Les offensives israéliennes contre la bande de Gaza se suivent mais ne se ressemblent pas. Avec Pilier de défense, l’Etat d’Israël paie le prix de son arrogance mais, surtout, perd son statut de superpuissance invincible en ne parvenant pas à venir à bout d’une petite organisation: le Hamas. Cette offensive sera lourde de conséquences pour Tel-Aviv et pour toute la région. Elle éloigne le spectre des grandes guerres. Analyse.
Entre Israël et la Palestine, l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Et ce, depuis maintenant 64 ans. Après quatre années d’accalmie relative consécutive à l’opération Plomb durci, qui avait tué quelque 1200 Palestiniens, l’Etat hébreu remet ça avec l’opération Pilier de défense. Les noms changent mais les bombes continuent de pleuvoir sur la bande de Gaza, avec son lot de drames. A l’heure où nous écrivions, les raids de l’aviation israélienne et les tirs des navires de guerre avaient déjà fait plus de 140 victimes palestiniennes.
Pour autant, il serait erroné d’aller plus loin dans la comparaison. Car Pilier de défense n’est pas Plomb durci. Mais surtout, les objectifs ne sont pas les mêmes.
Pour l’heure, la presse, majoritairement occidentale, estime dans ses analyses que l’origine de ce nouveau conflit entre Israël et Gaza trouve ses racines dans une volonté d’Israël de réaffirmer sa force de dissuasion dans la région, ou encore, dans la demande de la Palestine d’acquérir un nouveau statut à l’Onu le 29 novembre. Beaucoup aussi voient dans l’offensive, lancée par Benyamin Netanyahu, une volonté de rassembler un peuple touché par la crise économique et aux revendications sociales croissantes, autour d’un conflit l’opposant pour la énième fois, «aux terroristes de la bande de Gaza». D’autant que cette offensive intervient opportunément avant des élections anticipées délicates, fixées au 22 janvier 2013.
Cette opinion n’est pas partagée par un observateur libanais, fin connaisseur de la région. Pour lui, qui préfère rester anonyme, cette nouvelle offensive israélienne répond davantage à des «considérations opérationnelles et militaires». Des préoccupations israéliennes qu’il convient d’articuler avec le bombardement israélien sur l’usine d’armes de Yarmouk au Soudan, dans la nuit du 23 au 24 octobre dernier. Une attaque perpétrée, selon Khartoum, par quatre avions furtifs israéliens. Malgré ces accusations claires du gouvernement soudanais, Israël s’était alors refusé à tout commentaire. Seuls quelques responsables israéliens avaient accusé Khartoum de servir de base de transit pour les armes iraniennes à destination du Hamas.
Toujours selon cet analyste libanais, «nous assistons aujourd’hui à une véritable course aux armements dans la région». Une course qui ne se joue plus en quantité de stocks d’armes, mais en «qualité» des armes. Le temps où les mouvements de résistance arabes, qu’ils soient libanais ou palestiniens, ne disposaient que d’armes dérisoires dans leur portée, semble bel et bien révolu.
La preuve en a été apportée avec le Hezbollah qui est parvenu à faire survoler le territoire israélien avec le drone Ayoub, et, depuis le 14 novembre avec les Fajr-3 et Fajr-5 (voir encadré) tirés depuis la bande de Gaza.
Désormais, les fractions armées gazaouites détiennent le potentiel militaire suffisant pour atteindre Tel-Aviv et Jérusalem, et ce, malgré le dôme de fer mis en place à grand renfort de dollars par les Israéliens (voir encadré).
Autant de faits qui inquiètent, on s’en doute, Israël qui cherche, également par l’opération Pilier de défense, à connaître exactement le potentiel militaire du Hamas et des autres groupes armés présents dans la bande de Gaza. Tout en cherchant à rétablir une capacité de dissuasion écornée par la guerre de juillet 2006 au Liban, puis par l’échec de l’opération Plomb durci en 2008-2009.
Avec la crise syrienne, le Hamas a pris ses distances avec le régime de Bachar el-Assad mais aussi avec l’Iran, pour effectuer un rapprochement stratégique avec les Frères musulmans en Egypte, mais aussi en Tunisie ou en Syrie. Jusqu’au Qatar qui a surpris, le 23 octobre, avec la visite officielle de l’émir Hamad Ben Khalifa Al Thani en personne à Gaza, une première depuis 2007, année où le Hamas avait été élu démocratiquement. Un adoubement du Hamas qui n’a évidemment pas plu à Tel-Aviv, qui s’efforce d’isoler le mouvement de ses pairs arabes. Malgré les divergences sur la Syrie, le Hamas continue tout de même à compter sur le soutien de l’Iran, notamment militaire et financier.
Le monde change
Le déclenchement de l’opération Pilier de défense laisse donc penser qu’Israël souhaite voir à quel point les liens entre le Hamas et son allié iranien sont distendus. Le sont-ils réellement d’ailleurs?
Une autre raison apparaît aussi en filigrane de ce nouveau conflit. Car le Moyen-Orient d’aujourd’hui ne ressemble guère à celui qui prévalait avant le début du Printemps arabe. En ligne de mire des Israéliens, la nouvelle Egypte de l’ère post-Moubarak. Avec le Frère musulman Mohammad Morsi à sa tête, l’ami arabe d’hier n’est plus forcément aussi fiable. Même si, pour l’heure, l’Egypte semble plutôt chercher l’apaisement, en se posant comme un interlocuteur incontournable entre Israéliens et Palestiniens, elle pourrait aussi bientôt avoir à répondre à la pression de la rue arabe. Une rue arabe qui, par le passé, était étouffée d’une main de fer par ses dirigeants- au premier rang desquels, Hosni Moubarak-, mais qui a su montrer qu’elle parvenait maintenant à faire bouger les lignes.
Il s’agit donc d’un test crucial pour l’Egypte de Morsi. Dans un délicat numéro d’équilibriste, le dirigeant égyptien tente, pour l’instant, de conserver la paix froide entre son pays et Israël, tout en ne décevant pas la rue qui l’a porté au pouvoir. Morsi doit aussi satisfaire aux exigences de ses alliés américains qui l’abreuvent de mannes financières conséquentes pour relever une économie égyptienne en plein délabrement.
Avec son offensive, l’Etat hébreu soumet donc son entourage régional à la question. Reste à savoir, malgré les pourparlers de trêve esquissés depuis mardi avec l’entremise de l’Egypte -chaudement félicitée par Barack Obama-, si Le Caire pourra rester longtemps insensible aux cris de la rue arabe, si d’aventure, le conflit devait s’enliser. Rappelons que les Egyptiens avaient pris d’assaut l’ambassade d’Israël au Caire en septembre 2011.
De l’avis de notre observateur libanais, l’Egypte pourrait, en cas de crise majeure, réagir «graduellement». «Morsi doit rendre des comptes, on n’est plus à l’ère Moubarak, et il dispose pour cela de plusieurs leviers». Israël pourrait donc se retrouver face à une Egypte plus ferme qu’autrefois, qui pourrait, par exemple, «lui couper l’approvisionnement en gaz, ou encore geler les accords de Camp David». Sans oublier, également, «l’ouverture du passage de Rafah», qui donnerait de l’oxygène aux Gazaouites, ainsi qu’au Hamas, au grand dam d’Israël. Dans une analyse, le quotidien israélien Ha’aretz prévient d’ailleurs que «l’escalade de la violence risque d’entraîner une détérioration de la situation de l’ensemble de la région. La relation avec l’Egypte, déjà très fragile, pourrait rapidement se transformer en véritable conflit».
La fin de l’arrogance
L’offensive israélienne, Pilier de défense, livre aussi un autre enseignement. Contrairement à l’idée jusque-là répandue, Israël n’est plus invincible. Bien sûr, sa force de frappe, qui coûte cher aux contribuables américains avec un budget d’armement alloué à Israël de quelque 6 milliards de dollars annuels, reste dissuasive. Mais plus tant que cela. Malgré son arsenal militaire, l’opération actuelle montre qu’Israël ne parvient toujours pas à venir à bout du Hamas, niché sur une petite bande de terre. Alors que les moyens militaires des Palestiniens restent, malgré tout, minimes, comparés à l’armada israélienne.
Selon le même observateur libanais, «si Israël ne parvient pas à faire obtempérer le Hamas et la bande de Gaza, ce sont bel et bien les Palestiniens qui sortiront victorieux de cette crise». Avec un impact, sur l’Etat hébreu, très négatif. L’image de Tel-Aviv comme une superpuissance régionale, s’amenuiserait. Contrebalançant ainsi une arrogance trop souvent affichée.
Benyamin Netanyahu et ses conseillers auraient sans doute dû y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une telle offensive. Aux premiers jours de Pilier de défense, Israël avait évoqué une offensive terrestre d’ampleur, mobilisant 75000 réservistes. Avant d’effectuer un rétropédalage en règle et de «suspendre provisoirement son projet». Le chef de la branche armée du Hamas, Mohammed Deïf, avait d’ailleurs annoncé qu’une «opération terrestre est le plus grand espoir de libération des prisonniers», en allusion à d’éventuels kidnappings de soldats et à de futurs échanges de prisonniers avec Israël.
Le message qui transpire de cet échec annoncé de Tsahal à Gaza, c’est que si Israël n’est pas capable de venir à bout du Hamas et du Jihad islamique, comment le pourrait-il contre l’Iran? Téhéran n’est pas le Hamas et dispose d’une armée entraînée et surtout d’équipements militaires de pointe qui n’ont rien à envier à ceux d’Israël. Ce qui implique que, désormais, Israël ne pourra pas s’engager seul dans la bataille et certainement pas sans l’aval ni le soutien militaire des Etats-Unis. Cela tombe mal, d’autant que les relations entre Netanyahou et Obama restent très tendues.
La stratégie de défense
Autre gagnant de cette offensive ratée, le Liban et les armes du Hezbollah. Comme Hassan Nasrallah l’avait annoncé, lors de son discours du 16 novembre, «tout le Liban doit être concerné par le conflit à Gaza». Et ce à plus d’un titre. «Le tir de deux roquettes Fajr-5 sur Tel-Aviv montre le courage de ce peuple, avait-il ajouté. C’est un développement significatif dans l’histoire du conflit entre la Résistance et l’ennemi israélien». Sur le plan libanais, le conflit actuel à Gaza permet de renforcer l’idée que «seule une stratégie de défense asymétrique est adaptée pour lutter contre Israël», analyse notre observateur. Avec l’Etat d’un côté et la résistance à Israël de l’autre.
Par ailleurs, cela permet aussi «d’affaiblir les tensions intercommunautaires vivaces» de ces derniers mois au Liban, en rétablissant Israël comme principale menace du pays.
Quid alors d’une résolution du conflit israélo-palestinien? Dans les années à venir, on peut s’attendre à un état de guerre permanent, avec des crises ponctuelles qui peuvent se déclencher, puis se calmer. Et qui pourraient même aboutir, au fil des ans, à un conflit généralisé dans la région, jusqu’à ce qu’Israël comprenne que l’approche militaire n’est pas une solution avec les Palestiniens.
Le sang a encore coulé à Gaza. Dans l’attente hypothétique d’une trêve freinée, à l’heure où nous écrivions, par Israël. Alors que l’Egypte et le Hamas annonçaient un cessez-le-feu mardi soir, Hillary Clinton, dépêchée en urgence à Tel-Aviv par Barack Obama, parlait d’un accord «dans les jours à venir», tout en affirmant que le soutien américain à Israël était «solide comme un roc». Une trêve, à ce stade, signifierait un échec cuisant pour Israël et ses politiques.
Jenny Saleh
Un arsenal renforcé
Après l’accalmie relative post-Plomb durci (fin 2008-début 2009), les tirs de roquettes se sont de nouveau intensifiés à partir de 2010. On dénombrait ainsi 103 tirs en 2010, 375 en 2011 et pas moins de 797 entre janvier 2012 et le 13 novembre dernier, date de l’assassinat ciblé d’Ahmad Jaabari. Les tunnels d’acheminement des armes reliant l’Egypte à Gaza seraient actuellement d’au moins un millier.
Le Hamas ainsi que les autres fractions armées présentes à Gaza ont refait leurs stocks.
Le mouvement dispose de plusieurs centaines de roquettes de type Fajr (3 et 5), développées par l’Iran, en plus des Grad. Des roquettes d’une portée moyenne de 75 km, qui atteignent désormais Tel-Aviv et la banlieue de Jérusalem.
Le fait que ces armes aient un lien avec l’Iran n’est qu’un secret de Polichinelle. Le chef du Jihad islamique, Ramadan Abdallah Chellah, l’a même reconnu sur al-Jazeera mardi, tout en appelant les pays arabes à «ouvrir leurs stocks avant qu’ils ne se rouillent».
En plus de ces armes made in Téhéran, le Hamas disposerait aussi d’un stock important de missiles SA-7 Strela, de fabrication soviétique, issus de l’arsenal du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.
Deux roquettes désamorcées au Sud
Des artificiers de l’Armée libanaise ont désamorcé lundi deux roquettes Grad 107 mm, fraîchement installées et destinées à être tirées sur Israël, entre les villages de Halta et Mari, dans le caza de Hasbaya. Le secteur a été bouclé et a fait l’objet d’une grande vigilance de la part de l’Armée libanaise et des troupes de la Finul. En parallèle, l’armée israélienne a réduit ses troupes à la frontière libanaise, dont la brigade d’élite Golani, envoyée à l’intérieur des Territoires palestiniens occupés.
Le dôme de fer, efficace?
L’Iron dôme, déployé à grand renfort de dollars et de publicité par Israël, tient-il vraiment ses promesses? Rien n’est moins sûr, puisque sur les 900 missiles tirés depuis le début de l’offensive sur Israël, seuls 302 auraient été interceptés par les batteries du dôme de fer, selon Israël. Figure de proue de l’industrie de défense israélienne, ce bouclier permet théoriquement de détruire en vol les roquettes d’une portée de 4 à 70 km.
Le dôme de fer est très critiqué par la presse israélienne, qui juge notamment que son coût est bien trop onéreux par rapport à son efficacité. Le tir de deux missiles Tamir pour abattre une roquette coûte en effet la bagatelle de 100000 $. Pour sa construction, Obama avait débloqué 205 millions de dollars, en plus du budget de défense annuel. Chaque batterie coûterait 50 millions de dollars, soit autant qu’un avion de chasse.
Autre problème, le système ne fonctionne pas à très courte distance, laissant les villes situées à moins de 4 km des lieux de tir, sans défense.