L’arrestation de Michel Samaha, ancien ministre et homme de confiance de la Syrie au Liban a provoqué une véritable onde de choc sur la scène politique locale. La Syrie serait-elle en perte de vitesse au Pays du Cèdre? Analyse.
Le paysage politique a été bouleversé par trois événements majeurs ces deux dernières semaines: L’arrestation de Michel Samaha, suivie de l’annonce de nouvelles sanctions américaines contre le Hezbollah et un véritable séisme provoqué par le énième revirement politique de Walid Joumblatt qui s’est lancé dans une sévère diatribe contre ses partenaires politiques au gouvernement.
C’est l’arrestation, le 9 août de Samaha qui aura donné le coup d’envoi à cette nouvelle phase politique, nettement en défaveur des alliés de la Syrie au Liban. Côté Hezbollah, l’événement passe quasiment sous silence, mis à part, les déclarations du député Mohammad Raad. Une situation qui étonne les analystes politiques comme Andrew Tabler du Washington Institute for Near East Policy, un centre de réflexion américain.
«On assiste clairement à un changement de l’équilibre des forces dans la donne politique libanaise. Cela se traduit par un repositionnement des factions politiques et par une réactivation du rôle des forces sécuritaires comme les FSI (Forces de sécurité intérieure ayant procédé à l’arrestation de Samaha) ainsi que dans la justice libanaise (ayant inculpé l’ancien ministre) qui semblent avoir repris une certaine dose de courage», souligne Paul Salem, directeur du centre de réflexion américain Carnegie. «On a l’impression que l’Etat tente de recouvrer en partie sa souveraineté», précise le chercheur.
Le gouvernement actuel, formé en 2011, est considéré à tort ou à raison comme proche de l’axe irano-syrien. La révolte en Syrie a toutefois radicalisé les différents pôles du gouvernement, se traduisant par une absence de consensus autour des questions d’ordre stratégique et une érosion progressive de l’Etat.
Discours radicalisés
Ces bouleversements, selon Salem, se reflètent directement sur les différents acteurs politiques dont les prises de position en flèche se démarquent du discours ordinaire très conciliant vis-à-vis de la Syrie. Ainsi, cette semaine, au cours de sa tournée dans la région du Akkar, Mgr Raï a exprimé pour la première fois un appui explicite aux réfugiés syriens, tout en dénonçant «les mains du mal et les consciences mortes», derrière les tentatives d’attentat.
Najib Mikati, ami personnel du président Bachar el-Assad, est sorti de sa bonhommie habituelle, en évoquant de possibles sanctions contre la Syrie au cas où son implication dans les attentats terroristes se confirmerait. «La justice ira jusqu’au bout dans ses investigations sur l’affaire de la tentative de déclencher des troubles au Liban, d’y semer la discorde et de poser des explosifs dans plusieurs régions», a déclaré le Premier ministre. «A la lumière des données et des résultats de l’enquête, nous prendrons la décision politique adéquate pour préserver la souveraineté du Liban et son indépendance et pour empêcher quiconque de mettre la sécurité des Libanais en danger».
Sanctions contre le Hezbollah
Mais l’affaire Samaha n’est pas la seule à infliger un revers à la coalition du 8 mars, intouchable jusqu’à présent de par son alliance avec Damas. En effet, au lendemain de l’emprisonnement de l’ancien ministre, le département du Trésor américain a annoncé de nouvelles sanctions contre le Hezbollah qui figure, depuis octobre 2001, sur la liste noire des organisations terroristes aux Etats-Unis, pour son rôle central dans la répression menée par le régime Assad en Syrie. Dans son communiqué, le Trésor américain a accusé le Hezbollah de «fournir de l’entraînement, des conseils et du soutien logistique» au gouvernement syrien dans sa répression du soulèvement populaire depuis mars 2011. Le Trésor estime également que le parti de Hassan Nasrallah a facilité la formation des forces gouvernementales syriennes par les Gardiens de la révolution iraniens et d’avoir joué un rôle important dans l’expulsion d’opposants syriens du Liban.
«La tournure du texte publié par le trésor est particulièrement intéressante puisqu’elle dénonce l’implication directe du Hezbollah dans les événements en Syrie. Ces sanctions auront, sans aucun doute, des répercussions importantes sur l’économie libanaise et notamment sur le secteur bancaire, elles sont extrêmement sérieuses», estime Tabler. Le crédit bancaire au secteur privé représente près de 80% du PIB libanais. Les banques libanaises possèdent également près de 140 milliards de dollars de dépôts. Des sanctions sur ce secteur considéré vital seraient certainement désastreuses.
Mais en fin de compte c’est Walid Joumblatt qui, le weekend dernier, finira par asséner un ultime coup au camp pro-syrien en mettant en cause son allié, le Hezbollah. «Il n’y a de place que pour un Etat unique, seul habilité à disposer de la décision de guerre et de paix afin de défendre le Liban et seulement le Liban», a-t-il dit, faisant allusion au Parti de Dieu. «Il n’est pas possible de continuer, sous le slogan «armée-peuple-résistance», à perpétuer ce partenariat confus aux dépens de l’Etat, de l’armée, de la sécurité, de l’économie et du destin», a ajouté le chef du Parti socialiste progressiste (PSP). «Je peux me tromper, mais j’affirme que si le camp adverse, c’est-à-dire le 8 mars avec ses anciens et nouveaux alliés, remporte les élections, il n’y aura de place ni pour le centrisme, ni pour le pluralisme ni pour la variété; pas de place pour la décision centrale de guerre et de paix au Liban hors de l’axe iranien et de ce qui reste du régime syrien. Il n’y aura pas de place pour l’Etat de droit et le monopole exclusif de la force aux mains de l’armée et des FSI, pas de place pour une justice indépendante, un président indépendant et une armée indépendante», a-t-il mis en garde.
Ces multiples déflagrations politiques auront très certainement des répercussions sur l’opinion publique et la scène locale. Comment se traduiront-elles sur les élections de 2013? «Cela dépendra de plusieurs facteurs et notamment des forces locales au niveau des circonscriptions», argumente Salem. Une possible chute du régime Assad aurait également une incidence sur la capacité du 8 mars à maintenir son hégémonie politique mais sans toutefois l’affaiblir complètement. Donc pas de changement drastique à court terme, à part une éventuelle mise en péril du gouvernement actuel qui pourrait être amené à démissionner.
«Aucune faction n’est toutefois en mesure de contraindre le Hezbollah à abandonner la formule «Etat-Résistance» qu’il défend. Les réunions de dialogue, dans ces circonstances, seront toujours torpillées par le problème des armes, et le Hezbollah s’accrochera sans doute au statu quo actuel», conclut Salem.
Mona Alami
Les déclarations de Joumblatt
C’est au cours d’un iftar à Semquaniyé, dans le Chouf, que. Joumblat a lâché la bombe. Dans son discours, le chef du PSP a dénoncé «la barbarie du régime (syrien) face aux hommes et à la pierre, face à l’homme syrien et à la civilisation unique de Syrie qui a dépassé toutes les limites de l’imagination. Pour ce qui est de la Résistance, le député a reconnu le droit du Liban de libérer les fermes de Chébaa et les collines de Kfarchouba, mais «après la délimitation et le tracé de la frontière dans ces régions et ailleurs» tout en ajoutant: «Non à la libération pour le plaisir de la libération, au service d’autres pays que le Liban ou même aux dépens du Liban. Le leader druze a également insisté sur le fait que l’Armée libanaise ne manquait pas de compétence et de professionnalisme pour intégrer les armes de la Résistance de façon progressive.
Mgr Raï au Akkar
Message de paix dans une région tourmentée
C’est sous le grand titre de la coexistence que le patriarche maronite Mgr Béchara Raï a effectué une tournée de quatre jours dans les différents villages du Akkar au Nord.
La visite était axée sur le sens du Akkar, région de coexistence islamo-chrétienne, sur son intérêt majeur au vu des événements régionaux et des relations entre le Liban et la Syrie, ainsi que sur son importance en tant que réservoir de l’Armée libanaise, à l’heure où certains en contestent le rôle.
L’arrestation de l’ancien ministre et député Michel Samaha était omniprésente dans les esprits. D’après les informations qui ont filtré de l’enquête, des attentats à l’explosif étaient prévus au Akkar et devaient coïncider avec la visite du patriarche maronite qui avait décidé néanmoins de ne pas l’annuler, afin d’adresser un message bien clair: rien ne peut le dissuader de rencontrer ses fils dans une région qui souffre et ne saurait être fermée devant quiconque. Il est passé outre les menaces, et a tenu à ne rien modifier de son programme, sinon, augmenter ses visites dans les villages; ainsi, prévu pour trois jours, il a été prolongé d’une journée.
A la veille de la tournée, les responsables ont affirmé qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, et que l’Armée libanaise avait pris les mesures qui s’imposent afin que tout se déroule sans incidents. «Je place ma visite sous la protection de Notre-Dame de l’Assomption, Notre-Dame du Akkar qui a préservé cette région des explosions planifiées par les mains du mal et les consciences mortes», a déclaré Mgr Raï.
La visite patriarcale a contribué à calmer le jeu dans la région. Mgr Raï a rassuré, non seulement les chrétiens de la région mais aussi les musulmans. Il a mis l’accent sur l’importance de la coexistence. Il a affirmé que la région n’était pas abandonnée face aux répercussions possibles de la crise syrienne. La proximité de la région avec les frontières syriennes a permis au patriarche maronite d’être rassurant aussi pour les chrétiens en Syrie. Au Akkar, Mgr Raï a salué la solidarité humaine des habitants de la région à l’égard des réfugiés syriens.
Mais le facteur le plus significatif de la tournée fut la foule venue l’accueillir dès le premier jour. Les députés de la région étaient au rendez-vous. Ils n’ont pas manqué de saluer le rôle de l’armée. Après le bras de fer entre l’armée et le député Mouin Merhebi, c’est un hommage plein de sens du député Khaled Daher à l’armée et aux services sécuritaires pour leur rôle dans la protection de la nation. De son côté, le député Hadi Hobeiche a défini le «Akkar: terre de l’unité islamo-chrétienne et celle de l’armée».
Survenant à une période très délicate que traverse le pays, la visite est perçue autant par les dignitaires religieux que par les personnalités politiques de la région comme un blocage de toutes les voies de la discorde. Mgr Raï a placé sa visite dans son cadre: «Le Moyen-Orient est au rendez-vous avec le Liban pour que chrétiens et musulmans vivent le printemps de la dignité, de la fraternité et du vivre en commun», a affirmé Mgr Raï, mettant l’accent sur «la grande responsabilité que le Liban doit assumer».
Les accueils populaires réservés à Mgr Raï témoignaient de l’attente immense des habitants de la région. Après le froid qui a régné entre Bkerké et la rue sunnite à la suite des prises de position du patriarche qui le rapprochaient du 8 mars, l’accueil enthousiaste du Akkar a reflété une nette amélioration des relations entre le chef de l’Eglise maronite et les sunnites.
Le Courant du futur avait décidé de veiller à la réussite de la tournée, à travers un accueil chaleureux. Des banderoles accrochées un peu partout, souhaitant la bienvenue au maître de Bkerké. La visite avait été précédée par des contacts intensifs entre le patriarcat et le Courant du futur. L’ancien Premier ministre Saad Hariri avait donné ses instructions afin que tout soit mis en œuvre pour assurer la réussite de la visite.
Du côté chrétien, les Forces libanaises, les Kataëb comme le Courant patriotique libre étaient au rendez-vous du Akkar. Une visite qui a réalisé son objectif de rassurer tant les chrétiens que les musulmans de la région sur le fait qu’ils ne sont pas délaissés et que le patriarche ne se laisse pas intimider par les menaces sécuritaires. Mais ce fut aussi l’occasion d’appeler les Libanais à ne pas boycotter la table du dialogue initiée par le président Michel Sleiman. «Le responsable ne peut se permettre de boycotter ou de s’absenter. Il serait alors le premier perdant. La conférence du dialogue au palais présidentiel traite de questions nationales et non personnelles. De questions importantes dont dépendra le salut du Liban» a-t-il affirmé.
Un autre appel d’urgence est lancé. Le patriarche, revenant sur les inquiétudes des évêques maronites exprimées dans leur message du 1er août, a tiré la sonnette d’alarme quant à la situation économique, exhortant les experts à tracer les contours d’un mécanisme pour sortir de l’impasse, et l’Etat à assumer ses responsabilités, car «une chute économique fera tomber inéluctablement la politique», a affirmé Mgr Raï.
Une visite que les chrétiens et les musulmans du Akkar espéraient. Elle porte un message éloquent sur le rôle des chrétiens d’Orient «porteurs d’un message d’espérance dans cet Orient qui ploie sous la souffrance (…) et appelés à être les porte-étendards de l’espérance, fondement de l’Exhortation apostolique que le bienheureux, le pape Jean-Paul II, a offerte aux Libanais avec pour thème la nouvelle espérance pour le Liban», comme le rappelle le patriarche.
Arlette Kassas
Mesures de sécurité
La visite du patriarche au Akkar s’est effectuée au milieu de mesures de sécurité renforcées, assurées par les unités de l’armée déployées dans la région. Un communiqué du commandement de l’armée en faisait état. Sur le terrain, des blindés de l’armée circulaient dans toute la région.
Bakri menace le pape
En marge de la visite patriarcale au Akkar, le cheikh salafiste intégriste Omar Bakri a fortement critiqué la visite prévue du Pape Benoît XVI, le 14 septembre prochain, estimant que le pape a tenu des propos injurieux contre l’Islam et le prophète en septembre 2006 dans une conférence tenue au Bavaria. Il a souligné que les propos du Pape sont un crime, et les Ulémas et cheikhs devraient exiger des excuses, surtout que ses propos n’étaient pas spontanés, mais visaient à pousser l’Ouest contre l’Islam et les musulmans. Il a appelé les musulmans à refuser cette visite.
Le président de l’Université La Sagesse, Père Camille Moubarak, a répondu à ces menaces, affirmant que les propos du pape ont été expliqués et compris, et que Sa Béatitude n’a pas à demander la permission pour rencontrer ses fils, soulignant le caractère historique de cette visite.