Magazine Le Mensuel

Nº 2852 du vendredi 6 juillet 2012

LES GENS

Hikmat Dib. Infatigable militant

Il fait partie des militants de la première heure, ceux qui ont connu la prison, la torture et l’humiliation des interrogatoires. Originaire de Hadath (Baabda), il a vécu l’occupation syrienne qui a créé chez lui un sentiment de frustration. Il est membre de la Fédération internationale des droits de l’homme de Paris et membre fondateur de l’Association des droits de l’homme et de l’individu du Liban. Depuis 1989, il a commencé son parcours au sein du Courant patriotique libre (CPL) et a réussi, en 2009, à faire son entrée au Parlement en tant que député de Baabda, une région particulièrement sensible. Portrait de Hikmat Dib.

Ingénieur civil de formation, il fait ses études chez les frères Antonins à Baabda et à l’Université Saint-Joseph ensuite. Elève agité et turbulent, il est chassé de l’école plusieurs fois. Du petit garçon frondeur, Hikmat Dib, âgé aujourd’hui de 56 ans, a gardé le sentiment de révolte contre toute forme d’injustice et un côté espiègle qui le rend si proche des gens. Né dans une famille de six enfants, cinq garçons et une fille, c’est à la maison qu’il a appris le respect envers la femme. «Ce sentiment a influé sur ma vision de la femme en général, ma manière de traiter ma femme et ma fille, et en particulier dans la législation», dit Hikmat Dib. Cinéphile, amoureux de l’art, il est marié à Carole Hatem, peintre. Ils ont trois enfants, une fille et deux garçons. Racha, 23 ans, en cinquième année de médecine, Naddy, 21 ans, qui étudie l’architecture et Rayan, 16 ans, en seconde. «Et j’ai deux chiens», ajoute-t-il en souriant. Passionné de politique, il se contentait de suivre celle-ci en tant qu’observateur jusqu’en 1989, date de l’apparition du général Michel Aoun. «Je vivais dans une région occupée par les Syriens et j’assistais frustré et impuissant à la chute de l’Etat», confie Hikmat Dib. Le 20 octobre 1991, alors que le général Aoun était à l’ambassade de France à Mar Takla, il organise la première manifestation, et depuis, il est fiché chez les services de sécurité. En 1994, il est arrêté une première fois pendant 23 jours. A l’issue des interrogatoires, l’acte d’accusation publié réclame contre lui la peine de mort.
La lutte au sein du CPL est suivie de près par les associations de protection des droits de l’homme.«Jamais dans notre façon de nous exprimer nous avons violé les droits de l’homme ou porté atteinte aux droits des autres. Nous n’avons jamais cassé une vitre ni frappé quelqu’un», raconte Hikmat Dib.
Pendant l’absence du général Aoun, le CPL commence à se créer petit à petit, et la coordination du courant est confiée au général Nadim Lteif. Hikmat Dib prend en charge la commission des étudiants. Pour le général Aoun, il s’agissait d’articuler le mouvement autour de deux facteurs: les droits de l’homme et l’acquisition d’une légitimité auprès des gens et des associations. «On participait alors aux élections estudiantines par des moyens légaux. Nous avons été élevés sur les principes d’une lutte politique propre», confie le député. Avec un record de quelques quatre arrestations, Hikmat Dib est devenu un professionnel des prisons, en particulier celle du ministère de la Défense. Avec ironie, il se souvient de son arrestation le 7 août 2001 et de son transfert à Yarzé  avec Nadim Lteif, Ziad Assouad, Salman Samaha et Elie Keyrouz. «On se moquait des services de renseignement et de leur allégeance aux décisions extérieures. Au début, j’avais peur mais par la suite je suis devenu un habitué et je me préparais à chaque arrestation: je ne mettais pas de ceinture ni de chaussures à lacets. Je prenais les choses avec beaucoup de sang-froid, car je n’avais rien à craindre. Je n’avais rien fait de mal», dit-il.
En septembre 2003, suite au décès du député Pierre Hélou, il se porte pour la première fois candidat à l’élection partielle de Baabda. «Tous les partis étaient contre nous. Les Kataëb, qui étaient encore divisés, les druzes de Walid Joumblatt et de Talal Arslan, Amal, Hezbollah, les sunnites. J’étais candidat pour protester contre la présence syrienne. Nous n’avions pas honte de dire que nous voulons le Syrien dehors, mais une fois qu’il le sera, nous aurions la meilleure des relations avec lui», confie Dib. Pourtant, malgré la guerre menée contre lui, il réussit l’exploit d’obtenir un score de 25500 voix, alors que Pierre Hélou, soutenu par toute la classe politique, est élu avec 27500 voix.
Pour ce fervent militant du CPL, les slogans ont toujours été les mêmes: Liberté, égalité, indépendance et retrait de l’armée syrienne. «Nous n’avons jamais réclamé une demande personnelle telle que le retour du général Aoun. Nos slogans sont nationaux et ne concernent pas des requêtes privées, étroites ou momentanées. Le 14 mars a repris nos slogans en y ajoutant celui de la vérité. Je n’oublierai jamais le jour où l’on s’est rendu à Koraytem, après l’assassinat de Rafic Hariri, comment nous avons été applaudis: Nadim Lteif et moi. Nous étions les seuls à réclamer le retrait syrien depuis si longtemps. Nous étions le pilier de la scène, mais on sentait déjà que quelque chose se préparait. On a découvert plus tard que l’accord quadripartite a été conclu et la loi que j’appelle Ghazi Kanaan-Rafic Hariri a été adoptée dans le but de réduire le poids des chrétiens et en particulier celui du CPL», affirme Hikmat Dib. En 2005, il est candidat du CPL à Baabda-Aley. Encore une fois, il démontre son poids sur le terrain, sans être toutefois élu, en récoltant 71% des voix chrétiennes et obtient 62944 voix face à Henri Hélou, soutenu par l’accord quadripartite qui obtient 69637 voix. «Nous avons créé le 14 mars et je considère que nous avons été trahis à partir de ce jour-là. Ils ont continué à nous combattre, mais en employant des moyens différents. Ils font de la désinformation pour éloigner les gens des occupations importantes. Quand ils ont conclu l’accord tripartite, ils n’avaient rien à reprocher aux armes alors que maintenant celles-ci sont accusées d’être la source de tous les maux», dit le député de Baabda. Pour lui, le CPL ainsi que le Bloc du Changement et de la Réforme font désormais partie de l’équation. «Nous sommes le deuxième plus grand bloc parlementaire et le plus grand bloc chrétien, mais malheureusement nous traitons avec des gens habitués à la subordination et à la soumission, aux Palestiniens d’abord, aux Syriens ensuite et actuellement aux Américains».
Malgré quelques réalisations, le député reconnaît qu’il reste encore beaucoup à faire. «Nous avons à notre actif plusieurs projets dont le plus important est l’assainissement des Finances publiques. Je peux vous assurer que le système informatique est contrôlé et il n’y a plus de vols des deniers publics», confie Dib.

Si à l’intérieur du CPL chacun a son propre style, le projet politique est unique. «Contrairement à l’image véhiculée par la presse, le général Aoun est un homme de nature gaie, ouvert à toute discussion. Il suit tous les dossiers de près et s’intéresse à chaque détail. L’ambiance des réunions est détendue. Nous avons tous beaucoup d’admiration pour lui et c’est avec passion que nous écoutons ses analyses politiques. C’est un visionnaire. Le temps que l’on passe avec lui est précieux», dit le député de Baabda. Sa relation avec le Hezbollah ne date pas d’aujourd’hui. «Depuis 1994, j’étais en charge des contacts avec le Hezbollah, De manière hebdomadaire, on se réunissait Nawaf Moussaoui et moi, tous les mardis à 19 heures. C’est lui qui était en charge du dossier chrétien. Le général Aoun suivait les discussions de près et envoyait ses questions. L’atmosphère était franche. Ce sont des gens honnêtes, qui ont des valeurs et qui négocient avec franchise. On a eu des hauts et des bas. Aujourd’hui, nous sommes tous les deux députés. Le document d’entente avec le Hezbollah est un atout pour la région et pour les gens. Il sert aussi à connaître l’autre. La signature de cet accord à l’église Mar Mikhael, à la demande de Hassan Nasrallah, est très symbolique», confie Hikmat Dib. Aujourd’hui, la situation dans la région de Baabda est très détendue. «Le changement démographique qui avait lieu et l’achat de terrains par les chiites est totalement rejeté par le Hezbollah qui refuse le départ des chrétiens. D’ailleurs, les terrains achetés aux chrétiens ont été rendus et un terme a été mis à ces opérations. Le Sayyed a affirmé lui-même qu’il ne voulait plus entendre parler d’achat de terrains et a demandé aux chiites d’aller investir ailleurs», affirme Dib. Dans cette région particulièrement sensible, le fameux document d’entente avec le Hezbollah a clairement porté ses fruits…

Joëlle Seif

 

Ce qu’il en pense
-Sa vision de l’avenir: «Je suis réaliste et je sais parfaitement que les choses prennent du temps pour changer. Je suis rempli d’amertume lorsque je vois ceux qui étaient à la solde des Syriens critiquer le général. Mais je reste optimiste malgré la lenteur des réformes, et ce qui a été réalisé est déjà bien».
-Ses loisirs: «J’aime les jardins et j’ai une passion pour les bonzaïs. Je déteste le sport qui est pour moi une corvée, mais je le pratique quand même. Quant à mes lectures, elles sont essentiellement politiques. Je lis des ouvrages sur l’islam également. J’aime beaucoup le cinéma, mais malheureusement je n’ai plus le temps d’y aller régulièrement. Woody Allen, Quentin Tarentino et les frères Cohen sont parmi mes metteurs en scène préférés».
-Sa devise: «Satisfaire les gens qui sont autour de moi, ma petite famille et ma grande famille. Je dors bien quand j’ai réussi à lever une injustice qui frappe quelqu’un».

 

Une loi concernant les disparus
Deux propositions de loi lui tiennent particulièrement à cœur: celle concernant l’appropriation des étrangers de bien-fonds au Liban et une autre relative aux disparus. Des amendements sont proposés en ce sens pour la première fois, et un projet de loi d’une trentaine de page, en vue de la création d’un haut comité pour les disparus est introduit. «Il faut agir dans ce sens car le dossier des disparus est traité avec un manque de respect total. Ce haut comité sera doté d’une immunité et d’une indépendance. Il aura le pouvoir de mettre la main sur les fosses communes et d’interdire la construction dessus, comme cela s’est passé en Yougoslavie et au Rwanda. Une banque d’ADN sera aussi créée. Des spécialistes en génétique feront les prélèvements et les comparaisons nécessaires», explique Hikmat Dib. Le ministre de la Justice ainsi que le comité des familles des disparus ont également présenté une loi en ce sens. «Nous voulons qu’il y ait une loi et pas un décret car la loi a plus de force qu’un décret», dit le député.    

 

 

 

 

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