Dans le cadre des Rencontres des Pins, Mona Khazindar a été reçue, le 19 de ce mois, sous la houlette de l’Institut français. La table ronde réunissait une vingtaine de professionnels libanais de la culture et la nouvelle directrice générale saoudienne de l’Institut du monde arabe. L’occasion pour elle d’évoquer l’intérêt nouveau de l’IMA pour l’art contemporain.
En 2012, avec Le corps découvert, représentation du nu dans les arts visuels arabes, avec Dégagement…La Tunisie un an après, expressions artistiques tunisiennes pendant la révolution du Jasmin, et avec l’exposition des candidats au Jameel Prize, prix récompensant des artistes du monde entier s’inspirant d’une façon ou d’une autre de la tradition islamique, l’Institut du monde arabe a lancé avec brio sa nouvelle politique de valorisation de l’art contemporain. Et pourtant ce n’était pas gagné.
L’idée de l’Institut du monde arabe germe au moment du premier choc pétrolier pour promouvoir la culture et la civilisation arabes en France. La culture est perçue comme un sujet non polémique grâce auquel il est possible de bâtir des projets communs. Quatorze ans plus tard, l’IMA prend forme. En bord de Seine, sous les ordres de Jean Nouvel, un imposant bâtiment atypique sort de terre. Le développement d’activités pour la jeunesse, les expositions, les concerts, la bibliothèque, les cycles de conférences ont contribué à l’installer dans le paysage culturel parisien. Malgré l’image sulfureuse d’une institution en perpétuelle difficulté financière tenue à bout de bras par l’Etat pour des raisons diplomatiques, l’IMA réalise quelques succès retentissants. L’exposition Pharaon reçoit 700000 visiteurs. Mais l’IMA abritait traditionnellement des expositions à caractère patrimonial. La Phénicie, l’Egypte ancienne ou l’âge d’or islamique ont toujours occupé la place prépondérante. Comme si le passé était plus présent que le présent lui-même.
C’est précisément cela que la nouvelle maîtresse des lieux souhaite faire évoluer. Résolue à faire rayonner encore davantage l’IMA, Mona Khazindar désire redéfinir l’identité de l’Institut. Face aux journalistes, aux galeristes, aux photographes, aux architectes et autres acteurs du monde de la culture présents ce lundi, elle affirme: «Cela fait 25 ans désormais que je travaille ici et un an et demi en tant que directrice. L’art contemporain, ce n’est pas simplement une passion personnelle. J’ai constaté qu’il était souvent négligé. Aujourd’hui, certaines nouvelles données nous imposent une évolution pour nous assurer une place dans la vie culturelle parisienne. Je pense en particulier à l’ouverture du département des arts de l’islam au Louvre. On doit pouvoir faire dialoguer passé, présent et avenir mais je suis dans l’impossibilité de le faire seule. Il faut qu’un échange puisse exister entre nous».
Dans ce cadre, la table ronde de la Résidence des Pins a permis de soulever un certain nombre de questions aussi bien sur la forme et la logistique que sur le fond et la définition d’une identité artistique arabe. Pour sortir du «ghetto de l’identité arabe écrabouillée», selon les termes de l’architecte Bernard Khoury, la possibilité de porter le regard sur le monde arabe d’artistes originaires du monde entier et le regard des artistes du monde arabe sur le monde entier est évoquée. «Parce que le problème actuel, poursuit l’architecte, c’est qu’un artiste libanais, égyptien ou palestinien ne peut prétendument qu’être concerné par les questions arabes». La multiplication des expositions itinérantes tout en les adaptant à chaque public, l’appel à des commissaires d’expositions de tous horizons, l’utilisation de l’IMA comme lieu des libertés sans provocation, la mise en place d’une biennale de l’art contemporain et de l’image sont autant de signes forts en direction des transformations voulues. C’est ce brassage d’idées et seulement celui-ci qui permettra la mutation progressive d’une institution qui fête ses 25 ans d’existence cette année. Et sa pérennisation.
Antoine Wénisch
Mona Khazindar, un pur produit IMA
Mona Khazindar est née aux Etats-Unis de parents saoudiens. Après des études supérieures en France à l’Université américaine de Paris (Licence de Littérature française, 1982), et à la Sorbonne (Paris IV, Master de Langues étrangères appliquées, 1986; puis diplôme d’études approfondies en Histoire moderne et contemporaine, 1988), elle débute sa carrière à l’Institut du monde arabe à Paris. Parfaitement trilingue (anglais-arabe-français), elle noue des contacts solides et privilégiés tant avec les artistes qu’avec les collectionneurs et critiques d’art du monde entier. Elle grimpe progressivement les échelons hiérarchiques de l’IMA. Responsable de l’exposition permanente d’art moderne et contemporain, elle devient ensuite commissaire d’expositions qui rencontrent un franc succès. On peut citer, parmi d’autres, Oum Kalsoum, la quatrième pyramide en 2008. Elle dirige parallèlement les publications liées à ces expositions. Khazindar est aussi une auteure et critique d’art de renom. Elle a été désignée à ce titre membre du jury du prix Agha Khan d’architecture. Comme en reconnaissance de sa persévérante carrière au sein de l’IMA, elle est nommée à sa tête en 2011.