement d’homogénéité par rapport au spectacle. Il donne l’impression d’être parachuté, déconstruit. Est-ce la présence des célébrités invitées d’honneur qui a imposé ce schéma afin de leur rendre l’hommage qui s’impose? Ou bien est-ce que les concepteurs du spectacle ne se sentent-ils pas réellement à l’aise pour traiter ces traditions folkloriques de manière innovante et personnalisée?
Mais au-delà de tout, le spectateur quitte le palais de Beiteddine, avec des images plein la tête. La magie d’une nuit enrobée de couleurs chatoyantes, chaudes, ondoyantes. La sensation d’un corps qui ondoie au son d’une musique qui vous remue jusqu’aux entrailles. Le cri rauque que les danseurs lançaient de temps en temps, s’enflammant dans leur chorégraphie. Des costumes vaporeux, scintillants, célestes. Une mise en scène sensationnelle. Un jeu de lumière et de projection éblouissant dans ses moindres détails, dans ses moindres nuances. Le pas de dabké authentique de Omar Caracalla, comme né tout droit de la terre, de cette terre du Liban, à laquelle Caracalla ne cesse de revenir, ne cesse de rendre hommage.
Nayla Rached