Magazine Le Mensuel

Nº 3061 du vendredi 8 juillet 2016

à la Une

Berry-Bassil. Pour le meilleur et pour le pétrole!

Quelle mouche a donc piqué le président de la Chambre, Nabih Berry, et le chef du CPL et ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, pour qu’ils se mettent enfin d’accord sur le dossier de l’énergie? Une soudaine prise de conscience de la gravité de l’heure, après des années de conflits ou un encouragement, voire des instructions américaines?
 

Le dossier des ressources pétrolières et gazières libanaises a longtemps constitué un profond sujet de discorde entre les parties libanaises, et en particulier entre le président de la Chambre, Nabih Berry, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil. Mais pour être encore plus précis, il faut rappeler que depuis près de quarante ans, les autorités libanaises savent qu’il y a des ressources pétrolières et gazières au large des côtes libanaises, mais elles n’ont jamais osé franchir le pas pour ouvrir le dossier. C’est comme si tous les responsables qui se sont succédé à la tête de ce pays craignaient en réalité que ce dossier ne soit brûlant et maléfique. Dans différentes interviews accordées aux médias, l’ancien chef de l’Etat Emile Lahoud avait raconté comment l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri était venu le voir avec le responsable d’une société française pour obtenir son accord et confier le dossier à cette compagnie. Lahoud avait demandé à étudier le dossier. Mais il n’en a plus jamais été question… Il a fallu attendre que les Israéliens annoncent qu’ils sont prêts à commencer à extraire les hydrocarbures pour que les Libanais sortent de leur longue léthargie. Les citoyens ont ainsi appris qu’il y a du pétrole et du gaz dans les eaux territoriales libanaises. Ils se sont mis à rêver d’un pays ayant réglé sa dette extérieure et intérieure, dont l’infrastructure est modernisée, avec du courant électrique 24 heures sur 24, des prestations sociales et même des retraites consistantes pour les personnes âgées. Bien entendu, ces espoirs ne se sont pas concrétisés et le dossier des ressources pétrolières et gazières est venu s’ajouter aux nombreux autres qui font l’objet de conflits et qui ne sont pas traités.
 

Le magicien américain
Dans ce dossier, le conflit opposait essentiellement le président de la Chambre Nabih Berry (le Parlement doit en effet voter des lois permettant l’extraction de ces ressources) et l’ancien ministre de l’Energie Gebran Bassil, devenu, depuis, ministre des Affaires étrangères (alors que Berry a toujours la même fonction). Outre qu’entre les deux hommes, le courant ne passe pas, leurs divergences s’étendent à tous les dossiers, de celui du ministère des Affaires étrangères à celui de l’Electricité du Liban (EDL), en passant par la présidence et les nominations sécuritaires et militaires pour arriver au dossier des ressources pétrolières et gazières. Sur ce dernier dossier, Berry est particulièrement intéressé par les blocs 8, 9 et 10 qui sont situés au Sud et qui sont à la limite de la zone de 850 km2 revendiquée par Israël et par le Liban. Bassil proposait de lancer les appels d’offres pour tous les blocs en même temps, sans tenir compte des revendications israéliennes, et Berry préférait laisser de côté les zones conflictuelles pour commencer le travail dans les zones sûres. Les deux points de vue ayant des arguments en leur faveur, le conflit aurait pu s’éterniser… Jusqu’à la visite à Beyrouth de l’envoyé spécial américain pour les questions de l’énergie, Amos Hochstein. Ce dernier était déjà venu au Liban à plusieurs reprises pour pousser les Libanais à régler ce dossier; en vain. Mais cette fois, Hochstein a été plus ferme et menaçant que par le passé (il a rencontré Berry fin juin). L’émissaire américain a ainsi expliqué aux Libanais que les champs de gaz et de pétrole au large des côtes libanaises au Sud devraient être très riches en ressources et d’extraction facile, parce que pas très profonds. Mais si le Liban continue de faire la sourde oreille, nul ne pourra plus empêcher la Turquie, Israël et Chypre de commencer à extraire les ressources, d’autant qu’ils ont conclu un accord entre eux pour dessiner leurs frontières maritimes et se partager ainsi les champs de gisement. L’émissaire américain a proposé la médiation de son pays entre le Liban et Israël, mais comme le Liban ne veut pas négocier avec les Israéliens, il a alors suggéré aux Libanais que des sociétés américaines se chargent des investigations, puis de l’exploitation pour le compte du Liban avec l’accord des Israéliens, dans la zone controversée, réclamée par les deux parties. Hochstein s’est fait très pressant, ajoutant que si le Liban atermoie encore, il pourrait se retrouver dépouillé de ses ressources, parce que nul ne peut plus empêcher Israël d’aller de l’avant, surtout depuis la conclusion de l’accord avec la Turquie et Chypre. Et si le Liban est dépouillé, le Hezbollah pourrait décider de réagir pour redonner au Liban ses droits, ce qui entraînerait de nouveaux troubles dans la région et pourrait même provoquer une guerre entre le Hezbollah et les Israéliens. Ce que les Américains veulent à tout prix éviter. Pour cette raison, le Liban officiel n’a qu’à assumer ses responsabilités et commencer à mettre en œuvre le mécanisme de prospection puis d’exploitation de ses ressources pétrolières et gazières.

 

La manne providentielle
Le message de Hochstein a été entendu quelques jours plus tard, Berry et Bassil ont tenu une réunion «historique» au cours de laquelle ils ont décidé de surmonter leurs divergences et de relancer le mécanisme légal de prospection et d’exploitation, c’est-à-dire de permettre au gouvernement d’adopter les deux derniers décrets manquants pour relancer le processus avant d’aller au Parlement pour poursuivre les démarches nécessaires.
Comme il se doit, l’annonce de cet accord n’a pas fait que des satisfaits. Au contraire, elle a réveillé les appétits de ceux qui craignent d’être privés de leur part du gâteau, sachant qu’au Liban, tout le monde considère le dossier des ressources pétrolières et gazières comme une manne providentielle, publique et privée.
Berry s’est empressé de balayer les critiques adressées à cet accord, affirmant qu’il ne s’agit nullement d’un partage «des parts» entre le mouvement Amal qu’il préside et le CPL dirigé par Bassil. Il a aussi affirmé que cette rencontre entre lui et Bassil a eu lieu avec la bénédiction et même à la demande du Premier ministre Tammam Salam. Les réactions n’ont pas ensuite cessé de pleuvoir. Le chef du Bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, a déclaré qu’il voyait cet accord d’un œil positif, même chose chez le ministre Rachid Derbas, qui s’est toutefois demandé pourquoi cet accord n’a pas eu lieu avant. D’autres figures politiques ont tiré la sonnette d’alarme pour éviter la corruption dans le traitement de ce dossier. C’est le cas notamment du ministre des Télécommunications, Boutros Harb, et du chef druze Walid Joumblatt. Au nom du courant des Marada, le ministre Rony Araygi a préféré attendre le prochain Conseil des ministres pour connaître les détails. Mais il est sûr que l’annonce de cet accord a relancé la vie politique interne et donné, enfin, un espoir de déblocage…

Joëlle Seif

Et maintenant la présidentielle?
L’accord entre Nabih Berry et Michel Aoun sur le dossier du pétrole et du gaz a suscité un vent d’espoir dans les milieux politiques. En dépit des affirmations de Berry sur le fait que cet accord n’a pas d’annexes cachées et ne porte en aucune manière sur la présidence, des sources politiques précisent que le déblocage dans le pétrole ne peut qu’ouvrir la voie à un déblocage plus général. Ces mêmes sources politiques insistent sur le fait que si les Libanais peuvent s’entendre sur un dossier aussi délicat et juteux, ils peuvent aussi le faire sur des questions plus politiques. Selon ces sources, il ne faut pas occulter les mouvements politiques de ces derniers jours; Samir Geagea chez Saad Hariri, Saad Hariri chez le roi Salmane et Sleiman Frangié à Paris, où il aurait rencontré le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel el-Jubeir, et enfin, le plus important, la visite du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, à Beyrouth, le 11 juillet. Des sources diplomatiques au Liban laissent entendre que le ministre français pourrait avoir des idées pour débloquer le dossier de la présidence après ses entretiens avec son homologue iranien et le vice-héritier du trône saoudien, Mohammad Ben Salmane. L’annonce de Berry de convoquer une réunion de trois jours en août des participants au dialogue national et les informations sur une élection présidentielle dans les prochains mois alimentent ce souffle d’optimisme. Mais rien n’indique encore qu’il devrait se concrétiser…

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