Cinq ans après avoir été libéré pour manque de preuves, le tribunal correctionnel de Marseille condamnait par contumace, le 23 octobre dernier, Elie Nahas à huit ans de prison pour proxénétisme. Il est accusé d’avoir utilisé son agence de mannequinat pour offrir à de riches clients les «services particuliers» de top models. Nahas, qui a fait appel, explique, lui, qu’il se contentait d’organiser des soirées jet-set. Magazine ouvre les pièces du dossier.
En 2000, Elie Nahas fonde Style Models & Events, qui deviendra l’une des plus grandes agences de mannequinat au Liban. La société fleurit très vite. Il engage plusieurs dizaines de jeunes Libanaises et organise notamment des élections de Miss que court le Tout-Beyrouth. L’entreprise est un succès considérable, les beautés orientales sont extrêmement prisées. Nahas voit grand. Il ouvre des succursales dans les places fortes de la mode internationale: à Milan, capitale de la mode en Italie, au Venezuela, pays des reines de beauté, une troisième à Dubaï, nouvel eldorado du business planétaire. En France, Nahas n’a pas d’agence mais il dispose d’un appartement à Cannes, dans une résidence au nom ronflant, le Palais Royal Croisette, dont il fait une importante base logistique depuis plusieurs années. Progressivement, il devient un acteur incontournable de la jet-set arabe, avide de soirées enflammées et de jolies femmes. Il est en pleine ascension professionnelle lorsqu’il rencontre pour la première fois en 2003, Mouatassem Kadhafi, l’un des fils de l’autocrate libyen, jet-setteur patenté.
Ascension fulgurante
Dans le monde de la mode, il y a la vitrine et l’arrière-boutique. En devanture, il y a les paillettes, les podiums, les défilés, des appareils photos qui crépitent aux couvertures des magazines. Dans l’envers du décor, existent d’autres moyens de promotion. Les soirées privées organisées pour des hommes riches et célèbres font partie du job. C’est là que se situe la zone grise.
En 2004, l’ambassade de Libye aurait versé plus d’un million de dollars à Elie Nahas pour l’organisation, à Marrakech au Maroc, d’un somptueux anniversaire donné en l’honneur du play-boy libyen. Le Libanais voit les choses en grand. Il réussit à inviter trois stars internationales, l’acteur et réalisateur Kevin Costner, le chanteur Enrique Iglesias et la sulfureuse Carmen Electra. A l’époque, s’acoquiner avec les Kadhafi était encore prestigieux. A cette soirée, Nahas conviera une vingtaine de top models qui entrent ainsi dans un cercle de privilèges. Visiblement satisfait de ses services, Mouatassem revient sur la Côte d’Azur l’été suivant. La petite histoire raconte qu’en feuilletant les pages du magazine Playboy, il aurait flashé sur Tiffany Taylor, une playmate de 30 ans, star américaine du porno. Nahas réussit à la «booker». Mouatassem réglera rubis sur l’ongle, 33000 dollars, selon les enquêteurs.
Le fils Kadhafi avait ses habitudes sur la Côte d’Azur. Son appétit des femmes était de notoriété publique, ses déviances aussi. Dans le monde des escort-girls, on l’appelait «le Docteur». Plusieurs témoins ont affirmé que Mouatassam faisait faire une prise de sang aux jeunes femmes qu’il payait pour les recevoir dans les chambres d’hôtels de luxe à Cannes, à Monaco ou dans les cabines du yacht Savarona, 136 mètres de long, loué 350000 euros la semaine. Nahas sent le filon. Figurent sur son carnet d’adresses d’autres gros clients arabes, principalement des jeunes membres des familles régnantes du Golfe. L’activité est extrêmement lucrative. Sur la Côte d’Azur, Nahas parfait son circuit événementiel auprès de directeurs d’hôtels, de sociétés de location de yachts et de personnalités en tous genres. Mais le filon va tourner court en 2007.
Coup de filet international
Depuis le début de cette année-là, l’Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), piste Nahas. En coopération avec les policiers spécialisés de l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et la police judiciaire de Nice, il monte un dossier contre lui. En mai 2007, ils amassent plusieurs dizaines d’heures d’écoutes téléphoniques et autant de surveillance. Nous sommes alors en pleine saison haute pour Nahas, entre le Festival de Cannes et le Grand Prix de Monaco. Quelques jours plus tôt, la police avait observé huit jeunes Vénézuéliennes, dont une mineure, se faire refouler à leur arrivée à Roissy, faute de papiers en règle. Elles étaient accompagnées par Félix Farias Leon, le patron de la succursale à Caracas de l’agence de Nahas. Le petit groupe devait rejoindre l’hôtel Carlton de Cannes où le Libanais avait réservé des chambres.
Pensant avoir suffisamment de preuves contre lui, la police française interpelle Nahas le 16 août 2007. Lui et six autres personnes sont mis en examen pour «proxénétisme aggravé en bande organisée, blanchiment habituel de fonds provenant de proxénétisme en bande organisée et non-justification de ressources», selon les attendus du juge marseillais Dominique Voglimacci-Stephanopoli. Dans le box des accusés, est présent un premier cercle composé de Libanais. Avec Nahas, accusé d’être l’organisateur; Antoine Medawar qui s’occupait de la logistique, notamment des réservations de billets d’avions et de chambres d’hôtel; le chauffeur de maître, Antoine Khoury; un ancien collaborateur devenu concurrent, Charbel Chidiac, qui se targuera d’avoir pris sous son aile Lamitta Frangié, allégations que l’intéressée a prestement démenties.
Le deuxième cercle d’étrangers comprend un vaste réseau international. Outre Félix Farias et une escort-girl cannoise Sabrina Samari, le réseau compte d’autres personnes. A Los Angeles, Michael Ofsowitz, un Italo-Américain, fournit les prostituées américaines; à Vienne, Cornelia Suss, une mère maquerelle déjà impliquée dans une affaire de proxénétisme, étouffée quelques années plus tôt à Monaco, recrute de jeunes Autrichiennes; à Prague, Irena Chelbovisova, à la tête d’une agence de mannequins, fournit les belles de l’Est. Plusieurs centaines de milliers d’euros en liquide ont été saisis à cette occasion, mais nombre de paiements s’effectuaient par virements. Selon plusieurs sources concordantes, les prestations des jeunes femmes se monnayaient dans une fourchette assez large de 2000 à 30000 euros.
Malgré l’ensemble de ces informations, l’affaire patauge. Après un an d’emprisonnement, Elie Nahas est libéré. En attente de son procès prévu courant 2012, il retourne au Liban où là, il règle ses comptes.
Les retombées libanaises
L’Etat français a-t-il hâté la justice à mettre le dossier en sommeil (voir encadré)? En tout cas, la défense de Nahas n’a pas varié depuis le début de l’affaire. Il confine son rôle à l’organisation de soirées privées que ses riches clients finançaient grassement. Il avait la charge de faire venir de belles filles pour égayer de manière légale les clients. Il réfute en bloc les accusations de proxénétisme. Mais il va plus loin.
Depuis 2008, il accuse nommément le directeur d’une agence libanaise, l’un des concurrents Nidal Bcherrawi, d’avoir monté un dossier contre lui, avec l’assistance d’un ancien diplomate français, pour lui nuire. Aujourd’hui, les deux hommes se battent sur les prétoires libanais, s’accusant mutuellement de diffamation. Les dossiers sont sur le bureau du juge Fawzi Khamis, à Baabda.
D’autant que la condamnation, le 23 octobre dernier, d’Elie Nahas par contumace, a relancé l’affaire. Le cercle VIP libanais est en émoi. Certaines sources affirment qu’une délégation d’hommes d’affaires et d’hommes politiques en vue s’est rendue à Paris auprès de la justice et des médias français pour empêcher la diffusion de leurs noms qui sont cités dans le dossier. Certains auraient proposé de l’argent pour éviter les fuites. Seraient impliquées une quarantaine de personnes.
Elie Nahas, qui parle d’un «jugement totalement politique», accuse le président du tribunal Patrick Ardid, un «juif français» dixit Nahas, et le procureur Damien Martinelli d’esbroufe.
Il compte faire appel de la décision de la justice française mais les conséquences de ce dossier pourraient être explosives. Car si des personnalités libanaises étaient véritablement impliquées, l’affaire Nahas constituerait le plus gros scandale sexuel de l’histoire du pays.
Julien Abi-Ramia
Le verdict du 23 octobre
Outre la prison, Elie Nahas, réfugié au Liban, a été condamné à 50000 euros d’amende (le procureur avait réclamé 200000 euros).
Nahas devra payer, ainsi qu’Antoine Medawar, Charbel Chidiac et Félix Farias, arrêté au milieu de l’année à l’aéroport de Francfort, tous impliqués en tant qu’intermédiaires dans ce dossier et condamnés à des peines de trois à six ans de prison, 40000 euros à l’association Equipes d’action contre le proxénétisme, une branche du Secours catholique partie civile à ce procès.
Enfin, contre trois intermédiaires ayant joué des rôles secondaires, un proche de Nahas, Anthony Abdelnour, Sabrina Samari et le chauffeur Antoine el-Khoury ont tous obtenu des peines de prison avec sursis.
Sarkozy a-t-il étouffé l’affaire?
Après la libération d’Elie Nahas en 2008, ni la direction du Carlton de Cannes, ni aucun des riches clients du réseau ne sera inquiété, ni même interrogé. Encore moins le fils Kadhafi. Trois semaines avant le coup de filet policier, le couple Nicolas et Cécilia Sarkozy, tout juste entré à l’Elysée, avait réussi à faire libérer les infirmières bulgares emprisonnées à tort en Libye. L’heure était alors au rapprochement avec le régime de Tripoli. La présence de mineures n’infléchira même pas la raison d’Etat. Au terme d’une instruction discrète à Marseille, ce sont «quelques lampistes encore en France qui sont jugés», estime Me Antoine Rizzo, avocat de la partie civile. Mais pas Mouatassem Kadhafi, tué le 20 octobre du côté de Misrata par les rebelles libyens, en même temps que son père. La justice a-t-elle bénéficié de la fin du règne de Nicolas Sarkozy pour rouvrir ce dossier? Comme l’estiment certaines voix en France.