Magazine Le Mensuel

Nº 2865 du vendredi 5 octobre 2012

Expositions

1946-1975. Les années Cénacle Histoire, mémoire et actualité

En 1946, naissait le Cénacle libanais sous l’impulsion du jeune journaliste Michel Asmar. Espace de parole libre et engagée, il allait devenir rapidement incontournable jusqu’à ce qu’en 1975 certains événements perturbent son activité. Trente-sept années plus tard, la fondation Cénacle Libanais le ressuscite à travers un livre, une exposition, et un programme culturel. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Retour sur trente années d’un intense  foisonnement culturel.  

Jusqu’en 1975, 413 conférenciers se sont succédé, devant un public pluriel: fidèles visiteurs d’un soir, politiques et artistes, personnalités et anonymes.  Symbole du dynamisme culturel beyrouthin, ce forum a accueilli des personnalités aussi diverses que Kamal Joumblatt, Pierre Lépine, l’Abbé Pierre, René Habachi, Moussa Sadr, Habib Bourguiba ou Leopold Sedar Senghor sur des sujets aussi variés que «le Liban et le monde arabe», «la civilisation phénicienne», «Einstein, l’homme et l’œuvre» ou «les raisons sociales de la délinquance et du crime». A travers leurs portraits, l’ouvrage leur rend hommage. Les 600 conférences sont reproduites. Le Beyrouth d’avant la guerre civile est reconstitué. Des images et des textes donnent les dernières clés au visiteur pour s’imprégner de «l’esprit cénacle». Pour ce travail, de nombreux universitaires et spécialistes ont apporté leur contribution. L’exposition présente les pages du livre agrandies et projetées sur des panneaux blancs. Mais un Cénacle sans conférence ne serait pas un Cénacle. Alors dans le même élan, chaque vendredi, un ou plusieurs experts interviendront sur les thèmes choisis (voir encadré).

«Ils ont dit le Liban…»
Jeudi 27 septembre, à l’occasion du lancement de ce programme culturel, des fragments de textes issus des conférences du Cénacle avaient déjà été mis en scène par le comédien Roger Assaf. Environ trois cents personnes assistaient à l’événement. Avec panache, cette interprétation a su remettre en relief «l’esprit cénacle» et ses particularismes. Alternant l’anglais, le français et l’arabe, les comédiens ont mis en exergue les spécificités culturelles libanaises. S’il n’était pas particulièrement motivé au départ par le projet, Roger Assaf nous confie qu’il s’est laissé convaincre par l’émotion des textes. «J’avais oublié que des gens écrivaient en rêvant d’un Liban. J’ai senti ces textes raisonnees et finalement très actuels dans leur vision politique. S’ils étaient dits et pensés avec optimisme, on les lit aujourd’hui avec un certain pessimisme. Tout ce qu’ils craignaient est arrivé. Dans un pays amnésique, où on veut rompre avec le passé, dans un pays qui ne donne aucune importance à la mémoire, ces écrits sont capitaux». Dans l’auditoire, l’émotion était palpable. On a vécu les textes dans ce qu’ils avaient de plus profond et des applaudissements, des rires ou des silences méditatifs ont entrecoupé la lecture. Fatiah, poétesse, était présente ce soir-là. Enthousiaste, elle nous explique: «C’est très positif, les textes nous exposent à un passé de discussions sérieuses, d’esprit patriotique national. Ce dynamisme est perdu maintenant, il est pourtant nécessaire d’y revenir».

Retour aux sources
Petits et grands, parents et amis, nostalgiques d’un passé qu’ils ont vu s’effondrer, ou curieux venus découvrir une Histoire qu’on oublie, tous sont sous le charme.  Michel, ingénieur, témoigne: «C’est une grande manifestation pour le Cénacle qui a produit, pendant trente ans, les meilleurs esprits. C’est un travail vraiment élogieux. Pour le Liban, c’est un retour aux sources, aux idées fondamentales sur lesquelles il s’est fondé. Ce soir, j’ai vraiment ressenti qu’elles étaient toujours là. Asmar était un grand rassembleur, un grand militant pour le futur, il a eu un grand mérite. Il était trop inquiet. Mais il avait toujours cet espoir de renouveau. Dans le travail que sa fille Renée a réalisé, je crois qu’il y a un message. Asmar n’est plus dans l’Histoire, il est dans le réel pour l’avenir. J’appartiens à l’école d’Asmar». Il ajoute: «Ces personnes sont parfois les tenants d’un sentiment nationaliste libanais profond à l’image de Saïd Akl. Elles montrent ainsi qu’on peut véhiculer ses idées par le progrès et l’intelligence plutôt que par la haine et par les armes. C’est aussi ce que le temps qui s’est écoulé depuis veut nous faire comprendre». On lit à ce propos plus loin sur un panneau, la méditation suivante signée Carla Yared. Si l’aventure n’a pas permis d’éviter la guerre civile, elle peut néanmoins être considérée comme une colonne vertébrale possible. Car comme dit Camus: Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais la tâche est peut-être plus grande, elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse».

Une vision du Liban
«Cette exposition nous fait revenir en arrière, j’ai connu M. Asmar quand j’étais étudiant en droit à l’université des Pères jésuites se souvient Rachid Jalkh, avocat à la cour. Sans exagérer, les conférences étaient attendues. C’était à chaque fois un grand moment de culture. Et quand je dis culture, je n’exclus rien, ni la politique, ni la musique, ni la littérature, ni la peinture, ni la physique, etc. Quand je vois tout cela, j’ai la nostalgie d’un Liban bafoué par les événements de 1975. Alors voilà, on essaie désormais de faire revivre ce Liban, tout en ayant l’espoir d’un monde plus neuf, plus électronique».  
Nous évoquons l’identité, nous évoquons le Liban alors qui mieux qu’Amin Maalouf pourrait conjuguer l’un et l’autre? Ses identités meurtrières nous invitent à la réflexion. «L’identité n’est pas acquise une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence».   
 Au bout de la visite, un texte d’Antoine Courban conclut: «ce Beyrouth d’hier, d’aujourd’hui et de toujours avait pour cœur le cénacle libanais car c’est là où la ville a pu montrer le meilleur d’elle-même, le chatoiement de l’urbanité, c’est-à-dire du multiple».
En voyant défiler cette époque d’intense bouillonnement, on pense à une génération qui la regrette et à une autre qui l’a presque effacée. Le Beyrouth de la culture est devenu le Beyrouth des loisirs. Le point commun? La ferveur.  «L’impatience de l’éternité au cœur du temps», disait René Habachi.

Antoine Wenisch

Agenda
Vendredi 5 octobre 19 h: rencontre avec les contributeurs et partenaires de l’événement.
Vendredi 13 octobre 19h conférence-débat.
«Les images de la ville à l’ère de la post-globalisation», avec Jad Tabet, architecte urbaniste.
Vendredi 20 octobre, 19 h, conférence-débat: «Etat de droit et espace public» avec Ibrahim Fadlallah, juriste, professeur émérite de l’université de Paris X; Ziad Baroud, avocat, ancien ministre de l’Intérieur; Talal Husseini,  secrétaire général du centre civil pour l’initiative nationale
Karim Kobeissi,  avocat et professeur.
Et toujours l’exposition dans l’espace intérieur de l’immeuble Lazarié accessible à toute heure jusqu’au vendredi 19 octobre. Un accueil est assuré entre 16h30 et 20h à la librairie où sont vendus le livre de l’exposition et les textes des conférences. Des visites organisées peuvent être programmées à tout moment de la journée.

 


 

Nizar Osman
The red in black
Jusqu’au 31 octobre à la Galerie Zamaan.

Libano-syrien, Nizar Osman, né à Beyrouth en 1974 nous présente là une très belle exposition. Journaliste de profession, c’est un artiste autodidacte vibrant, qui au fil des coups de pinceaux dévoilent ses émotions et ses points de vue. Ses portraits révèlent sa force technique. Sur des espaces monochromatiques, il peint des personnages emprunts d’un modernisme et d’un réalisme surprenants (un homme qui ressemble à un condamné, une dame de la société à l’écoute d’un journal, des turbans réalisés avec des journaux, etc.).  Cette exposition est une sorte d’avertissement audacieux à se méfier un tant soit peu de la presse. A ne pas rater! Une deuxième exposition très réussie pour cet artiste autodidacte!

C.T.D.   
 


 

 

 

 

 

Nayla Arida et Raissa Traboulsi
Animanimalism
Jusqu’au 27 octobre à la Galerie Dehab.

La Galerie Dehab présente les œuvres de deux créatrices de bijoux au talent certain. Ainsi, tout en préparant son diplôme en administration des affaires, Raïssa Traboulsi voulait être une créatrice de bijoux. Son diplôme en poche, elle rejoint un atelier où elle améliore son savoir-faire dans le domaine de la fabrication de bijoux. En parallèle, elle s’inscrit au DRH (Antwerp World Diamond Centre) afin d’obtenir un diplôme en diamants et pierres de couleur. Puis, elle s’envole pour New York, et rejoint le prestigieux Gemological Institute of America, où elle obtient son diplôme en conception de bijoux. La finition raffinée de sa ligne actuelle et ses designs créatifs ont permis à Raïssa de connaître beaucoup de succès. Ses pièces uniques sont magnifiques. Nayla Arida, quant à elle, travaillait pour une ligne libanaise de bijoux, puis a décidé de lancer ses propres créations. L’artiste puise son inspiration dans la nature. Ses bijoux entièrement faits à la main sont composées de pierres précieuses et semi-précieuses montées sur de l’or 18 carats. Jolies pièces!

C.T.D.     

 

Agenda

Roy Samaha. Une semaine au Caire.
Jusqu’au 5 octobre.

Serge Najjar.Lines within. Photos.
Jusqu’au 19 octobre à la Galerie Kettaneh Kunigk.

White wall. Grafittis street art.
Jusqu’au 3 novembre au Beirut Art Center

Angelika Von Schwedes.
Jusqu’au 14 octobre au Beirut Exhibition Center.

Khalil Saleeby.
Jusqu’au 30 novembre à l’AUB art Gallery.

Gabriel Kuri.
Jusqu’au 17 novembre à la Galerie Sfeir-Semler.

  

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