Comble de l’Histoire, parmi tous les musées de la capitale, celui de la préhistoire est le plus récent après le Musée Mouawad. Méconnue du grand public, cette institution renferme pourtant la plus grande collection du genre au Liban, un héritage jésuite, rendu public il y a plus de douze ans.
Dans le quartier Monot, la rue de l’Université Saint-Joseph recèle de savantes institutions à l’instar du théâtre Monnot et de la Bibliothèque orientale. Derrière l’imposant bâtiment de cette dernière, invisible de la rue, un troisième établissement culturel se cache: le Musée de la préhistoire libanaise.
Son histoire débute en 1988 lors de l’ouverture du département de recherche de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université Saint-Joseph. «A cette époque, la collection d’éléments préhistoriques que les Pères jésuites avaient réunie à la fin du XIXe siècle se trouvait au troisième étage de leur immeuble et était uniquement accessible aux chercheurs, explique Lévon Nordiguian, directeur et fondateur du musée. J’ai alors demandé qu’on puisse disposer de ce «musée» pour nos cours et que cette collection, la plus riche du Liban, soit d’autre part rendue publique».
Mais en pleine guerre civile, l’élaboration d’un tel projet n’était pas à l’ordre du jour, notamment vu la difficulté d’obtenir des financements. «Il était néanmoins nécessaire de sauver ce patrimoine dormant qui aurait pu disparaître, à quelques mètres de la ligne de démarcation», se souvient le directeur, qui accédait alors à la salle en rampant». Loin d’être spécialiste de la Préhistoire, le professeur émérite Nordiguian continue pourtant son combat pendant plus de dix ans. «Aujourd’hui, les sites d’où proviennent ces éléments préhistoriques ont disparu, ajoute-t-il pour souligner le caractère exceptionnel de la collection jésuite. L’ouverture de cet héritage au public était donc essentielle».
Son vœu est exaucé en 1998 lorsque le père Salim Abou, alors recteur de l’USJ, lui annonce qu’il serait parfait d’ouvrir ce musée de la préhistoire pour les 125 ans de l’université. Comme prévu, en 2000, l’institution est créée, dotée d’un centre de recherche sur la préhistoire pour poursuivre l’héritage des Pères jésuites.
Cependant, comme l’avoue le directeur, «la préhistoire n’est pas un patrimoine facile à aborder et le musée n’est malheureusement pas encore reconnu du grand public. Je ne sais pas comment améliorer la fréquentation du site, s’interroge-t-il. Nous sommes sur la liste des musées de la ville, dans la brochure du ministère du Tourisme et toutes nos manifestations sont annoncées sur notre site Internet».
L’archéologue spécialiste préhistorienne du musée, Maya Haïdar Boustani, ne peut que confirmer ces propos. «Bien que la préhistoire soit la base de toutes les civilisations, elle reste pourtant un patrimoine inconnu, méconnu voire étranger pour les Libanais. A noter que 99% du travail des Pères jésuites était basé sur de la prospection de surface et non des fouilles à proprement parler; ce qui se traduit par la découverte majoritairement de pierres taillées, poursuit-elle. La difficulté était de rendre ces collections interactives. Or, de par la nature de ces dernières, cela a été un grand défi».
Le musée à deux niveaux est à la fois thématique et chronologique. Le rez-de-chaussée est consacré aux outils en pierre. «Nous avons essayé de les faire parler au maximum, en jouant sur leur exposition. Notre objectif n’était pas de bombarder les visiteurs d’un trop plein d’informations mais juste de leur montrer l’essentiel, soutient la préhistorienne. Même si certaines vitrines sont très spécialisées, nous nous adaptons à notre public tout en respectant les grandes lignes». Le niveau inférieur est, quant à lui, plus thématique, abordant la pêche, la chasse, le feu, les pratiques funéraires, l’art ou encore l’agriculture.
«Beaucoup d’écoles amènent les élèves à visiter le musée, reprend Lévon Nordiguian. Nous sommes d’ailleurs pleins tout le mois de décembre et une partie de janvier. Nous essayons d’être pédagogues en proposant des ateliers qui rendent les visiteurs actifs. C’est ce qu’on appelle la «Médiation culturelle» et nous en sommes les pionniers au Liban, assure-t-il. Deux spécialistes français sont notamment venus former une de nos cadres, Nelly Aboud».
Ce matin, le Musée de la préhistoire accueille deux classes de petits écoliers du Collège de Nazareth. «Aujourd’hui, ce sont des 7e mais il y a souvent des 9e, âgés de 9-10 ans, précise Nelly Aboud. On commence par une visite du musée que l’on essaie de rendre interactive en posant des questions. On leur raconte l’histoire des fouilles archéologiques et leurs techniques». Les écoliers sont, ensuite, invités à regarder une projection. Défilent alors sous leurs yeux ébahis l’historique des fouilles au Liban ou encore l’élaboration des outils et ustensiles utilisés par les hommes de la préhistoire.
Le public est très attentif et s’exclame par moments. Certains notent à voix haute, visiblement réjouis, «on a vu ça en cours». Puis lorsqu’apparaît à l’écran une femme d’un certain âge, façonnant une poterie, l’un d’entre eux s’écrie, «Waw, elle est trop forte Téta». «Ils sont très intéressés par le film parce qu’on avait abordé ces sujets en cours, murmure Maya, leur professeur de français. Depuis le matin, ils sont tous très impatients et motivés à l’idée de venir ici». Le court documentaire a remporté un franc succès. L’heure est dorénavant aux questions et avec un étonnement non dissimulé, les réponses affluent.
«Qui sait ce que signifie la préhistoire?», questionne Nelly Aboud. «C’est ce qui s’est passé depuis longtemps», ose le premier avant qu’un second complète, «avant l’invention de l’écriture». L’interrogation se poursuit et les écoliers essaient de répondre au mieux tout en écoutant les explications détaillées de l’animatrice. Le défi semble relevé haut la main. Ce soir, leurs parents recevront sans aucun doute un cours d’histoire préhistorique. En récompense à leur assiduité, Aboud propose de passer à la pratique. Depuis 2009, le musée a inauguré des ateliers de parure, vannerie, poterie, outil préhistorique et art pariétal. Aujourd’hui, c’est la poterie pour tout le monde, avec la même technique que les Hommes préhistoriques. «C’est trop cool», s’exclame l’assemblée en chœur commençant déjà à répéter le geste de la Téta, précédemment observé durant la projection. Leur professeure semble très satisfaite. «Les enfants aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, sont très loin de leur patrimoine, notamment de la préhistoire. C’est important de les sensibiliser à notre Histoire, affirme-t-elle. Ils doivent connaître le minimum par respect pour leur patrimoine. Aujourd’hui, ils ont appris des mots jusqu’alors inconnus. Et puis, c’est un apprentissage pour nous aussi».
Dans la matinée, le musée a reçu 60 élèves, le maximum qu’il puisse accueillir. «Tous les jours depuis 2-3 ans, c’est la même chose, nos visites scolaires remportent un vif succès, remarque Nelly Aboud. Parfois nous avons des groupes d’adultes, des professeurs, des universitaires ou des parents d’élèves mais ce n’est qu’occasionnel. Jusqu’à maintenant, nous ne sommes pas une grande équipe». La jeune femme regrette le manque de budget alloué au musée, consciente malgré tout que la crise est partout. «Le musée est très bien fait d’un point de vue muséologie et muséographie, doté d’une collection très riche. Mais nous avons besoin de financer de nouveaux projets: les fouilles, les recherches ou encore les publications», insiste-t-elle.
Dans les allées du musée, un touriste observe avec attention les différentes vitrines. «Je suis venu parce que la préhistoire m’intéresse beaucoup. J’ai récemment visité le musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth où une partie est consacrée à la préhistoire, mais je dois avouer que je préfère celui-là, beaucoup plus détaillé et spécialisé sur cette période».
Le centre de recherche propose périodiquement au public des conférences et des colloques. Tout dernièrement, le 5 décembre, Maya Haïdar Boustani a présenté les derniers travaux de son équipe sur le «plus vieux village néolithique au Liban, Laboué».
Quant au directeur du musée, Lévon Nordiguian, il continue de se démener pour faire valoir l’incroyable héritage préhistorique des Pères jésuites et bien plus. Repoussant l’argument d’un musée national unique, il assure: «il n’y a pas de contre-indications à ce que Beyrouth ait plusieurs musées spécialisés, au contraire. Le Musée national n’a pas, par exemple, assez de place pour ses propres stocks. Nous avons d’ailleurs obtenu l’accord tacite du ministère de la Culture pour pouvoir exposer une partie de sa collection préhistorique en réserve. Mais nous ne sommes pas encore dans la phase d’exécution». Un projet de collaboration à encourager qui serait une première entre musées libanais.
Reste que pour faire vivre le patrimoine libanais et encourager ses protecteurs, la meilleure façon est encore de se rendre dans nos musées et particulièrement celui de la préhistoire, une période boudée à tort par le grand public.
Delphine Darmency
Informations pratiques
Tél: 01 421 860/2
Site: www.usj.edu.lb/mpl
Horaires: mardi, mercredi, vendredi, samedi de 9h00 à 15h00 sauf jours fériés et vacances universitaires.