C’est sous le grand titre de la coexistence que le patriarche maronite Mgr Béchara Raï a effectué une tournée de quatre jours dans les différents villages du Akkar au Nord.
La visite était axée sur le sens du Akkar, région de coexistence islamo-chrétienne, sur son intérêt majeur au vu des événements régionaux et des relations entre le Liban et la Syrie, ainsi que sur son importance en tant que réservoir de l’Armée libanaise, à l’heure où certains en contestent le rôle.
L’arrestation de l’ancien ministre et député Michel Samaha était omniprésente dans les esprits. D’après les informations qui ont filtré de l’enquête, des attentats à l’explosif étaient prévus au Akkar et devaient coïncider avec la visite du patriarche maronite qui avait décidé néanmoins de ne pas l’annuler, afin d’adresser un message bien clair: rien ne peut le dissuader de rencontrer ses fils dans une région qui souffre et ne saurait être fermée devant quiconque. Il est passé outre les menaces, et a tenu à ne rien modifier de son programme, sinon, augmenter ses visites dans les villages; ainsi, prévu pour trois jours, il a été prolongé d’une journée.
A la veille de la tournée, les responsables ont affirmé qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, et que l’Armée libanaise avait pris les mesures qui s’imposent afin que tout se déroule sans incidents. «Je place ma visite sous la protection de Notre-Dame de l’Assomption, Notre-Dame du Akkar qui a préservé cette région des explosions planifiées par les mains du mal et les consciences mortes», a déclaré Mgr Raï.
La visite patriarcale a contribué à calmer le jeu dans la région. Mgr Raï a rassuré, non seulement les chrétiens de la région mais aussi les musulmans. Il a mis l’accent sur l’importance de la coexistence. Il a affirmé que la région n’était pas abandonnée face aux répercussions possibles de la crise syrienne. La proximité de la région avec les frontières syriennes a permis au patriarche maronite d’être rassurant aussi pour les chrétiens en Syrie. Au Akkar, Mgr Raï a salué la solidarité humaine des habitants de la région à l’égard des réfugiés syriens.
Mais le facteur le plus significatif de la tournée fut la foule venue l’accueillir dès le premier jour. Les députés de la région étaient au rendez-vous. Ils n’ont pas manqué de saluer le rôle de l’armée. Après le bras de fer entre l’armée et le député Mouin Merhebi, c’est un hommage plein de sens du député Khaled Daher à l’armée et aux services sécuritaires pour leur rôle dans la protection de la nation. De son côté, le député Hadi Hobeiche a défini le «Akkar: terre de l’unité islamo-chrétienne et celle de l’armée».
Survenant à une période très délicate que traverse le pays, la visite est perçue autant par les dignitaires religieux que par les personnalités politiques de la région comme un blocage de toutes les voies de la discorde. Mgr Raï a placé sa visite dans son cadre: «Le Moyen-Orient est au rendez-vous avec le Liban pour que chrétiens et musulmans vivent le printemps de la dignité, de la fraternité et du vivre en commun», a affirmé Mgr Raï, mettant l’accent sur «la grande responsabilité que le Liban doit assumer».
Les accueils populaires réservés à Mgr Raï témoignaient de l’attente immense des habitants de la région. Après le froid qui a régné entre Bkerké et la rue sunnite à la suite des prises de position du patriarche qui le rapprochaient du 8 mars, l’accueil enthousiaste du Akkar a reflété une nette amélioration des relations entre le chef de l’Eglise maronite et les sunnites.
Le Courant du futur avait décidé de veiller à la réussite de la tournée, à travers un accueil chaleureux. Des banderoles accrochées un peu partout, souhaitant la bienvenue au maître de Bkerké. La visite avait été précédée par des contacts intensifs entre le patriarcat et le Courant du futur. L’ancien Premier ministre Saad Hariri avait donné ses instructions afin que tout soit mis en œuvre pour assurer la réussite de la visite.
Du côté chrétien, les Forces libanaises, les Kataëb comme le Courant patriotique libre étaient au rendez-vous du Akkar. Une visite qui a réalisé son objectif de rassurer tant les chrétiens que les musulmans de la région sur le fait qu’ils ne sont pas délaissés et que le patriarche ne se laisse pas intimider par les menaces sécuritaires. Mais ce fut aussi l’occasion d’appeler les Libanais à ne pas boycotter la table du dialogue initiée par le président Michel Sleiman. «Le responsable ne peut se permettre de boycotter ou de s’absenter. Il serait alors le premier perdant. La conférence du dialogue au palais présidentiel traite de questions nationales et non personnelles. De questions importantes dont dépendra le salut du Liban» a-t-il affirmé.
Un autre appel d’urgence est lancé. Le patriarche, revenant sur les inquiétudes des évêques maronites exprimées dans leur message du 1er août, a tiré la sonnette d’alarme quant à la situation économique, exhortant les experts à tracer les contours d’un mécanisme pour sortir de l’impasse, et l’Etat à assumer ses responsabilités, car «une chute économique fera tomber inéluctablement la politique», a affirmé Mgr Raï.
Une visite que les chrétiens et les musulmans du Akkar espéraient. Elle porte un message éloquent sur le rôle des chrétiens d’Orient «porteurs d’un message d’espérance dans cet Orient qui ploie sous la souffrance (…) et appelés à être les porte-étendards de l’espérance, fondement de l’Exhortation apostolique que le bienheureux, le pape Jean-Paul II, a offerte aux Libanais avec pour thème la nouvelle espérance pour le Liban», comme le rappelle le patriarche.
Arlette Kassas
Mesures de sécurité
La visite du patriarche au Akkar s’est effectuée au milieu de mesures de sécurité renforcées, assurées par les unités de l’armée déployées dans la région. Un communiqué du commandement de l’armée en faisait état. Sur le terrain, des blindés de l’armée circulaient dans toute la région.
Bakri menace le pape
En marge de la visite patriarcale au Akkar, le cheikh salafiste intégriste Omar Bakri a fortement critiqué la visite prévue du Pape Benoît XVI, le 14 septembre prochain, estimant que le pape a tenu des propos injurieux contre l’Islam et le prophète en septembre 2006 dans une conférence tenue au Bavaria. Il a souligné que les propos du Pape sont un crime, et les Ulémas et cheikhs devraient exiger des excuses, surtout que ses propos n’étaient pas spontanés, mais visaient à pousser l’Ouest contre l’Islam et les musulmans. Il a appelé les musulmans à refuser cette visite.
Le président de l’Université La Sagesse, Père Camille Moubarak, a répondu à ces menaces, affirmant que les propos du pape ont été expliqués et compris, et que Sa Béatitude n’a pas à demander la permission pour rencontrer ses fils, soulignant le caractère historique de cette visite.