Considérée comme le plus vieux métier du monde, la prostitution est définie comme l’échange d’activités sexuelles contre rétributions, sans discrimination et sans plaisir. Au Liban, elle se confinait surtout dans les endroits fermés -bars, hôtels, centres de massage- Désormais, elle sort dans les rues et touche adultes et adolescents, voire enfants.
La crise économique, le chômage, l’exclusion… interviennent dans l’augmentation constante du nombre de prostitués. Les amateurs du sexe tarifés connaissent les bars et les hôtels, les centres de massage et les appartements privés où ils peuvent donner libre cours à leurs fantasmes. Actuellement, un nouveau phénomène prend de plus en plus d’ampleur: c’est la prostitution de rue. Ce type de sollicitation constitue, pour ceux qui cherchent un plaisir vite fait à un prix défiant toute concurrence, l’un des moyens privilégiés pour rencontrer les clients potentiels. Ce genre de prostitution est pratiqué aussi bien par des Libanais que par des étrangers, se trouvant au Liban, ainsi que des femmes, des hommes, des jeunes filles, de jeunes garçons et, parfois même des enfants.
Dans les ruelles de Nabaa, Bourj Hammoud, Dora, Sabra et Chatila, Dekouané, Ouzaï, Ramlet el-Baïda, Hamra, Chiyah, Aïn el-Remmané, Tripoli, Saïda, Bhamdoun, Aley… et sur les principales artères, reliant les régions entre elles, c’est désormais un racolage sur la voie publique. Les prostitués -hommes et femmes- sillonnent les rues de jour comme de nuit. La proie repérée, ils foncent et se jettent, presque, devant la voiture pour annoncer sans détours leurs tarifs et les prestations qu’ils proposent, faisant fi des risques d’autant que, souvent, ces prostitués viennent des pays arabes, mais aussi du Sri Lanka, d’Ethiopie et des Philippines et que leurs papiers ne sont pas en règle.
En ce qui concerne la prostitution des adultes, il y a deux types de prostitués. Ceux qui travaillent pour leur propre compte et se déplacent sans cesse pour ne pas être repérés par les «mafias» régionales, avec lesquelles ils devraient partager leurs gains, et ceux qui opèrent sous le contrôle de proxénètes, ces derniers pouvant être, par exemple, l’un des membres de la famille.
Une jeune prostituée témoigne
Nous avons repéré Hala dans l’artère principale menant à Rabié. Parfaitement maquillée et au look sexy, qui ne laisse aucun doute sur ses intentions, elle s’est approchée sur un simple signe de la voiture dans laquelle nous nous trouvions. Après maints pourparlers concernant le tarif, elle grimpe sur la banquette arrière de la voiture et nous explique sans ambages et sans aucune pudeur les prestations qu’elle est capable d’offrir et le temps qu’elle est prête à accorder en contrepartie des 50 dollars demandés. Toutefois, au fil de la conversation, elle comprend que c’est sa personne, son expérience de prostituée, qui nous intéresse.
«J’ai 20 ans, dit-elle d’une toute petite voix. Et si je me prostitue, c’est que ma mère me l’a demandé. Mon père est au chômage, mes quatre frères et sœurs crèvent de faim. Ma mère fait le ménage dans les maisons. J’ai été une fois l’aider dans l’une des somptueuses maisons de la région. Le propriétaire des lieux a flashé sur moi et lui a proposé une belle somme d’argent pour un simple massage que je lui ferai. Elle n’a pas hésité à me pousser à accepter. Depuis ce jour, elle m’oblige à racoler des clients dans la rue. Quand je rentre bredouille, elle refuse de me laisser entrer à la maison», nous confie la jeune femme.
La prostitution au masculin
Il y a ceux, qu’on appelle gigolos, qui vendent leurs charmes à des femmes en proie à la solitude et d’autres qui offrent leurs services à d’autres hommes. Là aussi, le prostitué se trouve face à une alternative: soit travailler indépendamment de tout réseau, soit avoir un proxénète auquel il doit remettre une partie de ses gains contre une certaine protection. Ce type de prostitution fonctionne de bouche à oreille. Les clients savent que ces hommes, debout sur les bords de routes ou qui tentent de faire de l’autostop, sont prêts à tout pour une poignée de dollars.
Avec son corps fluet et sa démarche déhanchée, Hamed attire les hommes depuis son plus jeune âge. Son homosexualité découverte à l’adolescence lui a valu le rejet de son milieu familial qui ne cesse de le harceler et de le traiter de «femmelette». Il se noie alors dans la drogue, et sa consommation quotidienne est si importante que son métier de coiffeur n’arrive pas à lui assurer l’argent dont il a besoin. Il a donc décidé de livrer de temps en temps son corps aux hommes qui le désirent. Nous l’avons découvert un soir, au tournant d’une ruelle de Dekouané.
«Tout a commencé il y a dix ans. Je rentrais à pied chez moi de mon salon de coiffure. Un automobiliste propose de me raccompagner. Il a aussitôt posé sa main sur ma cuisse. Au début, ça m’a choqué, voire dégoûté. Il a sorti 50 dollars de sa poche et je me suis dit pourquoi pas? Toute l’affaire a pris dix minutes et m’a donné envie de recommencer. Ma clientèle? Elle est principalement constituée de Libanais, pour la plupart mariés. C’est pourquoi, ils préfèrent s’adresser à des gens comme moi dans la rue. C’est discret, rapide et bon marché. Ils ne risquent pas de se faire prendre. Tout se passe en voiture, loin des yeux indiscrets. Parfois, j’invite certains chez moi et je le leur fais payer cher. Cela fait dix ans que je fais ce métier. Toutefois, je ne me suis jamais laissé prendre par la police des mœurs, parce que je change régulièrement de ruelle», précise Hamed.
Et les mineurs?
La rue étant un milieu menaçant, dangereux et souvent même cruel, voir des enfants déambuler entre les voitures est révoltant. Que serait-ce lorsqu’on apprend par les ONG que la plupart de ces «mendiants» sont des prostitués lancés sur le marché par des proxénètes qui les ont littéralement achetés à leurs parents? Ces mineurs sont surtout appréciés par la clientèle arabe, parfois libanaise. Quoique le Liban ait ratifié la charte des droits de l’enfant, la mafia qui les fait travailler est puissante et serait, dit-on, protégée par certains dans les services de sécurité grassement payés. Nombreux sont les enfants qui viennent des quartiers très défavorisés, mais aussi des camps palestiniens. Ils déambulent dans les rues en mendiant. Mais lorsqu’un client se présente, il leur demande d’appeler leur «dealer» et c’est avec ce dernier -souvent un membre de la famille- que l’échange a lieu en toute impunité. Le client paie, prend l’enfant, abuse de lui et le jette dans la rue sans être inquiété par quiconque.
Il faut savoir que, lorsqu’un cas de prostitution enfantine est déclaré à la brigade des mœurs, elle ne reste pas indifférente. Elle prend les mesures nécessaires pour le mettre à l’abri et le protéger. Elle mène une enquête pour découvrir le responsable de sa prostitution. Le proxénète est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans. Danièle Gergès
Prostitution et santé
La consommation de drogue et d’alcool est souvent le lot des prostitués. Des horaires déréglés, une alimentation carencée ou anarchique, une consommation excessive de tabac, les violences infligées par les proxénètes, mais aussi par certains clients et certains parents, autant de facteurs qui contribuent à mettre leur santé en péril. Sans compter la multiplication des relations sexuelles, les grossesses indésirables, les avortements et les risques de contracter des maladies sexuellement transmissibles puisque, d’une part, il est difficile de contrôler la prostitution de rue, donc de faire les tests médicaux nécessaires et d’expliquer les mesures de sécurité à prendre. D’autre part, certains clients paient plus que le tarif demandé pour une relation sexuelle sans protection.
Que dit la loi?
Selon l’article 523 du Code pénal, femmes et hommes sont égaux, devant la loi, et toute personne qui pratique la prostitution ou l’encourage, est passible de prison pour une période allant de un à douze mois. Mais, en fait, lorsque la police des mœurs fait des descentes et prend des couples en flagrant délit, c’est la prostituée qui est arrêtée, alors que le client s’en sort, en général, sans problème majeur. Les prostituées sont détenues à la prison de Baabda. Si elles sont installées à leur propre compte, elles risquent de croupir longtemps en tôle. Quand elles font partie d’un réseau, le proxénète s’arrange pour les en sortir et les ramener au travail où elles reprennent leurs racolages impunément.
Quant à la prostitution masculine, elle est sévèrement punie. L’article 534 du Code pénal prévoit un an d’emprisonnement pour toute «conjonction charnelle contre l’ordre de la nature».
Les droits de l’enfant
En 1991, le gouvernement a ratifié la charte des droits de l’enfant et s’est ainsi engagé à adopter les normes internationales en ce qui concerne la protection des enfants contre toute violence, agression ou exploitation sexuelle. D’autre part, les campagnes de prévention se multiplient, les organisations non gouvernementales (ONG) se démènent et les médias dénoncent avec virulence le trafic d’enfants.