Mohammad Morsi a surpris tout le monde en mettant à la retraite, et sans préavis, le puissant ministre de la Défense, Mohammad Hussein Tantawi, et le chef d’état-major de l’armée, Sami Anan, les remplaçant par des officiers proches des Frères musulmans. Plus surprenant encore est le fait que le chef de l’exécutif se soit accordé les pouvoirs législatifs. Une décision que même Hosni Moubarak n’avait pas osé prendre. Un nouveau pharaon est né!
L’attaque du Sinaï, qui a causé la mort de seize soldats égyptiens, devait logiquement fragiliser la position du président islamiste Mohammad Morsi, d’autant que les auteurs de la tuerie n’étaient autres que des islamistes-jihadistes. D’ailleurs, l’absence du chef de l’Etat des obsèques nationales, organisées pour les soldats morts, avait choqué l’opinion publique. Mais les Ikhwan ont su, une nouvelle fois, retourner la situation en leur faveur. Au lieu de voir le Conseil militaire suprême profiter de ces événements pour élargir davantage ses pouvoirs au détriment du président, c’est ce dernier qui a renversé la table. Ce retournement de situation digne d’un film hitchcockien en a surpris plus d’un, surtout que 48 heures auparavant, Mohammad Morsi visitait le Sinaï en compagnie d’Anan et de Tantawi, et rien ne laissait présager que les deux hommes forts de l’armée seraient renvoyés chez eux avec les remerciements dus à leur rang. Les analystes indiquent que cette décision n’a sûrement pas été prise par le président en personne, mais plutôt par le Choura des Frères musulmans, qui a considéré que les militaires réussiront à reprendre le pouvoir si le chef de l’Etat ne réagissait pas. Une source bien informée explique à Magazine que l’ordre serait venu directement du Guide Mohammad Badih après de longues consultations au sein des instances suprêmes de la confrérie. La source ajoute que «lors de ces délibérations, Khayrat el-Chater, qui représente les faucons au sein de l’organisation, a insisté pour que les deux généraux soient chassés de leurs postes et arrêtés pour les crimes qu’ils ont commis contre la révolution. Mais en fin de compte, un compromis a été trouvé afin de leur assurer une sortie honorable. C’est ce qui explique la décision de leur accorder la médaille du Nil et de les nommer conseillers militaires du président. Un poste, qu’ils refuseront probablement d’occuper».
L’équilibre maintenu dans l’armée
Pour remplacer Tantawi, un membre du conseil militaire, le général Abdel Fattah el-Sissi, a été choisi, alors qu’Anan a été remplacé par le général Sedki Sobhi Sayyed. Ce choix reflète le souci du président de maintenir un certain équilibre au sein de l’institution militaire, puisque le premier est considéré comme étant proche des Frères musulmans, alors que le second est l’une des étoiles montantes de l’armée. Alors que les commandants des forces navales, terrestres et aériennes ont été limogés, le général Mohammad el-Assar, l’un des porte-parole des généraux, a été promu au rang de vice-ministre de la Défense. Ce dernier a d’ailleurs été très reconnaissant, assurant que les décisions présidentielles étaient en règle et qu’elles avaient été prises après consultation de l’état-major de l’armée, plus précisément avec son président le maréchal Tantawi. Le choix d’Assar n’est pas anodin, car l’homme est chargé des relations avec l’Administration américaine et sa promotion vise à rassurer la Maison-Blanche et le Pentagone quant aux intentions des islamistes.
Israël observe avec inquiétude ces remaniements, vu que les relations qu’il maintenait depuis de longues années avec Tantawi étaient très étroites. Ce développement est d’autant plus inquiétant pour l’Etat hébreu qu’il survient au moment où la situation sécuritaire à la frontière commune avec l’Egypte est précaire et volatile.
Le choc politique provoqué par cette restructuration a poussé les analystes à imaginer les scénarios les plus surprenants. Ainsi, selon des experts, le président Morsi aurait déjoué un coup d’Etat militaire qui devait avoir lieu le 24 août. En effet, un ancien député proche de Tantawi, nommé Mohammad Abou Hamed, avait multiplié les appels à incendier toutes les permanences des Frères musulmans et à chasser le président de son palais en fixant les 24 et 25 août, dates prévues pour ce soulèvement populaire. Ont suivies plusieurs attaques contre des bureaux du parti Justice et Liberté, sans que les forces de l’ordre n’interviennent. Ce développement a inquiété les leaders des Ikhwan qui auraient contacté le commandement de l’armée pour faire pression sur son protégé afin qu’il se rétracte, mais en vain. Avec l’approche de cette date, et suite à l’attaque du Sinaï et au comportement hautain des généraux vis-à-vis du président, la décision de réagir a été prise. C’est la même analyse présentée par le journaliste égyptien Hamdi Kandil, qui a révélé que «le président a monté un coup d’état civil pour faire avorter le coup militaire qui était en voie de préparation, visant à instaurer un régime militaire».
Nomination d’un vice-président
Ce remaniement au sein de l’armée ne devrait cependant pas occulter une autre décision très importante prise par le Mohammad Morsi: la nomination d’un vice-président. Alors que les observateurs s’attendaient à la nomination de trois vice-présidents, dont une femme et un copte, Morsi a choisi le juge Mahmoud Makki comme numéro deux. L’homme n’est pas un inconnu. Non seulement il s’était fait connaître par son opposition aux fraudes massives du régime Moubarak lors des élections de 2005, mais de plus, il était le candidat favori des Ikhwan pour la présidence en 2012. Le magistrat aurait décliné cette offre, poussant les Frères à présenter Khayrat al-Chater. Cet ancien officier des services de renseignements est aussi le frère de l’actuel ministre de la Justice Ahmad Makki. Morsi, qui avait déçu par son choix du Premier ministre, semble avoir mieux choisi cette fois-ci, bien que la nomination d’un proche des Frères musulmans à ce poste-clé démontre que l’organisation ne compte pas partager le pouvoir avec quiconque, et surtout pas avec les forces libérales. Dans la foulée, Morsi a promulgué une nouvelle déclaration constitutionnelle lui attribuant tous les pouvoirs.
Les forces démocratiques qui ont accueilli ces décisions avec beaucoup de suspicion n’ont pas réussi à se faire entendre. Tous ces développements illustrent un attachement presque obsessionnel au pouvoir, d’autant que les Ikhwan assuraient quelques mois auparavant ne pas vouloir diriger le pays. Mais est-ce vraiment étonnant, sachant que toutes les promesses faites par les Frères à leurs alliés politiques depuis la révolution de janvier n’ont pas été tenues? Le docteur Ibrahim Darwich, considéré comme une des figures juridiques les plus respectées d’Egypte, a indiqué que «Morsi est sans aucun doute le président de la République le plus dangereux de notre histoire moderne puisque désormais, il détient les pouvoirs législatifs et exécutifs. Il faut aussi noter que d’un point de vue juridique, il n’a pas les pouvoirs de promulguer une déclaration constitutionnelle ni de limoger Tantawi».
Ce coup de force de la part des islamistes semble en tout cas avoir réussi, puisque les généraux se sont résignés et ont choisi d’obéir aux ordres présidentiels. La rue, malgré quelques remous, n’a pas vraiment réagi à cette annonce et les forces politiques ont encore une fois affiché leurs divisions. Mais une chose est sûre: les Frères musulmans qui tiennent à eux seuls toutes les rênes du pouvoir, n’ont plus aucune excuse. La dualité qui existait au plus haut échelon du pouvoir leur donnait une marge de manœuvre dont ils ne jouissent plus, et avec l’approche des élections législatives, la moindre erreur pourrait leur être fatale.
Walid Raad
Abdel Fattah el-Sissi
Le général Abdel Fattah el-Sissi, nommé ministre de la Défense, est âgé de 58 ans seulement alors que son prédécesseur en avait 78! Considéré comme un des généraux les plus proches des Frères musulmans, il avait été nommé au Conseil militaire suite à la révolution populaire pour satisfaire les Ikhwan. Issu d’une famille très religieuse, on lui avait reproché dans le passé le fait que sa femme et ses sœurs portaient le Niqab. Son nom avait été avancé pour occuper ce poste suite à la nomination de Hicham Kandil au poste de Premier ministre, mais à la dernière minute, Tantawi avait été confirmé. Le nouveau chef d’état-major, le général Sedki Sobhi Sayyed, est un choix très habile. L’homme est respecté, même vénéré au sein de l’institution militaire. Suite à la révolution égyptienne, alors qu’il occupait le poste de chef de la troisième armée située dans la région de Suez, il a brillé grâce à ses capacités militaires et politiques, réussissant à contenir les incidents dans la province tout en maintenant de bonnes relations avec tous les acteurs politiques. Son plus grand atout reste ses relations privilégiées avec Washington. Il a effectué plusieurs stages militaires aux Etats-Unis et a réussi à tisser des contacts avec ses hôtes.
Relations tumultueuses
Les relations entre le Conseil militaire égyptien au pouvoir depuis la chute de Hosni Moubarak, le 11 février 2011, et le président de la République, Mohammad Morsi, élu le 30 juin 2012, n’ont jamais été au beau fixe. Le conseil, qui est composé de 21 généraux représentant les différentes unités au sein de l’armée égyptienne, avait occupé le devant de la scène politique après la chute de l’ancien régime. Mais il n’a toujours pas été à la hauteur des événements. En effet, ces 17 derniers mois, le pays a fait face à des menaces économiques, sécuritaires, politiques et surtout sectaires, et à chaque fois, les généraux ne semblaient pas avoir les bons remèdes. Pire encore, plus le temps passait, plus il devenait clair qu’ils ne voulaient pas lâcher le pouvoir, même après l’élection d’un Parlement et d’un président de la République. L’alliance nouée entre les généraux et les Ikhwan durant le mois de février 2011 avait fini par se briser, ce qui expliquerait la décision de Morsi d’ordonner aux soldats de renter dans leurs casernes et de ne plus se mêler de politique.
Le trublion Mohammad Abou Hamed
Mohammad Abou Hamed n’est pas très connu en dehors de l’Egypte, mais cet ancien député membre du Parlement dissous par les militaires était un allié de poids des Frères musulmans puisqu’il soutenait l’imposition de la charia comme source unique de législation en Egypte. Farouche opposant aux généraux, ses attaques virulentes contre ces derniers avaient provoqué des remous. Mais à la surprise générale, il démissionne de son poste de vice-président du Parti les Egyptiens libres en début d’année, formant son propre parti le Mouvement des Egyptiens. Ce jeune homme âgé de 43 ans a alors décidé de changer d’alliance, devenant un des alliés les plus puissants du conseil militaire et de son chef le général Mohammad Hussein Tantawi. Ses attaques contre les Ikhwan se sont amplifiées, allant même jusqu’à demander que la confrérie soit dissoute, que ses biens soient confisqués et ses leaders arrêtés. Il a même choisi le jour J pour cette révolution populaire, le 24 août. Sa démarche a été, selon les analystes, l’une des raisons majeures qui ont poussé les Ikhwan à mener leur coup de force contre l’institution militaire. Sa dernière prise de position publique fut contre la visite menée par l’émir du Qatar au Caire.