Alors qu’une enquête est en cours, la vive polémique autour de l’attaque, aujourd’hui avérée, du convoi de Michel Aoun témoigne de l’extrême polarisation du pays. A l’ironie du 14 mars, répondent les accusations directes du CPL. Dans le contexte extrêmement tendu du moment, et à moins d’un an des élections législatives, les griffes sont acérées.
Ce samedi 22 septembre, en fin de soirée, le leader du Courant patriotique libre (CPL) achève sa tournée dans la région de Jezzine. Il est attendu le soir même à Batroun pour un dîner populaire. Comme tous les leaders politiques du pays, lorsque le général est en déplacement, il est accompagné d’un important dispositif de sécurité. Pour les trajets, dits à risque, une trentaine de voitures, dont plusieurs blindées, sont mobilisées. Le service d’ordre a mis en place quatre convois, à l’occasion de son déplacement à Jezzine. L’un a pour fonction de protéger le général, les trois autres font, dans le jargon sécuritaire, office de leurres. Ce samedi, l’un des convois fictifs, composé de neuf voitures, quitte Jezzine aux alentours de 17h45 vers Saïda. A 18h18, alors que le convoi s’engage sur le rond-point de la mosquée Bahaeddine Hariri, à 500 mètres de la bretelle de l’autoroute Saïda-Beyrouth qui enjambe le stade municipal, trois coups de feu retentissent. Les passagers du quatrième véhicule ont senti quelque chose. Le superviseur du service d’ordre du général est prévenu. Il demandera au convoi de poursuivre sa route jusqu’à Rabié où il arrivera une heure plus tard, vers 19h30.
Le doute, dès les premiers instants
Alors qu’à Jezzine, les responsables de la sécurité du leader du CPL préviennent dès 18h20 le directeur des services de renseignements de la circonscription, le lieutenant-colonel Jihad Khazen et le général de brigade Nabil Abou Saleh, commandant de la première brigade chargée de la protection du Sud, au domicile de Michel Aoun, ceux qui composaient le convoi effectuent les premières constatations. Un impact de balles est trouvé sur la quatrième voiture, une 4×4 BMW noire de type X-5. D’après les observations des experts de la police judiciaire dépêchés à Rabié, la balle a visiblement traversé la portière arrière droite avant de ricocher sur l’habitacle pour se loger dans le rembourrage du siège passager avant.
A Saïda, sur ordre du procureur de la République Samir Hammoud, le procureur de Saïda, Samih Hajj, s’est rendu sur les lieux de l’attaque où le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a dépêché un commando de police. Un immeuble en construction, à quelques mètres du rond-point, attire rapidement l’attention des enquêteurs. Le convoi de Aoun quittera Jezzine aux alentours de 19h20 et prendra une autre route, celle qui passe par le village de Joun, à la frontière entre les circonscriptions du Sud et du Chouf.
L’information, révélée dès 19h30 par certains médias, a été démentie jusqu’à 20h30 par le CPL. La direction du parti expliquera qu’il a préféré attendre que Michel Aoun quitte la région pour confirmer la nouvelle. D’ailleurs, à Rabié, on continue à s’interroger sur la source qui a aussi vite vendu la mèche aux médias. Autre point d’interrogation soulevé par le parti, le communiqué de la section du Courant du futur de Saïda qui a rapidement démenti la véracité de toutes ces informations. Certains mettent en avant la présence massive de caméras de surveillance, autour de la mosquée et des centres commerciaux qui balisent le secteur, pour mettre en doute le scénario des autorités et du CPL. Un argument de plus pour le parti aouniste. «Certaines factions cherchent à m’assassiner parce qu’elles ont échoué à me liquider politiquement et moralement». Depuis son retour au Liban, Michel Aoun se dit menacé. Il pense que cette balle qui a fini dans le siège avant de la BMW lui était destinée. A ses yeux, il a échappé samedi à sa quatrième tentative d’assassinat (voir encadré). «Ce n’est pas un message que l’on a voulu m’envoyer. Dans une voiture, la personne que l’on veut protéger s’assoit généralement au milieu. C’est moi qu’on visait», expliquait-il mardi après la réunion hebdomadaire des députés de son bloc. «Cette voiture aurait pu ne pas être blindée. Le convoi aurait pu s’arrêter et tomber dans une embuscade. L’opération a été conduite par une personne intelligente».
Les trois suspects du CPL
Son premier suspect? Sans aucun doute les services de renseignements des FSI. Depuis plusieurs années, elles sont la cible privilégiée du CPL qui met en cause leur autonomie hors de contrôle et leur influence tentaculaire. Pour Aoun, elles forment une organisation hors-sol qui a les capacités de commettre ce genre d’actes. L’autre cible est politique. Le député du Metn, Nabil Nicolas, a clairement accusé le Courant du futur d’être impliqué d’une manière ou d’une autre dans cette attaque. A Batroun, le leader du CPL a mis en cause «les mafieux et les corrompus». Le fait que le Courant du futur ait officiellement appelé «les services de sécurité et les autorités judiciaires à intensifier leurs recherches pour découvrir les circonstances de cette affaire et informer les citoyens de ce qui s’est réellement produit» n’atténue que très peu les suspicions de la base du parti.
L’autre suspect mis en lumière est la mouvance salafiste personnalisée par Ahmad el-Assir. La veille de la tournée de Michel Aoun dans le Sud, l’imam de la mosquée Bilal Ben Rabbah d’Ebra organisait un rassemblement ouvert sur cette même route pour protester contre le film Innocence of Muslims. Ce mardi, il organisait une conférence de presse dans laquelle il exprimait son sentiment sur cette affaire. «Cette tentative d’assassinat, si les informations sont confirmées, a-t-elle un rapport avec le discours incendiaire que le général a tenu à Jezzine contre les sunnites et les salafistes? Ou plutôt avec l’échec ou le succès de la visite du général?» Il poursuit: «Cette affaire a lancé la campagne électorale, et tous les partis font tout pour surexciter les foules». C’est en tout cas ce qu’expliquent, de manière anonyme, nombre de responsables de l’opposition qui estiment que le leader du CPL utilise cette histoire pour remonter son handicap électoral. Un argument balayé d’une main ferme par Michel Aoun.
L’attaque qui l’a visé est la troisième qui concerne un leader chrétien. Le 4 avril dernier, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a échappé à un attentat. Il avait d’ailleurs accusé le Hezbollah et le «commandement aouniste» d’être impliqués dans cette opération. Le 5 juillet, c’était au tour du député Boutros Harb d’échapper à une attaque dans son bureau beyrouthin.
A l’heure où ces lignes sont écrites, les derniers éléments de l’enquête montrent que la balle qui a été retrouvée à l’intérieur de la BMW aurait pu être tirée d’une arme de type Kalachnikov.
Julien Abi-Ramia
Trois autres tentatives d’assassinat
Lors de ses récentes interventions, Michel Aoun a déclaré avoir échappé à trois autres attentats contre sa personne.
La première a eu lieu à Aley en septembre 1983, lorsque la huitième brigade qu’il dirigeait combattait les milices du PSP (Parti socialiste progressiste). La deuxième a eu lieu pendant la guerre de libération, en mai 1989. Lors d’un déplacement qui l’emmenait à Chypre, l’hélicoptère qui le transporte est touché par un missile. La troisième a lieu au «Palais du Peuple» à Baabda en octobre 1990 lorsqu’un militant du parti communiste, François Halal, sur ordre du secrétaire général du parti Baas au Liban, tente de tirer sur Aoun qui s’exprimait devant la foule. Ce jour-là, Halal sera arrêté par des partisans du général.