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Nº 2870 du vendredi 9 novembre 2012

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Exclusif. Le pape Tawadros II. «L’Eglise refusera que la charia soit la source unique de législation»

Le 4 novembre, l’Anba Tawadros est choisi pour être le 118e successeur de saint Marc, à la tête de l’Eglise Copte-orthodoxe. La veille, l’évêque général de Beheira, avait accordé une interview exclusive à Magazine. La situation des chrétiens d’Egypte, l’interdit de se rendre à Jérusalem, les relations avec l’islam et les mouvements islamistes, autant de questions évoquées.   

L’Eglise Copte-orthodoxe d’Egypte, la plus importante communauté chrétienne du Proche-Orient avec ses huit à dix millions de fidèles, a désormais un nouveau chef: l’évêque général Tawadros.
Le prélat nous reçoit à Mariout, ville située au sud-ouest d’Alexandrie, dans le monastère où il exerce sa mission depuis quinze ans. Long, mince, affable, le successeur de Chenouda III répond avec simplicité à toutes les questions. Né à Mansourah, dans le delta du Nil, le 4 novembre 1952, son élection au siège patriarcal coïncide donc avec son soixantième anniversaire.
Suivant une procédure adoptée en 1957, l’élection d’un patriarche se déroule en trois étapes. Au départ, un comité électoral formé de dix-huit personnalités, neuf évêques appartenant au Saint Synode et neuf membres du conseil communautaire, sélectionne cinq à sept candidats au siège patriarcal. En 2012, ils étaient dix-sept. Après un examen approfondi de leurs dossiers, et un long entretien avec chacun d’entre eux, le comité a retenu cinq candidatures: celles de deux évêques et de trois moines.
Par la suite, environ 2000 électeurs choisissent trois finalistes. Le 29 octobre, leur nombre s’élevait à 2411. Enfin, ultime étape, un enfant aux yeux bandés tire l’un des trois noms placés dans une urne de verre.  Le 4 novembre 2012, au cours d’une cérémonie grandiose en la cathédrale Saint-Marc du Caire, et devant des milliers de fidèles, le tirage au sort a désigné l’évêque Tawadros. Pour l’Eglise Copte-orthodoxe, c’est «le choix de Dieu».

Qui est Tawadros II
L’Anba (évêque) Tawadros est calme, serein, souriant. Il évoque son enfance à Mansourah, puis à Sohag, et enfin à Damanhour. «Mon père était ingénieur en superficies agricoles, d’où les déplacements».
C’est à Damanhour que naîtra sa première vocation: «Mon père avait un ulcère à l’estomac et, parfois, de sérieuses douleurs. Le médecin appelé d’urgence rédigeait une ordonnance. J’allais ensuite à la pharmacie voisine acheter les médicaments. Je voyais le pharmacien retirer des flacons, composer un mélange. Le remède soulageait mon père. J’avais sept ans, et j’ai retiré la certitude que le pharmacien avait le pouvoir de calmer la souffrance. J’ai décidé de devenir pharmacien. C’était mon rêve».
Le nouveau pape Copte a fait des études de pharmacie à l’université d’Alexandrie et a obtenu une bourse du Britain’s International Health Institute. Sa vocation réelle naîtra alors. «Je souhaitais devenir prêtre, mais ma mère était veuve et avait deux filles, j’étais le seul homme de la famille. Mon père spirituel m’a conseillé d’attendre le mariage de l’une de mes sœurs». Il poursuit avec humour: «J’ai attendu pendant 10 ans, 10 mois et 10 jours».
Il entre enfin au monastère en 1986. Ordonné prêtre, il s’occupe des jeunes. En 1997, sacré évêque, il prend le nom de Tawadros. Il sera nommé à Mariout, ce monastère où il nous reçoit et où il a été nommé plus tard évêque général de Beheira. Il y apprendra aussi, le 4 novembre, son élection au siège patriarcal. Selon la coutume, les trois finalistes n’assistent pas à la cérémonie d’élection. L’Anba Tawadros apprendra par la télévision qu’il est devenu  le 118e successeur de saint Marc.
Dans l’après-midi du 3 novembre, l’interview revêt un ton plus grave:
En tant que pape, quelle serait sa priorité? «Je voudrai confirmer le rôle spirituel de l’Eglise, explique-t-il. Elle a deux rôles, l’un est spirituel et l’autre social. Elle les exerce, mais les circonstances difficiles de ces dernières années ont créé une confusion entre les deux rôles. Je souhaite la rectifier».
Le pape Chenouda III a été accusé par de nombreux fidèles d’avoir joué un rôle politique qui n’était pas le sien. Mgr. Tawadros rectifie: «Il n’a pas choisi, on lui a imposé un rôle politique. Ces dernières décennies, l’Etat et les divers gouvernements ont marginalisé le rôle de l’Eglise et celui des chrétiens. L’Eglise a été contrainte d’assumer un rôle politique. Mais le plus souvent, le pape agissait en simple citoyen».

L’ambition du nouveau pape
Pour Mgr Tawadros, le pape Chenouda III a été un grand chef, très charismatique. Il souligne que sous son égide, l’Eglise Copte-orthodoxe a connu une grande expansion. Elle possède aujourd’hui 120 évêchés à travers le monde. Elu pape, il souhaiterait suivre le chemin tracé par Chenouda III et Cyrille VI, être leur héritier.
Le pape Chenouda III a interdit aux fidèles de se rendre à Jérusalem, en Terre sainte. Maintiendra-t-il cet interdit? «C’est un grand problème, répond Mgr Tawadros. Le traité de paix égypto-israélien de 1979 a établi une normalisation des relations entre les dirigeants des deux pays, mais pas entre les deux peuples. L’Egypte possède une majorité musulmane et une minorité chrétienne. Si la minorité initiait cette normalisation, ce serait une forme de trahison envers la société égyptienne. J’ajouterai que le Christ a vécu en deux lieux, la Palestine et l’Egypte, deux terres aussi saintes. Pourquoi se rendre à Jérusalem? Ce qui compte pour nous, c’est la terre sur laquelle a marché le Christ».
Que pense-t-il des conditions imposées en Egypte pour la construction d’une église? «Cela crée une sorte de chaos dans la société et c’est une contrainte pour les coptes, affirme-t-il. Nous demandons à l’Etat d’autoriser sans restriction la construction ou la restauration d’une église. Parfois, le permis de construire une église requiert vingt ans de démarches et je pourrai citer de nombreux exemples. Comment admettre au vingtième siècle une telle bureaucratie? La question, demeurée sans réponse, est celle de savoir en quoi la construction d’une église dérange l’Etat égyptien?».

Le pape et les jeunes
Le prélat a longuement œuvré avec les jeunes. Ils sont à ses yeux le pilier de l’avenir, mais depuis la révolution du 25 janvier 2011, il faut traiter avec eux d’une façon différente. «Il faut les écouter, discuter avec eux, essayer de les convaincre. On ne peut plus rien imposer», explique-t-il.
A-t-il des projets précis pour les jeunes? «Ce sont les piliers de l’avenir, il faut leur donner une très grande place, répond Mgr Tawadros. Nous disposons d’un évêché consacré aux jeunes, et dirigé par l’Anba Moussa et l’Anba Raphaël. Le rôle de l’Eglise est triple: spirituel, social et économique. Nous essayons d’enseigner aux jeunes les langues et les travaux manuels, afin qu’ils puissent bâtir des projets personnels. Un jeune qui a fait des années d’études et ne trouve pas de travail, est réduit au chômage. Un nombre élevé de chômeurs est un danger pour la société».
Le projet de la nouvelle Constitution est un sujet d’inquiétude pour les chrétiens. L’article 2 de 1971 stipule que la charia (droit coranique) est la source principale de la législation. Mais les salafistes, et certains Frères musulmans, veulent en faire la source unique des lois. Qu’en pense-t-il? «Nous avons de bonnes raisons de penser que l’article 2 de la Constitution de 1971 sera maintenu», assure le pape des Coptes. Mais si les salafistes obtenaient gain de cause, «l’Eglise refusera ce schéma et aura pour alliés les laïcs et les libéraux».

Les relations avec les musulmans
Quelles relations entretiennent en Egypte les musulmans et les chrétiens? «Elles sont excellentes, dit-il serein. Mon frère musulman ne peut pas se passer de moi et je ne peux pas vivre sans lui. Certains problèmes sont nés à partir de 1973, quand la politique de la «porte ouverte» a permis aux Egyptiens de travailler en Arabie saoudite. On pratique dans ce pays un islam wahhabite, radical. Mais cette tendance n’a pas grande place en Egypte où la majorité est modérée. J’avais à la faculté des camarades musulmans et nous sommes demeurés de bons amis». En tant que pape, sa relation avec l’islam sera «une relation de paix et de grand respect. Je me comporterai avec eux comme un citoyen égyptien, un serviteur de l’Etat».
Quoi qu’il en soit, le nouveau pape a la lourde tâche de prendre la tête d’une communauté inquiète face au progrès de l’islam politique, même si le président islamiste, Mohammad Morsi, a promis d’être «le président de tous les Egyptiens».
Tout juste après l’élection de l’évêque Tawadros, les messages de félicitations ont afflué. Il y a eu ceux du pape Benoît XVI et du président Morsi, puis celui du Parti de la justice et de la liberté, le bras politique des Frères musulmans, et bien d’autres témoignages d’amitié…

Denise Ammoun Le Caire

 


Une cérémonie grandiose
Le nouveau pape, Tawadros II, sera intronisé le dimanche 18 novembre au cours d’une cérémonie grandiose à la cathédrale Saint- Marc du Caire. Le président de la République a promis d’assister à la cérémonie et les millions de Coptes suivront ce moment historique à la télévision. Ils savent maintenant pour qui les cloches vont sonner et ils formulent des vœux de succès pour leur chef.

 

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