Le professeur Antoine Messarra qui a suivi durant sa longue carrière d’universitaire, de chercheur et de militant dans la société civile, les travaux sur les régimes constitutionnels, apporte dans son nouvel ouvrage l’éclairage juridique qui a souvent manqué dans les travaux tant au Liban qu’au niveau de la recherche internationale.
L’ouvrage Théorie juridique des régimes parlementaires mixtes: Constitution libanaise et Pacte national en perspective comparée (Librairie Orientale, 2012, 246 p.) est centré sur les cinq articles qui classifient le régime constitutionnel libanais, à savoir les articles 9, 10, 49, 65 et 95 de la Constitution libanaise. Ces articles que des auteurs fourrent dans «confessionnalisme» sont le plus souvent incompris, contestés, débridés dans la praxis constitutionnelle, alors qu’ils sont régis et doivent être régis par des normes de légalité.
Au cœur du problème: les deux principes universels, conditions élémentaires de la démocratie, celui de la séparation des pouvoirs et la règle majoritaire. A ce titre, le régime constitutionnel libanais est, comme il est clairement énoncé dans le préambule, parlementaire, mais il associe des processus à la fois compétitifs et coopératifs, d’où l’appellation de régime parlementaire mixte ou plus pluraliste.
Les appellations étrangères, régime consociatif, de propordémocratie, de concordance, consensuel et, en arabe, tawâfuqiyya, notions qui portent surtout sur le processus de formation nationale, ont prêté à des interprétations fantaisistes ou, au Liban, ont été manipulées suivant les conjonctures et les rapports de force.
Des normes de légalité
En conséquence, les régimes parlementaires qu’on peut appeler mixtes parce qu’ils associent des processus à la fois compétitifs et coopératifs ne sont pas hors-la-loi, mais régis par des normes de légalité. Leur étude comparative a commencé à émerger à partir des années 1970. La terminologie en langue étrangère, en parfaite conformité avec les normes de droit, a souvent été polluée par l’usage.
La réhabilitation des normes de légalité constitue un impératif prioritaire, la gestion par nature difficile du pluralisme au Liban ayant été agressée par les démarcations en 1975-1990, puis par une stratégie de manipulation pour rendre le régime ingouvernable.
L’alternance, les coalitions gouvernementales, les variantes du fédéralisme et le quota de représentation ou discrimination positive apportent la preuve que les régimes politiques se classifient d’après les modalités d’application du principe majoritaire et non en contradiction avec le principe. C’est la dimension juridique, insuffisamment explorée à ce jour dans la recherche internationale, que l’auteur développe à partir du cas constitutionnel libanais et de plusieurs exemples comparatifs.
Juriste et sociologue
Antoine Messarra, juriste et sociologue, a travaillé sur les régimes constitutionnels tels ceux des petites démocraties européennes (Suisse, Belgique, Autriche, Pays-Bas) et d’autres pays (Liban, Luxembourg, Irlande du Nord, île Maurice, îles Fidji, Afrique du Sud…). Membre du Conseil constitutionnel, il est auteur de plusieurs ouvrages de droit constitutionnel comparé et sur la citoyenneté dans les sociétés multicommunautaires. Il a obtenu le prix du président Elias Hraoui: le Pacte libanais (2007).
Ses ouvrages et travaux apportent une contribution originale aux recherches comparatives contemporaines sur la gestion démocratique du pluralisme, la citoyenneté et la mémoire collective et partagée.
8e volume du Mémorial de Joseph Chami
Le mandat Amine Gemayel
Du Mont-Liban à l’Indépendance, de 1860 à 1943, titre du premier Mémorial publié par Joseph Chami, est suivi d’une série d’ouvrages retraçant chacun un mandat présidentiel.
Depuis Béchara el-Khoury jusqu’à Elias Sarkis, Joseph Chami, avec un talent chevronné de journaliste, doublé d’un écrivain de talent, a fait un travail titanesque de recherches et d’archives et fait vivre à toutes les générations libanaises l’histoire de leur pays sous une forme particulièrement attrayante. Beaucoup d’historiens de très grande qualité ont écrit la grande Histoire du Pays du Cèdre, mais Joseph Chami a réussi à faire vivre chacun, à travers les coulisses politiques de chaque période, l’Histoire de son pays telle qu’il ne l’a pas vraiment connue. Si les jeunes découvrent les événements et les personnalités qui ont marqué un passé, malgré tout relativement récent, les moins jeunes se souviennent mais, plus encore, parcourent au fil des pages des huit volumes de ce Mémorial, le dernier en date venant de paraître, les coulisses qu’ils ne connaissent pas et qui, pourtant, ont régi leur quotidien. C’est avec beaucoup de précision que l’auteur rapporte les faits et les détails qui ont marqué chacun des mandats. Il a abordé autant la politique, les relations extérieures, que le social et l’économie, illustrations et chiffres à l’appui.
Cette année au Salon du livre, Joseph Chami a présenté son dernier-né: Le mandat Amine Gemayel. 1982-1988. Enormément de faits et de détails que même l’ancienne génération n’a pas connus ou mal connus, permettent de remettre les pendules à l’heure. Ils sont rapportés sans aucune complaisance et avec une objectivité totale. C’est à travers les documents que reproduit Chami dans chacun des volumes du Mémorial que beaucoup d’entre nous peuvent comprendre certains faits demeurés sinon secrets du moins déformés.
Ainsi on apprend que, contrairement à ce que la rumeur publique laissait croire, le président Gemayel se rend à Damas, alors que son mandat tirait à sa fin, non pour demander une prolongation de sa présence à Baabda mais pour obtenir que Hafez el-Assad renonce à imposer son candidat à la présidentielle et laisse le libre choix aux Libanais eux-mêmes. Ayant échoué, il se voit acculé à former un gouvernement militaire de transition présidé par le général Michel Aoun.
Joseph Chami termine pratiquement ce volume du Mémorial en rappelant le message d’Amine Gemayel à la Nation: «Je laisse la présidence l’âme inquiète et soucieuse (…) car les crises et les guerres persistent à cause des complots (…) J’ai parié avec vous sur une paix libanaise, la guerre a vaincu et les gens de guerre furent plus forts que la paix». Il conclut par une note d’espoir: «La volonté de libération et d’entente continuera à nous animer sans relâche et sans désespoir et la paix finira par l’emporter».
Joseph Chami ne peut pas s’arrêter en si bonne voie. Il a encore beaucoup à nous faire découvrir depuis la période du général Aoun, jusqu’au moins le mandat d’Elias Hraoui. Pour le reste l’avenir nous le dira.
Mouna Béchara
Grégoire Haddad: évêque laïque, évêque rebelle
Dans le cadre du Salon du livre francophone, Michel Touma a signé un livre autobiographique qui parle de la vie de Grégoire Haddad, archevêque grec-catholique de Beyrouth et de Jbeil de 1968 à 1975. Militant de la cause humaine, Mgr Haddad a voulu redéfinir le statut de la religion, en lui retirant sa dimension identitaire, porteuse de violence et de cruauté. Un processus qui aurait pu, selon lui, éloigner le spectre de la guerre et les tensions intercommunautaires.
L’auteur a travaillé aux côtés de Mgr Haddad comme volontaire au Mouvement social dans les années 70 et a vécu les principales étapes de son parcours. Il est donc bien placé pour interpréter et exprimer les pensées et les écrits de Mgr Haddad.
Cet ouvrage met en avant les valeurs prônées par Grégoire Haddad à travers plusieurs articles révolutionnaires publiés en 1974, à la veille de la guerre de 1975. «Des écrits dans lesquels il soulève des interrogations sur la conformité des structures de l’Eglise et des pratiques chrétiennes avec le véritable enseignement du Christ», écrit Michel Touma.
« Il a cherché à prévenir certaines dérives confessionnelles en renouvelant sur des bases plus modernes le contrat social qui lie les Libanais entre eux, en dépassant les clivages confessionnels», explique Samir Frangié qui a signé l’avant-propos de l’ouvrage.
Ses déclarations ont mobilisé les jeunes et la société civile, mais ont abouti à sa destitution, en 1975, par une décision du synode melkite. Une sentence qui a provoqué à l’époque l’indignation de toute une génération qui croyait fortement aux changements.
«En exhortant à une laïcité globale, ses discours ont été mal perçus, mal compris et, par conséquent, rejetés par les institutions religieuses et politiques qui y ont trouvé une provocation, car personne n’était prêt et ne voulait ce changement. Or, il a eu le courage de remettre en question l’appartenance de la personne et son rôle réduit dans la communauté à laquelle elle appartient…», écrit l’auteur.
Pistes de réflexion pour les jeunes
Pour faciliter la lecture, chaque chapitre est indépendant de l’autre et chacun se rapporte à un thème ou à une phase précise de la vie de Mgr Haddad.
C’est un livre message, riche en leçons pour la jeunesse actuelle qui pourrait s’imprégner des idées et de la démarche intellectuelle et non-religieuse de l’archevêque pour choisir les voies à adopter, très didactiques, dans le contexte de ce Printemps arabe, car ils vivent des moments cruciaux où les jalons de l’existence qu’ils désireraient avoir doivent être implantés. «Malheureusement de 1975 à ce jour, on n’assiste toujours pas du côté des institutions à une volonté de vouloir faire bouger les choses».
«Un demi-siècle après, son message demeure d’actualité car le citoyen, avec le Printemps arabe, retrouve son autonomie, c’est-à-dire sa capacité à être l’artisan de sa propre histoire et à participer à définir les choix politiques qui l’engagent, mettant fin au processus de réduction, le fondement même de la crise arabe», souligne Samir Frangié.
Elga Trad
Mgr Haddad en bref
Mgr Grégoire Haddad, humble et modeste, a consacré sa vie au travail caritatif. Il croit dans les valeurs de solidarité basées sur l’échange et le don. Il s’est investi dans de multiples associations de bienfaisance telles que: Ecdar, formée par des vétérans du Mouvement social. L’Afel, l’AEP et l’Irap, dont il a été le parrain. Son travail caritatif ne se limite pas aux actions de charité, mais s’étend à l’épanouissement de l’homme par un travail sur le terrain, non confessionnel.
Yasmine Char
«L’écriture est toujours une curiosité»
De père libanais et de mère française, Yasmine Char a vécu au Liban jusqu’à ses 25 ans. Installée depuis des années en Suisse, où elle dirige le théâtre de l’Octogone à Pully, elle a signé, au Salon du livre francophone de Beyrouth, son deuxième roman, Le palais des autres jours.
Après avoir écrit deux pièces de théâtre, Les grandes gueules et Souviens-toi de m’oublier, et un livre érotique, A deux doigts, Yasmine Char publie, en 2008, son premier roman, La main de Dieu, aux Editions Gallimard. Le succès est immédiat, face à l’histoire de cette adolescente, vivant à Beyrouth-Ouest avec son père libanais brisé par le départ de sa femme française, et qui défie la guerre, les francs-tireurs, les frontières, la religion et découvre l’amour et le jeu des armes dans un Liban en guerre. Quelques années plus tard, l’auteure publie son second roman. Le palais des autres jours suit l’histoire des jeunes jumeaux Leila et Fadi qui, à la mort de leur père libanais, décident de quitter le Liban en guerre et de retrouver la trace de leur mère française. Arrivés à Paris, le réveil est brutal; c’est le début des années 90 et un climat de peur règne sur la capitale avec les attentats terroristes qui reprennent. Chacun des jumeaux suit une trajectoire différente. Tandis que Fadi part à la dérive, Leila essaie d’être raisonnable pour deux.
D’amour et d’émigration
«Avec La main de Dieu, explique Yasmine Char, j’avais envie de me ré-ancrer au Liban. Là, je voulais en sortir». Pourtant, un air familier flotte entre les deux romans. C’est que le personnage de Leila évoque l’adolescente du premier roman. «Tout le monde m’avait demandé s’il y avait une suite que je n’avais jamais envisagée de ma vie. L’écriture pour moi est toujours une curiosité. Alors, je me suis dit pourquoi pas? Je vais lui prendre la main et nous ferons encore un petit bout de chemin avant que je ne la laisse complètement tomber. L’adolescente du premier roman n’a pas de nom, je lui en ai donné, l’ai fait grandir de quelques années. Et je l’ai modelée de manière à lui donner une vraie consistance de personnage». Mais au-delà de cette filiation, Char voulait surtout aborder deux thématiques qui lui tenaient à cœur, deux idées principales qui ont finalement donné naissance au roman. «D’abord, l’amour avec un grand A. J’entendais autour de moi beaucoup d’histoires de séparation, de personnes qui se sont aimées et qui ne se parlent plus. Comment est-ce qu’on peut avoir aimé autant et renier d’un coup? Le meilleur moyen de représenter cet amour était à travers la figure des jumeaux qui, de tout temps, interpelle à travers les mythes qu’on entend sur l’amour, l’immédiate perception de l’autre, l’inceste… Ensuite, j’avais envie de parler de l’immigration. L’Europe est actuellement au cœur de cette problématique. Il y a quand même une peur et un fort rejet des étrangers qui arrivent, alors qu’en même temps, on sait qu’on a besoin de cette jeune population, car l’Europe vieillit». En explorant le parcours de Leila et Fadi qui arrivent en France avec tous les espoirs que tous les émigrés ont et qui font face à la réalité de l’intégration, Char évoque les deux types d’émigrés: «ceux qui décident de s’intégrer, d’aller vers l’étranger, et ceux qui rejettent totalement l’intégration. C’est l’un ou l’autre des parcours. Il n’y a pas de juste milieu». Une réalité à laquelle elle a, elle-même, fait face quand elle a quitté le Liban après vingt-cinq ans de vie en pleine guerre, avant de s’installer, dès 1994, en Suisse, «intégrée, comme elle le dit, heureuse de vivre dans un pays où il y a beaucoup de respect». Mais elle garde toujours en elle son autre culture, sa culture originelle, qui transparaît au détour d’un mot qu’elle lance en arabe au fil de la conversation, dans son style chargé parfois de fioritures, de longues phrases, de comparaisons orientales, de tournures rhétoriques à l’image du Liban… Autant d’éléments qui forment toutefois son entité, son style particulier. Comment vivre alors avec deux cultures? «On apprend à faire avec. Parfois, j’ai l’impression d’être déloyale par rapport à l’une ou l’autre. Heureusement que l’âge a ses avantages, car après, on trouve un équilibre où, tout d’un coup, les deux cultures se complètent plus qu’elles ne se mangent».
Des vingt-cinq premières années passées au Liban, Yasmine Char a gardé tout l’impact de la violence. Une violence qui transparaît dans toutes ses formes dans Le palais des autres jours: la violence de la guerre au Liban et la violence du rejet en France. «J’ai vécu la guerre au Liban. C’était la violence brute, très brute. Et je crois que j’aime bien cette violence brute, car elle est démasquée, on sait à quoi s’attendre. La violence qui n’en a pas la forme est plus difficile. Dans mes livres, le rapport avec la France est évidemment celui dans lequel j’ai grandi au Liban, où il y a, en même temps, une attraction très forte pour la France et un rejet du colonisé, un rapport amour/haine».
Nayla Rached
La lentille
Entre le Liban et l’Italie
Les Editions Tamyras s’essaient à l’art culinaire en lançant une collection intitulée Les Méditerranéennes, avec un premier ouvrage, La lentille – Recettes traditionnelles et contemporaines de la Méditerranée, de Claude Chahine Shehadi et Maria Rosario Lazzati.
Claude Chahine Shehadi est libanaise et vit à Londres depuis une trentaine d’années. Maria Rosario Lazzati est italienne et habite Londres depuis plus de vingt ans. Elles se sont rencontrées autour de leur passion pour l’art culinaire. Depuis cinq ans, elles dirigent des ateliers de cuisine Libaliano, qui «ne présente pas une fusion des deux cuisines italienne et libanaise», précise Maria Lazzati. Chacune de nous prépare les plats de son pays. Mais c’est quand on est avec une autre personne, qu’on s’aperçoit de ce qu’on est, de ce qui fait notre différence, la qualité de notre cuisine». Claude Shehadi estime «qu’on comprend mieux notre propre culture en essayant de la comparer à l’autre». C’est ce qui a donné naissance à Libaliano. Quand l’une présentait un plat, c’était la même exclamation: «Nous avons le même, mais c’est un peu différent. Les ingrédients sont les mêmes dans les deux cuisines, c’est la façon de les gérer qui diffère. Il y a beaucoup de plats qui se ressemblent et se répètent dans d’autres pays, en Turquie, en Grèce… Plus on va vers le sud, plus ça continue mais légèrement varié».
Pourquoi la lentille? «Pour beaucoup de raisons, répond aussitôt Shehadi. Notre raison d’être et de travailler ensemble est de voir comment les ingrédients voyagent à travers la Méditerranée. Quand nous avons décidé de faire un livre, nous voulions un ingrédient qui soit commun aux deux cultures». Et le choix s’est porté sur la lentille, «l’un des plus vieux ingrédients, qui a commencé dans la Méditerranée, en Syrie, avant de voyager. Il est simple à préparer, facile à cuire, nourrissant, rassasiant, plein de protéines. D’autant plus qu’en ce moment, il y a un retour vers la lentille, et que beaucoup de personnes sont sur des restrictions: pas de gluten, de farineux, de gras… La lentille est l’élément parfait. Actuellement, on n’a plus seulement la petite lentille brune ou la petite lentille verte plate, mais un grand choix de différentes lentilles qu’on peut allier de diverses façons». En Italie, «on l’appelle la viande du pauvre, ajoute Lazzati. Elle est versatile, elle accompagne la viande, le poisson, les épices, les herbes».
Après une présentation détaillée de la lentille, son historique, les différentes sortes, ses bienfaits, l’ouvrage se divise en deux parties: la cuisine traditionnelle et la cuisine contemporaine. Au fil des pages, vous découvrirez 57 recettes, allant de la classique mdardra à un plat de taboulé avec de la lentille au lieu du burghol, du cotechino e lenticchie, un «plat traditionnel qu’on doit manger le premier jour de l’année car il porte bonheur et prospérité, la lentille ressemblant à la pièce de monnaie», au farrotto de lentilles et de tomates. «On doit connaître la tradition pour pouvoir jouer avec et créer du nouveau», affirme Maria Lazzati. Pour Claude Shehadi, «l’innovation est actuellement dans la cuisine moléculaire, alors que la cuisine moderne contemporaine est une variation de l’ancienne cuisine».
C’est en partant des traditions que, depuis plus de deux ans, elles essaient de nouveaux plats à base de lentille. D’essais réussis en essais ratés, « le plus important est de ne pas avoir peur, d’avoir le courage d’essayer». Sans oublier le plaisir perpétuel de concocter des plats. Souvent, au Liban comme en Italie, quand on donne une recette, c’est presque toujours par poignée. «Mais c’est combien une poignée?», s’exclament-elles toutes les deux. Alors pour ne rien laisser au hasard, elles préparent chaque plat à plusieurs reprises avant finalement de le faire goûter et de le compiler dans ces pages.
Nayla Rached
La recherche d’un éditeur
Chercher une maison d’édition n’a pas été un processus facile, vu que Claude Shehadi et Maria Lazzati, comme elles l’expliquent, ne sont pas des chefs connues. Jusqu’à ce que les Editions Tamyras, qui avaient toujours été intéressées par l’idée, adoptent le projet. Une nouvelle collection Les Méditerranéennes est créée. Après La Lentille, Claude et Maria préparent déjà un deuxième ouvrage, avec les mêmes idées d’un ingrédient simple et de partage d’histoires.
Faux et usage de fautes
Ou notre «franbanais»
La Maison d’édition Tamyras lance la nouvelle édition revue et enrichie de l’ouvrage de Dounia Mansour Abdelnour, Faux et usage de fautes. Un répertoire des principales fautes de français commises par les Libanais. Sans jugement.
Avez-vous jamais essayé de demander, dans un restaurant libanais, une paille pour accompagner votre boisson? Dounia Mansour Abdelnour a tenté cette expérience. Et devant l’air interloqué du serveur, elle a fini par demander son «chalumeau». Et le voilà soulagé. Dans son ouvrage Faux et usage de fautes, publié aux éditions Tamyras, elle s’amuse à répertorier les fautes de français commises par les Libanais. S’adressant à tous les francophones libanais, «qui se retrouveront quelque part dans ces pages», le livre a eu un tel succès lors de son édition en 2006, qu’il a été réédité en 2008 et 2010, avant cette nouvelle édition revue et enrichie lancée, cette année, au Salon du livre, et qui comprend, en plus, les fautes dans les menus des restaurants et la traduction des termes du jargon littéraire.
L’idée est née par hasard, au détour d’une conversation entre l’auteure et un ami français; en utilisant le mot «échappatoire», elle l’accole à un article indéfini de genre masculin. Correction très discrète: échappatoire est un nom féminin. Dounia s’étonne, se rappelant qu’au Liban, «nous avons tous tendance à dire «un échappatoire». Intriguée, à peine rentrée chez elle, feuilletant le dictionnaire, elle a de la peine à croire que le mot est effectivement féminin, «alors que, durant des années, on n’a fait que répéter le contraire». Les interrogations commencent: «Est-ce que ce ne serait pas l’unique faute que nous commettons? Est-ce qu’il y en aurait d’autres qui passent, comme ça, inaperçues?». De jour en jour, il y avait de nouvelles découvertes. «J’ai pensé qu’il faudrait vraiment faire un répertoire des fautes qui ont l’illusion d’être correctes». La chasse aux mots commence, le calepin ou même le portable toujours à portée de main. «Certains mots étaient difficiles à chercher, parce que les langues sont vivantes et, souvent, l’usage l’emporte. Des mots qui perdent leur légitimité aujourd’hui peuvent l’avoir dans quelques années, comme c’était le cas pour kleenex, frigidaire, espadrilles». Dounia Mansour Abdelnour insiste sur l’aspect vivant des langues. «Une langue, par définition, est influencée par l’histoire, la culture, l’entourage, la pensée du pays où elle se pratique. Et c’est ce qui fait son charme». Que ce soient des expressions comme «Ne me dis pas», «Fais-toi voir», «être insortable», «un jour oui, un jour non», «avoir un mariage»… Autant de libanismes, de franbanismes qui, selon elle, ne vont pas disparaître. «Et il y en aura d’autres. Certains perdureront, d’autres vont s’évanouir. Pourquoi pas? Le livre ne va rien y changer. C’est juste un point de repère. Mais il y a quand même certaines fautes qui ne doivent pas être reproduites à l’écrit».
Faux et usage de fautes se laisse savourer à la lecture, entre humour, sérieux, dérision et autodérision. Des expressions libanaises les plus répandues, aux tournures fautives issues de traductions littérales, aux erreurs phonétiques, aux pléonasmes… Dounia Abdelnour s’amuse à expliquer l’origine de chaque faute, son emploi courant et sa correction. «Attention, ajoute-t-elle, il ne s’agit pas du tout d’un livre critique, surtout pas de critique négative. J’insiste sur ce point. C’est un livre qui relève certaines particularités de notre façon de parler le français». D’ailleurs, le sourire ne la quitte pas une seconde en évoquant certaines expressions francophones, typiquement libanaises. «Il y a un charme qui s’en dégage et c’est aussi une manière d’affirmer notre identité libanaise. Parfois, lors de mes voyages à Paris, je repère tout de suite mes concitoyens quand j’entends une de ces expressions. Ça me fait chaud au cœur».
Nayla Rached
Des images pour accompagner les mots
Faux et usage de fautes est accompagné d’illustrations en noir et blanc signées Michelle Standjovski et Raphaëlle Macaron. En 2006, l’année de la parution de la 1e édition de l’ouvrage, Raphaëlle Macaron, âgée alors d’une douzaine d’années, avait proposé à Dounia Abdelnour d’illustrer ses textes. En même temps, Tamyras avait contacté de son côté Michelle Standjovski. «Les caricatures nous ont tellement plu que nous avons gardé les deux».