Magazine Le Mensuel

Nº 2871 du vendredi 16 novembre 2012

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Giuseppe Morabito. L’horizon pour seules limites

Nous avons beau, nous Libanais, nous sentir citoyens du monde, il est indéniable qu’avec les Italiens nous avons beaucoup d’affinités. Que ce soit notre tempérament méditerranéen ou le climat, toujours est-il qu’en présence des Italiens nous sommes en terrain familier. Avec l’ambassadeur Giuseppe Morabito nous n’avons pas fait exception à la règle.

Courtois et aimable, Giuseppe Morabito nous reçoit dans son bureau dont la vue imprenable sur Beyrouth coupe le souffle. Située sur les hauteurs de Baabda, l’ambassade d’Italie est fort accueillante. A l’arrivée, nous sommes tout de suite charmés par cet accent chantant si typique des Italiens. Les formalités sécuritaires accomplies, nous sommes reçus par l’ambassadeur. Délaissant son bureau, il s’installe dans un fauteuil, nous parle de son expérience et nous livre ses impressions et sa vision des choses. Il aurait voulu être journaliste comme son père et son grand-père ou explorateur comme son autre grand-père. Passionné de géographie, il aime découvrir de nouveaux pays et de nouvelles cultures. Mais son amour pour la géographie l’a finalement poussé à embrasser la carrière de diplomate. «J’aurais aimé aussi être designer et créer quelque chose qui soit en même temps beau et utile», confie Morabito qui a une grande admiration pour le designer Massimo Iosa Ghini, créateur, entre autres, des espaces Ferrari dans le monde.   
Il est en poste à Beyrouth depuis octobre 2010, après un parcours riche en expérience qui l’a mené aux quatre coins du monde. Après des études en sciences politiques, il occupe diverses fonctions à Bagdad, à Paris puis à Bruxelles auprès de l’Union européenne, où il est en charge principalement de dossiers techniques. «Après Paris, j’ai été nommé consul général à Miami puis directeur général pour l’Afrique», dit le diplomate. Raison pour laquelle il est anglophone aussi bien que francophone. Il se sent bien au Liban et relève les nombreuses similitudes entre les Libanais et les Italiens. «C’est la même convivialité que l’on retrouve chez les deux peuples, la même ouverture à l’étranger et aux gens qui nous sont différents. Le langage du corps est identique aussi. Dans beaucoup de pays, les gens détestent tout contact physique alors qu’ici, comme en Italie, il est normal de s’enlacer et de s’embrasser. Je me sens très à l’aise au Liban, cela me fait penser au sud de l’Italie», confie-t-il. Il est toujours surpris par la faculté d’adaptation que possèdent les Libanais qui sont capables de s’adapter à n’importe quelle situation. «Je suis sidéré par leur flexibilité qui se ressent surtout sur le plan économique.
Les gens ont souvent tendance à ne pas bouger de la ville où ils habitent pour trouver un emploi, alors que les Libanais voyagent partout à travers le monde pour travailler. Depuis deux ans que je suis là, je n’ai pas rencontré un seul Libanais qui fasse un travail unique. Cette capacité de changer de carrière aussi facilement existe également en Italie», relève le diplomate. Son seul regret est de ne pas disposer de suffisamment de temps pour visiter le pays. «Mais je connais quand même Baalbeck, Sidon, Tyr et Tripoli», dit-il. Certaines coutumes libanaises le touchent beaucoup. «Je suis très ému par les condoléances au Liban, cette manière de se réunir autour de la famille du défunt, le support et les émotions que les gens montrent. Le deuil est très respecté. En Europe, on se hâte d’enterrer le défunt, comme si les gens voulaient en finir tout de suite pour reprendre une vie normale. Ici, on prend le temps de vivre son deuil, de ressentir sa douleur. On se parle, on se console et on se voit. Je m’y rends pour des raisons professionnelles mais je ne peux m’empêcher chaque fois de ressentir une grande émotion», confie Morabito.
Marié à Sheba Morabito, il est père de deux adolescentes, Allegra (15 ans) et Arabella (14 ans). En homme très discret, il a transmis à ses filles ce caractère. «Mes filles ne disent jamais à l’école ce que je fais. Elles ne parlent jamais de mes occupations», souligne-t-il. La vie d’un diplomate n’est pas aisée, surtout pour sa famille qui le suit de pays en pays. «Mon épouse, qui était directeur de musée à Rome, a dû quitter son travail pour me suivre. C’est un choix qui n’est pas facile. Dans de tels cas, il faut toujours trouver des compromis et toute personne travaillant dans le corps diplomatique doit apprécier le sacrifice que son conjoint fait pour elle. Ce n’est jamais aisé pour quelqu’un de tout quitter pour suivre son partenaire. En revanche, pour les enfants c’est une grande opportunité. Mes filles sont bien intégrées au Liban. Elles vont au Lycée français et rencontrent des
personnes qui, dans la même situation qu’elles, ont beaucoup voyagé. Elles comprennent qu’il y a comme elles des personnes qui changent de pays. La vie est faite ainsi. C’est important également de côtoyer des cultures différentes», estime Morabito. Il aime aller au cinéma de temps à autre. Très imprégné par la culture libanaise, l’ambassadeur d’Italie a beaucoup apprécié le film réalisé par Nadine Labaki, Maintenant on va où? «L’histoire est très touchante et donne de l’espoir malgré les faiblesses humaines». Tout en reconnaissant l’importance du social networking, le diplomate ne possède pas de compte Facebook ou Twitter. «Ce sont des outils qu’un ambassadeur doit utiliser avec beaucoup de prudence, surtout dans un pays comme le Liban où chaque mot peut être interprété différemment s’il n’est pas clair et pourrait alors être exploité. Par contre, notre ministère des Affaires étrangères possède un compte Twitter dont la mission est d’expliquer la politique étrangère italienne à tous les niveaux, économique, culturel et autres», déclare le diplomate. Pour lui, l’essentiel dans la vie est d’être toujours soi-même quelles que soient les circonstances et les conditions. «J’essaie de l’être», conclut Giuseppe Morabito en souriant.

Joëlle Seif

 

Amateur de bon vin
Avant de venir au Liban, le diplomate disait qu’il souhaitait être nommé dans un pays où il y a la mer et du bon vin. «Ici, je suis servi», dit-il en souriant. Pour cet homme sérieux et professionnel,  le travail est en lui-même un loisir. Il apprécie également le bon vin et la gastronomie. «La gastronomie italienne ce n’est pas seulement les pizzas et les pâtes. C’est la cuisine régionale, celle du terroir. Au Liban c’est pareil. Je suis membre de l’Académie de la cuisine italienne et j’ai également participé à des dîners organisés par l’Académie libanaise de la gastronomie. Celle-ci est à l’image du pays», estime Morabito.  

Ce qu’il en pense
-Le Printemps arabe: «J’espère que ce soit un véritable printemps. C’est important dans la mesure où les peuples réclament leur liberté mais beaucoup de problèmes subsistent. J’ai été très touché par l’assassinat de l’ambassadeur américain Christopher Stevens en Libye.
C’était un homme d’ouverture, un pont entre l’Orient et l’Occident. L’Europe doit accompagner ce phénomène et favoriser le dialogue entre les différentes composantes du monde arabe. Il faut lutter contre la tendance à simplifier les choses et respecter les uns et les autres. Le Printemps arabe est un processus à long terme. Il y a des pertes de vies humaines, ce qui est inacceptable. Je refuse que l’on dise que c’est le prix à payer et qu’il y a des gens qui doivent mourir pour cela. J’estime que, même en Syrie, on devrait adopter le dialogue, seule véritable solution».
-Risque de guerre régionale: «Après deux guerres mondiales, parler de guerre à un Européen est une chose horrible. Il existe un risque de guerre régionale mais il faut travailler pour éviter cela. La solution passe par le dialogue et les négociations. Il faut savoir que la violence entraîne d’autres violences. Elle n’a jamais été une solution».

-Craintes pour les chrétiens d’Orient: «Oui, nous avons des craintes pour l’avenir des chrétiens et des gens de bonne volonté. Les chrétiens sont un élément de pluralisme et de diversité et ils ont un rôle dans le dialogue entre les différentes communautés. Comme le dit Mohammad Sammak, les chrétiens d’Orient sont appelés à jouer un rôle de conciliation. Chrétiens et musulmans doivent vivre ensemble et ont le devoir de réagir contre la violence. Dans une société moderne et démocratique, la liberté religieuse est fondamentale et chacun doit avoir le droit de manifester publiquement ses croyances. Le respect de l’autre passe à travers la reconnaissance de l’identité d’autrui. Un chrétien doit respecter l’identité des musulmans et ceux-ci de même. Bien sûr, il existe des diversités mais on peut vivre dans la diversité. C’est le critère de la citoyenneté qu’il faut adopter, l’appartenance à un même Etat. Il faut être respecté en tant que citoyen d’abord. Nous sommes tous appelés à vivre ensemble et ceci s’applique aussi à l’Europe où il faut se battre contre l’islamophobie. Ce n’est pas facile mais ceci n’en vaut-il pas la peine?».
 

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