Pour l’inauguration de sa 20e édition, le Salon du livre a accueilli, le 26 octobre dernier, la ministre déléguée chargée de la Francophonie, Yamina Benguigui. Au cours de son séjour éclair, la ministre a accordé un entretien à Magazine.
Agenda de ministre. Cela va sans dire. La belle brune aux grandes lunettes noires, n’a pas chômé durant les deux premiers jours de l’Adha. Vendredi 26, Yamina Benguigui a inauguré le 20e Salon du livre francophone devant un parterre important, à la grande satisfaction de l’Institut français. En effet, vu les funestes événements qui ont frappé le pays, une semaine avant l’inauguration, l’organisation du troisième plus grand Salon du livre francophone au monde, ne tenait qu’à un fil. Loin de capituler, la grande majorité des invités ont brillé par leur présence, à l’instar de la ministre déléguée de la Francophonie, «très heureuse et honorée» d’ouvrir ce bal littéraire. «Le Salon du livre m’offre l’occasion de transmettre un message de solidarité, d’amitié et de confiance au peuple libanais et de réaffirmer nos liens très étroits», souligne-t-elle en référence à l’attentat du 19 octobre dernier. La venue de Benguigui est bien sûr l’occasion de revenir sur les tenants et aboutissants de la «francophonie», un terme parfois énigmatique.
«L’espace francophone ne passe pas que par Paris, il dépasse les oripeaux du colonialisme, affirme-t-elle. Le français se veut une langue solidaire». Française d’origine algérienne, réalisatrice et productrice émérite de documentaires, films et séries télévisées, la ministre s’est longtemps appliquée à traiter les thèmes de l’exil, de l’enracinement ou du pays d’accueil. Adjointe au maire de Paris en 2008, elle a été en charge des droits de l’Homme et de la lutte contre les discriminations. «Dans les années 60-70, le discours sur la francophonie était différent. On demandait à mes parents que je ne parle pas l’arabe, confie-t-elle. Mais nous avons changé. Nous avons compris l’importance de la langue maternelle que la francophonie d’aujourd’hui s’applique à mettre en valeur». Entre un entretien au Palais de Baabda, une visite au Centre culturel et un déjeuner de travail, la ministre accorde un entretien à Magazine, dans le salon ottoman de la Résidence des Pins. Elle est accompagnée de l’ambassadeur de France, Patrice Paoli. «Au Liban, le trilinguisme est un atout, présente-t-il. La francophonie, ce n’est pas défendre le français mais défendre le plurilinguisme. Le Liban est ainsi une sorte de laboratoire. Nous promouvons la langue française sans jamais la sortir du plurilinguisme». «C’est cette francophonie que je défends, reprend Yamina Benguigui, que le président François Hollande défend».
Lutter contre l’impunité
La ministre rentre du dernier sommet de la francophonie de Kinshasa, qui s’est tenu du 12 au 14 octobre dernier. Plus tôt dans la matinée, dans une conférence de presse, elle détaille les points essentiels. «Les résolutions ont tourné autour de la paix sur les conflits actuels et malheureusement en devenir. Nous avons débattu, avec des chefs d’Etat qui partagent la langue française, de comment se battre contre l’impunité. La francophonie devient de plus en plus politique», indique-t-elle.
La francophonie un outil politique mais également économique, culturel et social, comme l’atteste le plan de relance de la francophonie de la ministre, constitué de trois axes.
«Dans ce plan de relance, l’éducation est primordiale. Il faut renforcer l’apprentissage des langues, avec notamment la création de campus numériques avec la coopération de l’Agence universitaire de la francophonie, explique-t-elle. Ils ne coûtent pas grand-chose et représentent un grand intérêt pour la société». Yamina Benguigui met également l’accent sur l’importance d’accélérer la formation de professeurs de français pour avoir un meilleur enseignement et ainsi permettre une meilleure mobilité économique. Effectivement. «Il y a un travail à faire sur la jeunesse, insiste-t-elle. La francophonie se passe à l’intérieur des Nations unies. Il faut sensibiliser les jeunes à l’espace économique que représente la francophonie» et faire ainsi du français, un atout pour conquérir de nouveaux marchés. «Par exemple la République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone au monde, est en partenariat avec la Chine, mais ils ont des problèmes de communication. Etre un bon francophone a un intérêt économique, confirme la ministre. Il ne faut pas que le français soit uniquement la langue de l’élite, elle doit être égalitaire».
Le second point du plan de relance concerne la mobilité des artistes, écrivains et chercheurs. «Nous sommes encore loin du visa de la francophonie mais il faut pouvoir faciliter encore plus leurs déplacements», souligne-t-elle. Sans nul doute, le dernier volet du projet pour la francophonie est très cher à Yamina Benguigui: les femmes. «C’est une dimension nouvelle à l’instar de ONU Femmes, dont Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili, est la présidente», explique-t-elle. Notamment à travers un forum en 2013 qui se tiendra à Paris et dans une seconde ville francophone, elle souhaite identifier les problèmes des femmes dans l’espace francophone. «Les femmes ont subi une perte de leur droit, note-t-elle, due notamment au Printemps arabe». Mais pas seulement, la ministre reprend l’exemple des femmes victimes des conflits en République démocratique du Congo, précisément des rebelles du M23, ayant planifié le viol des femmes comme arme de guerre. «Et ça se passe dans l’espace francophone, dénonce-t-elle. Nous devons être vigilants. Si demain, nous ne faisons pas attention à cette perte de droit, nous ne pourrons plus défendre l’espace francophone. Nous voyons arriver un spectre dont on se croyait protégés». Benguigui évoque également les grands problèmes de santé, telles des mutilations et des excisions des femmes. «Il faut pouvoir former en langue française des sages-femmes, indique la ministre. On en revient toujours à la formation, que ce soit au niveau de la santé, de la culture ou des droits. Nous avons besoin de la solidarité dans l’espace francophone, c’est une résolution concrète».
Delphine Darmency
Les caricatures de Charlie Hebdo
Au regard des valeurs françaises que la francophonie souhaite véhiculer, la question de la liberté de la presse, concernant les récentes caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, se devait d’être évoquée. La ministre n’a pas hésité à répondre à Magazine sur ce sujet. «L’indépendance des écrivains, des journalistes est une valeur importante dans la francophonie. Mais libre à soi de savoir quand on est malveillant. Est-ce que l’on imaginerait faire des caricatures après un attentat? Je regrette que Charlie Hebdo n’ait pas évolué au rythme des mutations mondiales actuelles, à l’exemple notamment du Printemps arabe.
Une «briseuse de silence»
Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur et de l’ordre des Arts et des Lettres en 2003, Yamina Benguigui qui se présente comme «briseuse de silence et accoucheuse de mémoire», s’est illustrée notamment en réalisant le documentaire Mémoires d’immigrés en 1997, le long-métrage Inch’Allah dimanche en 2001 ou encore la série télévisée Aïcha en 2007. Après avoir été adjointe au maire de Paris en 2008, elle entre dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et François Hollande en mai 2012 en tant que ministre déléguée chargée de la Francophonie.