Peu accessible pour les amateurs non motorisés, le parcours vers la Vallée de Qadisha, inscrite au patrimoine de l’Unesco depuis 1998, est parmi les plus pittoresques du Liban. Adieu embouteillages, pollution et chaos sonores, les portes du Paradis sont ouvertes.
De Beyrouth, pour rejoindre la Vallée de Qadisha, il existe mille et un chemins ou sentiers plus au moins longs, selon les routes de montagne ou même les kilomètres de marche choisis. Malgré sa superficie réduite, le pays du Cèdre offre une infinité d’occasions aux promeneurs de flâner et de s’arrêter ici et là.
De Batroun, une petite route de montagne serpentée rejoint l’un des plus beaux villages libanais, Douma, qui a d’ailleurs servi de cadre au dernier film de Nadine Labaki, Et maintenant, où va-t-on? Des ruelles, souvent désertes, abritent de petites échoppes et de belles maisons bâties en pierre. Le cachet libanais typique du village est encore préservé pour le plus grand plaisir des touristes qui pourront acheter dans ses petites échoppes, les «dékénés», des produits locaux, des loukoums aux confitures et des sirops faits maison. Dans l’un des cafés du village au décor modifié, le temps du tournage, les hommes ont repris l’habitude d’aller fumer quelques cigarettes autour d’un jeu de cartes.
Mais la route est longue vers la prochaine étape et il faut remettre le pied à l’étrille pour arriver à Hasroun, autre village réputé pour son charme. Pour gagner du temps sur les chemins étroits de la Montagne libanaise et, parfois pas tout à fait achevés, il est possible de prolonger l’autoroute du Nord à Batroun et ainsi, au niveau de Chekka, passer devant l’une des plus belles forteresses du Liban, fièrement perchée sur un piton rocheux, effleurant les rives du fleuve el-Jawz. La citadelle de Mseilha, connue également sous le nom de «Puy du Connétable», offre ses dédales au public. L’édifice aurait été construit par les Croisés puis fortifié par l’Emir Fakhreddine au début du XVIIe siècle, dans sa volonté de contrôler la route qui mène de Beyrouth à Tripoli au cours de sa révolte contre la Sublime Porte.
Direction Amioun puis Qanoubine pour retomber sur le village de Hasroun que l’on aperçoit de loin. Perché sur une falaise, il est connu pour préserver la tradition architecturale des maisons libanaises à tuiles rouges. Ses ruelles méritent le détour.
Qanoubine, couvent historique
Quelques instants plus tard, une petite bifurcation à gauche mène vers la Vallée de Qadisha, ou plus précisément, la Vallée de Qanoubine, par un chemin sinueux. De là, on peut apercevoir, embrigadé dans les rochers, le couvent de Qanoubine, siège patriarcal maronite du XVe au XIXe siècle. Un parcours numéroté a été réalisé dans son antre pour que le visiteur puisse se plonger dans l’atmosphère monastique. On y découvre d’ailleurs des cellules reconstituées où se trouvent encore les affaires de leurs anciens locataires.
Cette Vallée de Qadisha, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est née d’un travail géologique impressionnant, grâce à la force d’érosion due au déferlement continu de la rivière. Une vallée qui aurait abrité, d’après la plupart des historiens, des communautés monastiques depuis les premières heures du christianisme. A l’heure de sa formation, des grottes se sont creusées, marquant la roche de leur présence, devenant des refuges pour les ascètes. On raconte qu’avec l’arrivée des Croisés, si la «Vallée sainte» était un véritable refuge, elle fut aussi un haut lieu de résistance: l’alliance entre les chrétiens de la Montagne et une armée musulmane renversa les Francs qui s’étaient installés sous la protection du comté de Tripoli.
La Vallée de Qadisha est formée de deux vallées aux multiples parcours piétons, celle de Qanoubine et de celle de Qozhaya, qui donne également son nom à un autre monastère, celui de Saint-Antoine, accessible par Ehden un peu plus loin. Mais de là, on remonte vers Becharré où une visite culturelle vous attend au musée de Gibran Khalil Gibran, aménagé dans le couvent Mar Sarkis. D’aucuns diraient que le lieu est «à mi chemin entre le paradis et la terre», proposant une vue panoramique sur la vallée. L’emblématique poète libanais, auteur du Prophète,avait d’ailleurs choisi d’y être enterré. Le couvent, ancien ermitage, a été rénové, agrandi et modernisé pour accueillir l’ensemble de l’œuvre de l’artiste. Outre ses peintures, on y découvre des objets qui lui ont appartenu, sa chambre, sa chaise, ses manuscrits, et toute son œuvre littéraire traduite en plus de 30 langues.
Vers Arz-el-Rab
A quelques lieues de là, le Cèdre du Liban pavoise. Très longtemps prisé, son bois a servi à la construction du Temple de Salomon, à celle de nombreux palais des Pharaons, Babyloniens et Assyriens, mais également à des navires phéniciens. Malheureusement, la fratrie a drastiquement diminué. Quelques survivants sont ancrés dans la forêt des Cèdres de Dieu, dite Arz-e-rab, à proximité du village de Bcharré, abritant entre autres deux majestueux arbres trimillénaires et une dizaine de cèdres millénaires. L’occasion de se promener dans leurs dédales et de s’enivrer de leur parfum.
Reste à visiter, le Monastère Saint-Antoine de Qozhaya, signifiant en syriaque, «trésor de vie».Au XIXe siècle, le monastère, alors à son apogée, accueillait plus de 300 moines. Dans la vallée éponyme, lavie ascétique a toujours été très répandue, les ermites vivant dans des cellules à même la roche. Aujourd'hui, deux prêtres en auraient pris la succession, les pères Antoine Rizk et Dario Escobar. Ce monastère est également connu pour son imprimerie et par la présence d’anciennes chaînes avec lesquelles on attachait autrefois les fous…
Le retour vers la capitale peut se faire à travers plusieurs chemins. Si la situation sécuritaire le permet, la belle Tripoli n’est plus très loin et l’appel des délices du pâtissier Abdoul Rahman est difficilement maîtrisable. Et les restaurants en bord de mer, à Batroun ou Byblos ne sont pas en reste pour vous permettre de prendre le temps de méditer, accompagné par la mélodie des vagues, sur les paysages et les lieux que vous avez emmagasinés dans la journée …
Delphine Darmency
Le Liban de Gibran Khalil Gibran
«Vous avez votre Liban et ses dilemmes, j’ai mon Liban et sa beauté. Votre Liban est un imbroglio politique que le temps tente de dénouer. Mon Liban est fait de vallées paisibles et mystérieuses dont les versants accueillent le son des cloches et le murmure des rivières, de montagnes qui s’élèvent, dignes et magnifiques, dans l’azur. Mon Liban est fait du gazouillis des merles, du frissonnement des chênes et des peupliers et de l’écho des flûtes dans les grottes et les cavernes. Mon Liban est une pensée lointaine, un désir ardent et une parole noble que la terre chuchote à l’oreille de l’univers».