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Nº 2874 du vendredi 7 décembre 2012

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Okab Sakr livre des armes aux rebelles syriens. Comment les révélations sont parvenues à la presse

La publication d’échanges téléphoniques entre Okab Sakr et des rebelles syriens par le journal al-Akhbar a fait l’effet d’une bombe au Liban. Le journaliste Radwan Mortada divulgue à Magazine les dessous de ces révélations.

Ce n’était finalement qu’un secret de polichinelle. Nié jusqu’à, il y a encore quelques jours, par médias interposés, par le principal intéressé, Okab Sakr.
Acculé par les enregistrements révélés depuis le 29 novembre par al-Akhbar, le député chiite du Courant du futur a confirmé les faits. Dans un entretien accordé lundi au journal saoudien As-Sharq al-Awsat, Sakr a authentifié les enregistrements. «Oui, c’est ma voix et ce sont mes mots. Je n’ai pas l’habitude de nier ma voix et ma parole et je n’ai pas honte de ce que j’ai fait et de ce que je suis en train de faire. Ce que je fais représente ma profonde conviction et correspond aux intérêts du Liban», déclare-t-il.
Le grand déballage des conversations entre Okab Sakr et plusieurs personnes appartenant à l’Armée syrienne libre, ou plus largement aux rebelles syriens, a été révélé en exclusivité par le quotidien al-Akhbar, réputé proche du camp du 8 mars. Le journal a été approché par une source, voici quelques semaines de cela.
«Notre source a contacté le journal et il a demandé mes coordonnées», raconte Radwan Mortada, le journaliste qui a révélé les enregistrements. «Il souhaitait me parler car il savait que j’avais écrit sur la Syrie et en particulier sur les différentes composantes de l’opposition, notamment à Idleb ou Alep», poursuit-il.
D’abord, méfiant, Mortada prévient son interlocuteur de ne pas lui faire perdre son temps, s’il ne dispose pas de preuves réelles. «J’ai souvent été contacté dans ce cadre et cela n’avait jamais mené à rien», dit-il. La source demande alors à Radwan Mortada de lui communiquer son identifiant Skype. «Quelques secondes plus tard, il m’envoie un extrait sonore où l’on entend la voix d’Okab Sakr». Dubitatif, car on peut aisément trafiquer les voix avec les technologies d’aujourd’hui, le journaliste reconnaît néanmoins la voix du député. Sa source, elle, lui indique que «tous les experts du monde confirmeront qu’il s’agit bien de la voix» de l’élu chiite de Zahlé. Malgré cette assurance, Mortada et son rédacteur en chef décident, par mesure de sécurité, de recourir à trois experts indépendants afin d’authentifier les enregistrements. «Ils nous ont confirmé qu’il s’agissait bien de la voix de Sakr», indique le journaliste. «La seule condition posée par notre source était que ces enregistrements soient publiés immédiatement, mais nous avons fini par le convaincre d’attendre la fin du conflit à Gaza», explique Mortada.

 

Recouper l’information
Pendant ce temps, il reçoit plusieurs enregistrements et photos qu’il épluche minutieusement. Puis il entreprend de recouper les informations contenues dans ces conversations auprès de ses propres contacts dans les rangs des rebelles syriens. Certains éléments achèvent de le convaincre. «La source m’a donné des informations sur la localisation géographique de Sakr qui était en Turquie et envoyé quelques photos aussi. Il m’a aussi parlé en avance des déclarations que Sakr a faites plus tard sur la Future TV».
La transcription de la première salve des enregistrements est publiée jeudi 29 novembre. Dans ce premier article, Mortada détaille son contact avec la source, puis dévoile une partie des enregistrements qui lui ont été communiqués. Okab Sakr y converse avec un commandant rebelle de la région d’Alep. Les propos sont éloquents. A l’autre bout du téléphone, on entend le chef d’un groupe armé, Abou Nehman: «Aidez-nous, s’il vous plaît, nous avons besoin d’armes». En réponse, Sakr lui demande «exactement ce dont vous avez besoin et en quelle quantité», puis, plus loin, «pour quelles régions». Une fois l’affaire conclue, Abou Nehman souligne que la livraison des armes se fera «comme d’habitude» avec Abou al-Nour. Il prend soin également de remercier son bienfaiteur, Sakr, par ces mots: «Je ne sais pas quoi dire. Ce qui est sûr, c’est qu’après Dieu, il n’y a que toi».
Le deuxième enregistrement est tout aussi explicite. Radwan Mortada souligne que la source à l’origine de ces révélations est une personne qui «a travaillé avec le député dans l’un des centres d’opérations établis par Sakr en Turquie pendant près d’un an». Des QG installés à Antioche, Adana et Istanbul, où s’activent des groupes d’une vingtaine de personnes. Des représentants du Qatar, de Turquie ou d’Arabie saoudite s’y rendent aussi régulièrement. Ceux-ci ne se contentent pas de livrer des armes, mais donnent aussi des instructions aux rebelles entre autres sur la stratégie à adopter.
A ce stade, on peut, bien sûr, se demander pourquoi la source procède à ce grand déballage. Il m’a dit que «Sakr avait détruit la révolution avec ses pratiques insensées», explique Mortada. «Durant les réunions, nous nous opposions par exemple, à la décision de Sakr d’envoyer des armes dans une région particulière que nous voulions garder sans armes, pour ceux qui fuyaient les combats. Mais (Sakr) a maintenu hystériquement sa décision, indifférent à la vie des gens», reproche la source. Elle estime que ce dernier fournit des armes pour faire tomber le régime Assad parce qu’il le hait, et non pas parce qu’il aime le peuple syrien. Les préoccupations humanitaires ne semblent pas entrer en ligne de compte. A plusieurs reprises, le député refuse un apport financier pour les réfugiés civils et les blessés, au motif qu’il y a «des organisations humanitaires qui peuvent le faire», selon la source. Celle-ci évoque aussi le salaire mensuel de 50000 $ accordé à Abou Ibrahim, le chef du groupe qui détient encore les pèlerins libanais.
Le deuxième enregistrement révèle une conversation entre Sakr et un interlocuteur non identifié, qu’un expert seulement sur trois, selon Mortada, dit être Saad Hariri. «Nous avons besoin de munitions, de roquettes RPG et aussi d’autres armes automatiques pour Alep et sa région et aussi pour Idleb. Aussi vite que possible». Sakr demande également des «roquettes antichars et des missiles sol-air».
Dans un troisième enregistrement, le député parle avec un responsable rebelle chargé de la distribution des armes dans le centre de Syrie. «Je vais donner les directives aux gars pour augmenter au maximum les quantités d’armes», dit-il. Dans une autre conversation, Okab Sakr parle avec Louaï Mokdad, porte-parole de l’Armée syrienne libre. «Ça rend fou le président Hariri, il veut que la victoire aboutisse, il n’arrive plus à dormir. Il suit la situation heure par heure, minute par minute, seconde par seconde. Il veut que le combat aboutisse. Il n’y a pas de place pour l’échec», confie Sakr.

La source inquiète
Une preuve de l’implication directe de l’ancien Premier ministre dans la livraison d’armes aux rebelles syriens. Saad Hariri, qui avait assuré en octobre, qu’Okab Sakr est «chargé de suivre la situation en Syrie et de coordonner avec les forces politiques syriennes de l’opposition pour soutenir le peuple syrien au double plan médiatique et politique».
Pour autant, le député libanais se dit prêt à répondre de ses actes devant la justice, comme il l’a fait savoir lundi, il prend soin de dédouaner Hariri. «Je suis seul responsable de mes actes», martèle-t-il. Mardi, Hariri a quant à lui affirmé, depuis Riyad, que son parti «ne cessera pas de soutenir la révolution syrienne en dépit des défis, aussi énormes soient-ils».
En attendant, depuis ces révélations explosives, les réactions abondent du côté politique (voir encadré).
Radwan Mortada reste en contact quotidien avec sa source. Une source inquiète de son avenir. «Ce qu’il dit, c’est que maintenant il est recherché à la fois par le régime Assad et par l’opposition syrienne. Mais il pensait surtout que les réactions à l’implication de Sakr seraient plus virulentes».
Depuis son scoop, Mortada explique d’ailleurs n’avoir été interrogé que par des confrères journalistes. La justice ne l’a toujours pas contacté. Ce n’est d’ailleurs que mardi que le procureur Hatem Madi a «demandé au bureau chargé des investigations d’examiner les fichiers révélés par al-Akhbar, afin que la justice agisse conformément à loi». En attendant, il cherche avant tout à protéger sa source. «Il a peur pour lui, mais aussi pour sa famille. Sakr cherche à savoir qui l’a trahi parmi son entourage. L’idéal serait de parvenir à lui faire obtenir l’asile politique dans un pays occidental, pour lui assurer une protection internationale».

Jenny Saleh
 

Réactions politiques
-Le député Ahmad Fatfat a déclaré que Sakr «est sous la loi, comme toute autre personne» et ne répondait à aucune consigne du parti ou de Saad Hariri.
-Le leader du CPL, Michel Aoun a, lui, demandé «une action en justice» contre Okab Sakr, disant «ne pouvoir tolérer de telles actions».
-Sami Gemayel, s’exprimant sur la MTV, a dit «condamner l’intervention d’Okab Sakr comme celles d’autres parties en Syrie».
-Le Hezbollah n’a pas réagi, mais la chaîne al-Manar a déclaré que ces enregistrements confirmaient «sans ambiguïté l’implication du Parti du futur car Sakr est l’homme le plus proche de Hariri, son bras droit».
-Quant au gouvernement, il se distancie, la possible levée de l’immunité parlementaire de Sakr ne relevant que des prérogatives de la justice.

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